Mésentente cordiale

Le différend entre Olusegun Obasanjo, le président en exercice, et Alpha Oumar Konaré, le patron de la Commission de l’organisation continentale, sur la crise post-électorale togolaise n’est pas qu’un simple conflit de prérogatives.

Publié le 13 juin 2005 Lecture : 6 minutes.

On craignait des éclats de voix à la rencontre, le 8 juin à Abuja, entre le président en exercice de l’Union africaine (UA), le Nigérian Olusegun Obasanjo, et le patron de la Commission de l’organisation continentale, le Malien Alpha Oumar Konaré. Il y eut une explication franche, scellée par une solide poignée de main. Mais l’alerte a été chaude, quand, le 4 juin à Lomé, le premier a publiquement considéré que la nomination – trois jours plus tôt – par le second de l’ancien chef de l’État zambien, Kenneth Kaunda, comme envoyé spécial au Togo était « nulle et non avenue ». Une première dans les annales africaines. Jamais un secrétaire général de la défunte OUA n’avait essuyé un désaveu aussi abrupt. A fortiori un président de la Commission.
À Addis-Abeba, siège de l’UA, on s’évertue à minimiser la sortie d’Obasanjo : un « problème de communication interne », disent certains. « Un malentendu », insistent d’autres. À Abuja, en revanche, on n’est pas loin de penser à un crime de lèse-majesté. « Alpha Oumar Konaré n’est pas le président bis de l’UA, mais agit comme si c’était le cas. C’est inacceptable », s’emporte un proche collaborateur du chef de l’État nigérian, tandis que la porte-parole, Oluremi Oyo, assure qu’il n’y a « ni confrontation ni divergence au sein de l’UA ». Mais il y a – le cas du Togo en est la dernière illustration en date – deux approches distinctes des processus de démocratisation ou de sortie de crise dans certains pays membres de l’organisation. Et, aussi, deux lectures différentes des textes de celle-ci. Jusqu’ici sourdes ou exprimées de manière diplomatique, elles viennent d’éclater au grand jour et pourraient présenter l’occasion de crever l’abcès. Une bonne fois pour toutes à l’occasion du tête-à-tête d’Abuja ? Rien n’est moins sûr.
Dans les couloirs du siège de l’UA, le clash Obasanjo-Konaré est vécu comme un drame dont on essaie d’atténuer la portée en invoquant « les textes [qui] sont clairs, assure une source prudemment anonyme. Il n’y a pas de relations de subordination entre Alpha Oumar Konaré et le président en exercice. Selon le règlement intérieur, le président de la Commission n’est responsable que devant la Conférence des chefs d’État ». Mais le président en exercice est, lui, censé représenter ses pairs au sein des institutions continentales, avec des prérogatives. Mais, s’interroge un collaborateur de Konaré, « pourrait-on concevoir que Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, soit tenu d’associer Jean Ping [chef de la diplomatie gabonaise assurant aujourd’hui la présidence de l’Assemblée générale, organe suprême des Nations unies, NDLR] pour ce qui est du choix de ses envoyés spéciaux ou représentants personnels ? »
Une certitude : dans cette affaire, il y a plus qu’un simple conflit de prérogatives ou une opposition de style. Il y a, surtout, la réaction d’un Obasanjo qui a le sentiment que Konaré compromet sa médiation dans la crise togolaise. D’autant que ce dernier, outre Kaunda, a également décidé d’envoyer à Lomé une « mission d’information » d’une quinzaine de membres composée de militants de droits de l’homme – à la grande satisfaction de l’opposition dite radicale. La colère du numéro un nigérian reflète ainsi un différend de fond dans la recherche d’une solution de sortie de crise au Togo. Comme ses pairs d’Afrique centrale avaient manifesté quelque agacement devant les rappels à l’ordre de Konaré, au lendemain du putsch du général François Bozizé en Centrafrique. Tout se passe comme si celui que les chefs d’État avaient décidé de porter à la tête de leur nouvelle organisation, précisément parce qu’il était un des leurs, commençait à gêner certains d’entre eux. Et qu’ils regrettaient déjà le temps où l’institution était dirigée par un haut fonctionnaire.
