Tous grisés par l’or gris

La multiplication des usines en Afrique subsaharienne a porté ses fruits. En 2013, la région a, pour la première fois, produit plus de ciment qu’elle n’en a consommé. Principal acteur de cette révolution : le nigérian Dangote.

Dans son pays, le groupe d’Aliko Dangote s’est doté de trois nouvelles lignes de production à Obajana (photo) et à Ibese. © Akintude Akinleye/Reuters

Dans son pays, le groupe d’Aliko Dangote s’est doté de trois nouvelles lignes de production à Obajana (photo) et à Ibese. © Akintude Akinleye/Reuters

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 22 avril 2014 Lecture : 6 minutes.

Dangote Cement est dans une forme olympique. L’entreprise nigériane, qui présentait ses résultats annuels le 26 mars à Londres, a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 1,72 milliard d’euros (+ 29 % sur un an) et un bénéfice de 900 millions d’euros (+ 39 %). Un score de poids lourd pour celui qui, en quelques années, a damé le pion aux rois « étrangers » du ciment subsaharien : le français Lafarge, l’allemand HeidelbergCement et le suisse Holcim n’ont cessé de céder des parts de marché à ce concurrent agressif. Avec 14,7 millions de tonnes écoulées en 2013 (soit 16 % des ventes au sud du Sahara), Dangote se place désormais devant Lafarge (15 %) et HeidelbergCement (environ 7 %), selon la Société financière internationale (IFC).

Euphorie

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Dans son sillage, toute une flopée de producteurs africains, du sud-africain Pretoria Portland Cement (PPC) au marocain Ciments de l’Afrique (voir l’encadré), bousculent les grands cimentiers européens. Alors que l’Afrique subsaharienne ne produisait que 48,6 millions de tonnes de ciment en 2010, ce chiffre avoisinait les 98 millions en 2013 (hors Afrique du Sud).

Dangote Group a écoulé 14,7 millions de tonnes de ciment écoulées en 2013 (soit 16 % des ventes au sud du Sahara)

« Pour la première fois, la région a produit plus de ciment qu’elle n’en consomme, avec un excédent que nous estimons à 5 millions de tonnes », indique Edward George, analyste chez Ecobank.

Le Sénégal et le Togo, qui disposent de bonnes réserves calcaires, sont déjà exportateurs. « Demain, ce sera le tour de l’Éthiopie et du Nigeria », avance Edward George.

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Derrière l’euphorie d’investissements des dernières années, l’assurance de trouver un marché en forte croissance ainsi qu’un bon niveau de rentabilité.

À condition de s’installer assez tôt – prime au premier entrant oblige – et au plus près des grandes villes, compte tenu des coûts de transport élevés.

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Anas Sefrioui conjugue ciment et immobilier

Développant un modèle stratégique bien à lui, Anas Sefrioui a opté pour une intégration verticale très poussée. Le patron marocain avance en effet deux pions en même temps dans les pays (francophones pour la plupart) où il opère: les cimenteries avec Ciments de l’Afrique et la promotion immobilière avec Addoha.

« Il s’installe dans des pays où il y a peu de calcaire et il y implante, à proximité des côtes, des broyeurs de taille modeste [de 500000 à 1 million de tonnes] approvisionnés par du clinker venu par bateau de ses usines marocaines, dont il amortit ainsi les coûts. Et il achète une partie du ciment produit pour ses propres projets immobiliers », résume Michel Folliet, de la Société financière internationale (IFC).

C. L. B.

« Après une croissance moyenne de 9,6 % par an depuis 2006, le marché subsaharien devrait augmenter en moyenne de 8,2 % par an jusqu’à 2016 », souligne Michel Folliet, responsable du département matériaux de construction à l’IFC.

Si la consommation au sud du Sahara a bondi de 70 % depuis 2010, à 92 millions de tonnes en 2013, la moyenne par habitant (101 kg) y reste toujours nettement inférieure à la moyenne mondiale (550 kg), voire à celle du Maroc (380 kg).

Dans la foulée, les prix ont baissé. « En Afrique de l’Ouest, région où il y a eu le plus de projets, le prix moyen de la tonne de ciment est de 100 à 150 dollars [de 73 à 109 euros], contre 280 dollars en RD Congo, pays en sous-capacité. En Éthiopie, où Dangote et PPC viennent de s’implanter, il fallait débourser 250 dollars la tonne il y a cinq ans, à cause des coûts de transport et des frais de douane sur le ciment importé via le port de Djibouti. Aujourd’hui, les prix sont descendus à environ 90 dollars la tonne ! » se félicite Michel Folliet. Une évolution des prix bénéfique pour le consommateur comme pour le secteur de la construction.

