Air Algérie : pour les Algériens bloqués à l’étranger, le calvaire continue
La compagnie aérienne suspend son opération de rapatriement lancée en décembre dernier. Coincés à l’étranger depuis mars 2020 à cause de la crise sanitaire, les ressortissants algériens voient s’éloigner un peu plus la perspective de rentrer chez eux.
Le soulagement aura été de courte durée. L’opération de rapatriement, attendue depuis bientôt un an par les quelque 25 000 ressortissants algériens bloqués à l’étranger en raison de la fermeture des frontières algériennes en mars dernier, n’ira finalement pas à son terme. Lancée par Air Algérie le 23 décembre 2020 et prévue jusqu’au 31 janvier 2021, elle est suspendue jusqu’à nouvel ordre. Le programme devait être effectué depuis cinq pays, à savoir la France, l’Espagne, l’Allemagne, le Canada et les Émirats arabes unis.
La direction de la compagnie aérienne a fait passer un mot en interne dans lequel elle demande à ses agents commerciaux de proposer de nouvelles options aux clients ayant déjà des billets pour la période allant du 8 janvier au 31 janvier. Parmi elles, le changement de date. Le recours au remboursement n’est évoqué qu’en dernière option.
Plusieurs sources affirment que la décision est imposée par les hautes autorités du pays, mais aucune communication officielle n’a été faite
Aucun détail en revanche sur les motifs de cet arrêt. « On ne nous explique pas les raisons, on nous donne juste des ordres », confie un cadre d’Air Algérie. Plusieurs sources affirment que la décision est imposée par les hautes autorités du pays, mais aucune communication officielle n’a été faite jusqu’à présent.
Exil forcé
Malgré l’absence de déclaration, la nouvelle commence à circuler via quelques médias en ligne et sur les réseaux sociaux. Réunis dans des groupes Facebook de plusieurs dizaines de milliers de membres, les Algériens en exil forcé perdent patience. « Silence total d’Air Algérie et des autorités. Confirmez l’annulation ou faites un démenti mais faites quelque chose », réclame Yasmine, depuis Toulouse. « Je suis abasourdie. J’en ai tellement marre de cette situation que je ne veux plus être rapatriée », s’emporte de son côté Sarah. Elle vient d’apprendre, par un appel d’Air Algérie l’annulation de son vol de rapatriement prévu pour le 17 janvier au départ de Montréal et en direction d’Alger.
« Quand les frontières ont fermé en mars dernier, ce n’était certes pas la meilleure solution mais on s’est montré compréhensifs. On a compris que c’était pour lutter contre le Covid-19, on a été patients, mais on ne s’attendait pas à ce que ça dure 11 mois ! » s’énerve Samy*, citoyen algérien bloqué à Paris. « C’est de l’abus ! Au départ, on pouvait se faire héberger par des proches, mais pas pendant un an, c’est impossible. »
Face à cette situation qui s’éternise, certains sont obligés de prendre des emplois et des logements non-déclarés
Face à cette situation qui s’éternise, certains sont obligés de prendre des emplois et des logements non-déclarés. C’est le cas de Nassim*, 32 ans. Originaire de Bejaïa, il s’est rendu en France pour un court séjour en février. « Un voyage d’affaires », précise-t-il. Seulement, quelques jours plus tard, l’Algérie annonce la fermeture de ses frontières pour endiguer la propagation du coronavirus. Le trentenaire voit son billet retour annulé. Il est bloqué à Paris.
Nassim n’a eu d’autre choix que de sous-louer un logement. « Je paye 500 euros par mois pour une studette de 14 m² que je partage avec un colocataire. Je n’ai ni la possibilité de toucher les aides étatiques, ni la possibilité de travailler vu que je ne suis pas résident ici. Il y a de l’argent qui sort mais rien qui entre ». Pour subvenir à ses besoins, il a déjà transféré l’équivalent de 7000 euros en dinars depuis l’Algérie. « J’ai puisé dans mes économies, mais là ce n’est plus possible, je peux tenir encore deux mois au maximum, ensuite je serai à la rue. »
Les consulats algériens peu arrangeants
« J’ai fait toutes les démarches imaginables : écrit des mails, ma famille en Algérie est allée m’inscrire sur les listes du ministère des Affaires étrangères là-bas, j’ai appelé tous les jours… rien. Aucun retour. » Comme Nassim, ils sont plusieurs milliers à se réunir devant les différents consulats algériens pour réclamer justice. En vain. « Si par chance on accepte de vous recevoir, on vous répond avec arrogance et on ne vous aide absolument pas », regrette Myriam*, 57 ans, coincée à Marseille.
Une chose semble pouvoir débloquer la situation : l’argent. « Si vous glissez un petit billet au consulat, on vous inscrit sur les listes prioritaires pour les rapatriements », dénonce Aziz Bensadek, membre du collectif marseillais « Ouvrez les frontières en Algérie ». Même son de cloche à Paris : « Des personnes inscrites sur les listes consulaires et contactées pour partir se voient refuser l’accès à l’avion une fois à l’aéroport. Si elles payent, elles passent », renchérit un membre d’un collectif de citoyens algériens bloqués à Paris.
Si vous glissez un petit billet au consulat, on vous inscrit sur les listes prioritaires pour les rapatriements
Des accusations difficiles à prouver, même si JA a pu se procurer un enregistrement téléphonique dans lequel un homme qui se présente comme « un intermédiaire avec le consulat », demande 2500 euros, une copie du passeport et un numéro de téléphone. « Vous recevrez un appel du consulat et serez rapatrié dans la semaine », promet-il. Il insiste sur le montant : « Ce n’est pas moi qui fixe la somme, je ne suis qu’un intermédiaire, il n’y a pas de négociation possible. Si vous avez les 2500 euros envoyez-moi tout ça. Sinon, pas la peine. »
Désespérés, certains citoyens bloqués se laissent séduire par l’option. D’autres, moins fortunés, rejoignent leur pays avec l’aide de passeurs en Tunisie. « Ils prennent un vol Paris-Tunis. Ensuite ils payent des gens pour les laisser traverser la frontière algérienne. Ils entrent dans leur propre pays de manière illégale, c’est scandaleux », déroule le membre du collectif parisien. Le « service » serait facturé « entre 300 euros et 400 euros ». « Tant que les frontières restent fermées, c’est la porte ouverte à toutes les magouilles », tranche Aziz Bensadek.
Situation inédite
La demande d’ouverture des frontières dépasse désormais les revendications citoyennes. Début janvier, le sénateur Abdelouahab Benzaïm et le député de la communauté nationale établie à l’étranger, Noureddine Belmeddah, ont adressé une lettre commune au président Abdelmadjid Tebboune.
Ils y dénoncent une situation « jamais vécue depuis l’indépendance », où « les Algériens sont tenus d’obtenir une autorisation pour rentrer dans leur propre pays ». Les hommes politiques demandent au président de prendre des mesures « rapides et efficaces ». Avec, notamment, l’ouverture des frontières terrestres, aériennes et maritimes pour permettre le retour de tous les ressortissants nationaux sans conditions, hormis celles relatives au protocole sanitaire. Et la suppression « des autorisations et les inscriptions préalables qui ont épuisé tout le monde ». Selon eux, il serait préférable de « laisser Air Algérie et les compagnies étrangères gérer seules les vols vers l’Algérie ».
*Les prénoms ont été modifiés.
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