À en croire un diplomate africain accrédité à Addis-Abeba, on n’en est pas encore là : « Obasanjo, dit-il, jouit d’une réelle autorité morale, et un président en exercice a le droit d’exprimer son désaccord sur une décision de la Commission. Toutefois, au regard des aspirations de son pays à représenter l’Afrique en qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, il aurait dû faire preuve de plus de discernement et éviter de déclarer nulle et non avenue une décision relevant des attributions du président de la Commission, d’autant que ce dernier a respecté la procédure. La nomination de Kenneth Kaunda, le 1er juin, a été préalablement appuyée par le Conseil de paix et de sécurité de l’UA, réuni à Addis, le 27 mai, et le Nigeria, membre de cette instance, y était représenté par son ambassadeur. L’argument de l’absence de consultation ne tient pas la route. »
Davantage que la personnalité de Kaunda ou des membres de la « mission d’information », dont Obasanjo ne fait pas mention, c’est le rôle de médiateur de l’UA dans les différentes crises qui semble en cause. À moins que ce ne soit simplement Konaré lui-même, qui ne s’est pas fait que des amis pendant les dix ans (1992-2002) qu’il est resté à la tête du Mali. Aux yeux de certains de ses pairs, il passe au mieux pour un droit-de-l’hommiste quelque peu rêveur – en tout cas pas toujours réaliste -, au pire pour un donneur de leçons de démocratie et de bonne gouvernance. Au risque de leur donner raison, il refuse de se départir de ses convictions et poursuit son chemin, de la Côte d’Ivoire au Darfour. Le Togo ne peut être une exception, même si c’est la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui est en charge, en vertu des textes qui confient la gestion des conflits aux organisations sous-régionales en « coordination avec le président en exercice et le président de la Commission ».
Reste que la Cedeao est présidée par le Niger, dont tout ou partie de la classe politique n’oublie pas encore le vieux contentieux qui l’oppose à Konaré. Chef de l’État malien, ce dernier avait été en première ligne pour imposer des sanctions contre Niamey au lendemain du putsch du 9 avril 1999 qui avait coûté la vie au président Ibrahim Maïnassara Baré. La crise togolaise a rallumé les vieilles rancoeurs. D’autant que le « volontarisme démocratique » de Konaré est en porte-à-faux avec la démarche des chefs d’État de la région, pressés de trouver une solution au dossier togolais, une issue qui soit « à la fois réaliste et rapide » pour un pays dont la stabilité est capitale pour ses voisins enclavés, déjà pénalisés par la crise ivoirienne qui les prive du port d’Abidjan.
« Une crise durable au Togo impliquant une fermeture du port de Lomé aurait été fatale à l’ensemble des économies des pays de la région. » La complexité du dossier togolais, la faiblesse du poids politique de Mamadou Tandja et le peu d’intérêt accordé par la communauté internationale ont poussé Obasanjo à monter en première ligne. Les divergences à propos du maintien du calendrier électoral et de la régularité du scrutin ont conduit au clash entre le Nigérian et le Malien. Celui-ci donnant le sentiment d’exploiter le fait d’avoir raison avant et sur les autres pour avoir dès le départ manifesté ses réserves sur la présidentielle du 24 avril. Celui-là cherchant à gérer au mieux le conflit post-électoral.
Le 19 mai, à l’initiative d’Obasanjo, un minisommet avait réuni Faure Gnassingbé et les leaders de son opposition autour de plusieurs chefs d’État, en l’absence de Konaré. Ce dernier avait-il décliné l’invitation ? L’hôte du huis clos avait-il oublié de le convier ? En tout cas, la rencontre n’avait pu mettre d’accord les protagonistes togolais, notamment sur la mise en place d’un gouvernement d’union. Régulière ou non, l’élection de Faure Gnassingbé ne pose plus de problème de légitimité du pouvoir togolais, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA ayant d’ailleurs décidé, le 27 mai, de lever toutes les sanctions à l’encontre de Lomé. D’où la question quelque peu abrupte d’Obasanjo : si les nouvelles autorités togolaises remplissent les conditions de participation, si la Cedeao poursuit ses bons offices pour faciliter le dialogue entre les parties togolaises, quel est l’intérêt de nommer un envoyé spécial de l’UA ?
Il y en a apparemment un, puisqu’à l’issue de son tête-à-tête avec le chef de l’État nigérian, le président de la Commission, à en croire son entourage, devrait s’en tenir à sa décision de nommer Kenneth Kaunda. Même si, après avoir rejeté la plate-forme de gouvernement de cinq des six partis de son opposition dite radicale, Faure Gnassingbé a choisi le 8 juin Edem Kodjo comme Premier ministre (voir « L’Homme de la semaine », pages 16-17).

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