[Tribune] Tunisie : quand la rivalité entre Kaïs Saïed et Hichem Mechichi menace la démocratie
La rivalité entre le président et le chef du gouvernement s’exprime tous azimuts. Dernier épisode en date : le limogeage du ministre de l’Intérieur.
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Amine Snoussi
Essayiste, auteur de « La politique des Idées » (Centre national du livre), et militant pour la justice sociale et écologique.
Publié le 9 janvier 2021 Lecture : 3 minutes.
Depuis la nomination d’Hichem Mechichi à la tête du gouvernement, c’est une guerre froide qui s’est installée entre le président de la République Kaïs Saïed et le chef de l’exécutif.
La remise en détention, fin décembre, du chef de parti et soutien de Hichem Mechichi, Nabil Karoui, participe à cette joute au sommet de l’État tunisien.
Le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine est le premier à avoir payé sa proximité avec le chef de l’État, et s’est vu remercié du fait de plusieurs nominations effectuées sans l’aval de son chef du gouvernement. En somme, l’ambiance est électrique au sein de l’exécutif.
Président opposant
En 2020, deux gouvernements se sont succédé en Tunisie. Celui de Elyes Fakhfakh, sur lequel le président avait une influence majeure, n’a tenu que quelques mois. Le requiem du chef du gouvernement, candidat malheureux à la dernière présidentielle, a commencé à résonner avec la volonté d’Ennahdha d’élargir la majorité parlementaire à d’autres partis. Refus catégorique de Kaïs Saïed et d’Elyes Fakhfakh. La motion de censure déposée par Ennahdha, Qalb Tounes et la coalition El Karama entraîne la démission du chef du gouvernement en juillet.
Dans le gouvernement de Hichem Mechichi, en revanche, le président a clairement perdu de son influence, d’autant que l’alliance des deux partis majeurs, Ennahdha et Qalb Tounes, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’est affirmée. Depuis, Kaïs Saïed, bien que président, est en quelque sorte dans l’opposition : contre son gouvernement mais aussi contre le Parlement. Le chef de l’État s’est d’ailleurs imposé dans le débat public durant les élections de 2019 en défendant une dissolution du Parlement pour installer une gouvernance décentralisée. C’est dire combien sa relation avec l’ARP est empreinte de méfiance, voire de défiance.
Ces polémiques posent, à nouveau, la délicate question de la séparation des pouvoirs en Tunisie
Soucieux d’affirmer sa politique, Kaïs Saïed a toutefois gardé une influence sur certains des ministres du gouvernement Mechichi. Et si, à la suite du vote de confiance en septembre, le parti Ennahdha a assuré que certains remaniements auraient lieu à l’avenir, Hichem Mechichi vient tout juste de lancer les hostilités avec le limogeage de Taoufik Charfeddine. D’autant que d’autres pourraient suivre. Mohamed Boussetta, ministre de la Justice et proche du président, pourrait prendre lui aussi la porte. Lors de l’audition de ce dernier devant le Parlement, Seifeddine Makhlouf, leader du mouvement islamiste radical El Karama, l’a interpellé au sujet de l’emprisonnement de Karoui – « Va-t-on en prison pour un chèque ? » -, insinuant que la détention est surtout motivée par des manœuvres politiques.
Bis repetita ?
C’est que l’arrestation de Nabil Karoui, qui a immédiatement suivi sa convocation par le pôle financier, et l’exclusion de Qalb Tounes du dialogue national initié par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et le président de la République, ont sonné comme autant d’avertissements lancés par Kaïs Saïed à la majorité du chef du gouvernement et à Hichem Mechichi lui-même.
Ce n’est pas le premier séjour en détention de Nabil Karoui. Et ce n’est pas la première fois que le contexte est douteux. Durant la présidentielle de 2019, Nabil Karoui n’avait pu faire que quatre jours de campagne, passant le reste du temps à la prison civile de Mornaguia. Pourtant, en octobre dernier, la Cour de cassation avait fini par conclure que l’émission du mandat de dépôt n’avait respecté aucune procédure juridique. Bis repetita ?
Ces polémiques posent, à nouveau, la délicate question de la séparation des pouvoirs en Tunisie. Quand la rivalité entre le président et le chef du gouvernement fait peser une menace constante de dissolution de l’Assemblée – laquelle n’a toujours pas de Cour constitutionnelle pour la protéger – et que la justice bâcle trop souvent les procédures quand des intérêts politiques sont en jeu, c’est, in fine, la démocratie elle-même qui est en danger.
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