Embûches

JA2778p067 info2Au jeu de la rentabilité, Dangote Cement gagne haut la main. Sept fois et demie plus rentable que Lafarge à l’échelle mondiale, le groupe affiche une marge opérationnelle de 59,5 %. Un approvisionnement optimal en électricité et en gaz – avec l’aide de l’État – lui permet de faire tourner ses cimenteries à coûts réduits.

Le groupe nigérian a par ailleurs mis en place un réseau de distribution efficace auprès de ses grands clients, avec l’acquisition de flottes de camions installées à la sortie des usines. Enfin, le protectionnisme en vigueur au Nigeria entrave les importations, limitant la concurrence et le risque d’une éventuelle guerre des prix.

L’aventure africaine de Dangote a bien connu quelques embûches : des problèmes juridiques (notamment fonciers) et politiques ont entraîné d’importants retards de démarrage au Sénégal et au Cameroun, ainsi que des atermoiements sur des projets au Gabon et en Guinée, qui seront probablement abandonnés. Mais sa santé financière rassure sur sa capacité à mettre en oeuvre son programme d’extensions.

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En Afrique, la bataille des cimentiers a commencé

« Au Nigeria, nous prévoyons d’augmenter notre capacité annuelle de 9 millions de tonnes au second semestre 2014, grâce à trois nouvelles lignes de production dans nos cimenteries d’Ibese et d’Obajana, explique Edwin Devakumar, directeur général de Dangote Cement. La capacité de nos autres usines africaines augmentera de 3 millions de tonnes d’ici à 2015, avec l’ouverture au second semestre 2014 de cimenteries au Sénégal, en Éthiopie et en Afrique du Sud, ainsi que d’un broyeur de clinker [mélange de calcaire et de silice] au Cameroun. »

L’entreprise nigériane transforme par ailleurs ses anciens terminaux d’importation en plateformes d’exportation à destination de l’Afrique.

Broyeurs

Longtemps contraints par de lourds endettements, Lafarge (10 milliards d’euros de dettes fin 2013) et HeidelbergCement ont décidé de réagir, « même s’ils ont raté le coche dans des pays importants, notamment en Éthiopie », observe Michel Folliet.

D’ici à quelques années, les deux groupes européens devraient ajouter environ 18 millions de tonnes de capacité sur le marché. « Avec l’implantation d’une usine de clinker au Togo, nous serons en mesure d’approvisionner une série de quatre broyeurs en Afrique de l’Ouest, auparavant alimentés par nos usines turques », se réjouit Jean-Marc Junon, patron du groupe allemand pour la région Afrique.

JA2778p067 info1Lancés dans une course aux capacités, les cimentiers peuvent-ils rester aussi rentables ? Pour eux, après l’approvisionnement en électricité, la logistique nationale ou régionale est devenue le facteur clé.

« En RD Congo, la hausse de la capacité et la baisse des prix n’entraîneront pas nécessairement une croissance des ventes. Pour progresser, il faut réussir à approvisionner l’ensemble du territoire, donc optimiser la distribution », illustre Jean-Marc Junon, dont le groupe dispose de deux cimenteries dans le pays, l’une dans le Bas-Congo, l’autre dans le Kivu.

« En Afrique de l’Ouest comme en Afrique centrale, il faudrait que le ciment circule sans entrave entre les pays en surcapacité et ceux qui sont déficitaires », fait valoir Boubacar Camara, président de la Sococim (filiale du français Vicat au Sénégal), qui dit avoir du mal à écouler son ciment au Mali et au Niger.

Un peu partout, la bataille fait rage. Et tous les arguments sont bons pour freiner les ardeurs des concurrents. « Si certains producteurs du Nigeria veulent exporter, il faudrait en retour que le marché nigérian soit ouvert à la concurrence », plaide Jean-Marc Junon, de HeidelbergCement, dont la base togolaise n’est qu’à quelques encablures de Lagos. En Côte d’Ivoire, les deux cimentiers actifs se sont élevés pour les mêmes raisons contre les projets d’importation de Dangote dans le pays. À Dakar, enfin, une procédure juridique a été lancée par la Sococim contre l’État au sujet des avantages accordés au groupe nigérian pour l’installation de son usine…

« Nous pensons que le ciment est le prochain or africain », lâchait il y a quelques semaines Elias Masilela, patron du fonds de pension sud-africain Public Investment Corporation (PIC), qui a investi dans Dangote Cement. Visiblement, il n’est pas le seul à avoir compris le potentiel de « l’or gris ».

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