Placements garantis

Première banque d’affaires sénégalaise, la CGF a su profiter de l’explosion de la finance en Afrique de l’Ouest. Entre obligations et bons du Trésor, l’argent coule à flots.

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 4 minutes.

Nous sommes en juillet 1995. Après plusieurs années passées à la Chase Manhattan Bank puis à la Citibank, Gabriel Fal, banquier réputé et reconnu sur la place de Dakar, décide de voler de ses propres ailes. Il fonde la Compagnie de gestion financière (CGF Finance), première banque d’affaires au Sénégal. Deux ans plus tard, le banquier passe à la vitesse supérieure : il fonde CGF Bourse et devient administrateur de la toute nouvelle Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), à Abidjan. Cette ascension est le résultat « d’une bonne connaissance des marchés financiers et d’une conjoncture favorable », reconnaît, entre deux éclats de rire, un homme dont la bonhomie tranche avec l’attitude compassée du banquier classique.
Après la crise dans le secteur bancaire durant les années 1980, les faillites souvent causées par des créances douteuses et une gestion hasardeuse, les plans de redressement en pagaille, les privatisations et les fusions négociées sous la contrainte, les banques commerciales retrouvent progressivement un peu de leur superbe. Au Sénégal, les chiffres 2004 le confirment. L’argent déposé sur des comptes bancaires se chiffre à 1 256 milliards de F CFA, en augmentation de 16 % par rapport à 2003. C’est essentiellement le fait des migrants qui rapatrient en masse leurs économies. Ces transferts sont estimés à 7 % du PIB au Sénégal.
En revanche, si les banques accueillent à bras ouverts cette manne, elles se montrent plus réservées, voire « frileuses et timides » lorsqu’il s’agit de prêter de l’argent. L’année dernière, au Sénégal, le montant total des crédits accordés n’a pas dépassé 874 milliards de F CFA. C’est pourquoi les observateurs estiment que l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) est « sur-liquide ». Les banques détiennent plus d’argent qu’elles n’en prêtent. De quoi réjouir Gabriel Fal puisque cet excédent d’épargne, les banques et les assurances le placent. Prudentes sur les crédits et hésitantes sur les actions jugées trop risquées, elles ont jeté leur dévolu sur les obligations et les bons du Trésor, émis respectivement par les entreprises et les États (ou bien encore des banques régionales) pour financer leur croissance, leur développement et leurs investissements. D’où l’explosion du marché obligataire dont la capacité annuelle est d’environ 200 milliards de F CFA. Avec des taux d’intérêt oscillant entre un minimum de 3 % pour les bons et un maximum de 8,5 % pour les obligations, ces produits financiers, qui plus est garantis, jouissent d’une très bonne réputation. « Le marché ouest-africain recherche de la sécurité, et comme il y a beaucoup d’argent à placer, il m’arrive de trouver des dizaines de milliards en quelques jours seulement », se félicite Gabriel Fal, dont le rôle consiste à faire le lien entre les différents intervenants. Depuis sa création, cette banque d’affaires d’un nouveau genre en Afrique de l’Ouest a ainsi levé 138 milliards de F CFA pour détenir 38 % du marché Uemoa parmi la vingtaine de sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI) agréées. « Mon aventure a commencé en 1995, au Gabon, avec la Compagnie minière, la Comilog. À l’époque les banques ne voulaient même plus leur adresser la parole, mais après avoir étudié le coût d’extraction du manganèse, je me suis rendu compte qu’il était plus bas que celui de la concurrence. J’ai alors réussi à mobiliser 30 millions de dollars (16 milliards de F CFA) pour financer la restructuration de l’entreprise », explique le patron de la CGF. Depuis, rien ne semble pouvoir arrêter ce pionnier de la finance ouest-africaine. Sa société, qui emploie dix personnes et perçoit entre 1 % et 2 % de commissions sur chaque opération, a notamment placé en 1999 plus de 4 milliards de F CFA sur un emprunt obligataire de 12 milliards émis par la Société nationale de télécommunication sénégalaise (Sonatel), 9 milliards en 2002 pour le Trésor public ivoirien, ou bien encore 20 milliards, l’année dernière, pour financer les travaux du Port autonome de Dakar. C’est la plus grosse opération réalisée sur le marché régional. Mieux encore, les fonds collectés ont été supérieurs au montant visé : certains investisseurs ont donc été recalés ! Quand la demande est plus forte que l’offre, « cela prouve que les opérateurs régionaux ont largement la capacité de financer une grosse partie des programmes d’infrastructures, sans attendre l’intervention des bailleurs internationaux », estime Patrick Mestrallet, directeur général de la Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale (CBAO), une banque sénégalaise qui travaille régulièrement avec la CGF. Au total, sur la zone Uemoa, la capitalisation obligataire s’est établie à 278,6 milliards en décembre 2004, soit une hausse de 11,4 %.
Le même engouement est aussi perceptible sur les bons du Trésor, qui ont atteint des sommets en 2004, avec 123,5 milliards de F CFA collectés : 41,5 milliards (Burkina), 15,7 (Côte d’Ivoire), 21 milliards (Mali) et 45,3 milliards (Sénégal). « Nous sommes aussi présents sur ce marché qui arrive à maturité. Grâce à l’assainissement de leurs finances publiques, les États peuvent de nouveau emprunter. Autant le faire localement en CFA sans risque sur le change », explique Gabriel Fal. Une analyse partagée par un haut fonctionnaire de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), dont l’institution est devenue en quelques années le plus gros émetteur d’obligations et de bons dans la région pour financer différents programmes dans le secteur marchand (réhabilitation du Port de Dakar, extension du réseau électrique au Niger, construction d’une usine de lait stérilisé au Sénégal…). En 2004, la banque régionale a ainsi emprunté 40 milliards de F CFA. « Nous avons une bonne signature, car nous inspirons confiance. Nous avons donc levé sans difficulté cette somme en proposant un taux de 5,35 % », précise le banquier.
« La BOAD est l’un de nos meilleurs clients », conclut Gabriel Fal, qui ne résiste pas au plaisir d’annoncer, pour le 20 juin, une prochaine opération avec le Sénégal sur le Programme d’aménagement et de mobilité urbaine (Pamu). Montant : 45 milliards de F CFA. « Là aussi, l’argent a été trouvé en quelques jours ! »

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