Les 4 champions de la lutte contre la pauvreté

Le premier vient d’accéder à la présidence de la Banque mondiale. Les trois autres prendront dans les prochaines semaines la direction d’une grande organisation internationale. Du résultat de leur action dépend le sort de millions de déshérités.

Publié le 13 juin 2005 Lecture : 6 minutes.

Quatre hommes ont entre leurs mains le destin de millions d’autres hommes. Que les pauvres de la planète aient ou non accès à davantage de nourriture, d’eau potable, de médicaments et d’emplois dépendra largement, dans les mois et les années à venir, du talent et de la conviction de Pascal Lamy, de Paul Wolfowitz, de Kemal Dervis et de James Wolfensohn, quatre hommes à la formation, aux idées et aux objectifs très différents. Pour réussir, ils devront travailler ensemble.
Pascal Lamy est français, catholique de gauche, socialiste et européen convaincu. Dix ans durant, il a été le directeur de cabinet de Jacques Delors, l’ancien président de la Commission européenne. Le 1er septembre, lorsqu’il prendra ses fonctions de directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (148 membres), sa mission sera de réduire la pauvreté en libéralisant les échanges internationaux. Et notamment de trouver une issue favorable aux complexes négociations connues sous le nom de « cycle de Doha ».
Les prochains grands rendez-vous de Lamy seront une conférence ministérielle, en Chine, à la mi-juillet (avec la participation d’une trentaine de pays), puis une réunion beaucoup plus importante à Hong Kong, du 13 au 18 décembre, à l’issue de laquelle on espère qu’un accord sur « l’architecture » des relations commerciales mondiales sera conclu.
La principale tâche du directeur général sera de trouver un terrain d’entente entre les Occidentaux et les pays en développement. L’idée est que les premiers cessent de subventionner leurs exportations de produits agricoles (qui mettent sur la paille des millions d’agriculteurs en Afrique et ailleurs) en échange d’un accès plus facile aux marchés des seconds.
Kemal Dervis, turc musulman de mère allemande, prendra le 15 août la tête du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), organisation qui est à la pointe du combat contre la pauvreté. Il aura la responsabilité d’un budget de 3 milliards de dollars et supervisera le travail des représentants de 166 pays. Après vingt-deux années passées à la Banque mondiale, la diplomatie économique internationale n’a plus guère de secrets pour lui. Ministre des Finances de la Turquie, il a sorti son pays de la récession de 2001, jugulé une inflation qui avoisinait les 100 % et jeté les bases économiques d’une éventuelle entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
Ce 1er juin, Paul Wolfowitz a succédé à James Wolfensohn à la présidence de la Banque mondiale, complexe et énorme bureaucratie qui, chaque année, accorde, sous forme de subventions et de prêts, de dizaines de milliards de dollars aux pays en développement.
Wolfowitz et Wolfensohn sont l’un et l’autre juifs, mais la ressemblance s’arrête là. Le premier est républicain et a été nommé par le président George W. Bush, le second est démocrate et ami de Bill Clinton. Austère bureaucrate à la personnalité complexe, Wolfowitz a des prétentions intellectuelles. Ancien pilote de chasse de l’aviation australienne, Wolfensohn est un avocat talentueux, fondateur d’une grande banque, violoncelliste de talent et membre de plusieurs organisations caritatives. C’est une personnalité hors du commun, aux multiples facettes, qui est aujourd’hui à la tête d’une fortune évaluée à plusieurs centaines de millions de dollars.
Son successeur est l’un des principaux néoconservateurs américains, partisan du recours à la puissance militaire pour remodeler le monde, en particulier le Moyen-Orient, conformément aux intérêts des États-Unis et d’Israël. Secrétaire adjoint à la Défense, il a passionnément plaidé pour l’invasion de l’Irak.
Ses adversaires diraient que le renversement de Saddam Hussein était plus un objectif israélien qu’un besoin vital pour l’Amérique. Il est certain que si l’environnement stratégique de l’État hébreu a été fortement amélioré par la destruction de la puissance militaire irakienne, les États-Unis se trouvent embarqués dans une guerre interminable qui a déjà coûté plus de 200 milliards de dollars et fait des milliers de morts et de blessés.
La nomination de Wolfowitz comme président de la Banque mondiale a été, c’est le moins que l’on puisse dire, controversée. Il va être observé de près pour déterminer s’il entend se servir de ses nouveaux pouvoirs pour réduire la pauvreté ou s’il cherche à faire de la Banque l’instrument de la politique étrangère musclée qu’il mettait en oeuvre lorsqu’il était au Pentagone.
Wolfensohn a une tout autre philosophie. Lorsqu’il était président de la Banque mondiale, il dénonçait régulièrement les milliards de dollars dépensés par les pays riches d’Occident pour l’achat d’armements et l’octroi de subventions agricoles. Selon les dernières estimations disponibles, 1 000 milliards de dollars auraient été dépensés en 2004 en matériels militaires. Si cet argent avait été mieux utilisé, il aurait permis d’en finir avec la pauvreté et la maladie dans une bonne partie du monde.
Alors que Wolfowitz a fait – et fait encore – une fixation sur Israël, instinctivement et intellectuellement, Wolfensohn sait que si Israël veut vivre en sécurité, il faut aussi assurer la prospérité et le bien-être des Palestiniens. Alors que les conservateurs israéliens et les néoconservateurs américains ne font rien pour promouvoir l’autonomie palestinienne, Wolfensohn est conscient qu’un État palestinien viable et indépendant est la clé d’une intégration pacifique d’Israël dans la région et de son acceptation par ses voisins arabes.
À son départ de la Banque mondiale, Wolfensohn s’est vu proposer une tâche passionnante par le Quartet (ONU, Union européenne, États-Unis et Russie) qui a conçu la Feuille de route pour la paix au Proche-Orient (on s’en est jusqu’à présent davantage écarté qu’on ne l’a suivie). Il a été chargé de coordonner, au mois d’août, les aspects économiques et politiques du retrait israélien de Gaza. Il doit en particulier s’assurer que lorsque les colons israéliens quitteront le territoire, ils ne détruiront pas l’infrastructure économique mise en place depuis trente-sept ans, notamment les installations industrielles et les milliers d’hectares de serres dont les Palestiniens auront besoin pour relancer leur économie. Le Quartet a donné à Wolfensohn un mandat de six mois, beaucoup trop bref pour la tâche qui lui est assignée. Il est prévu qu’il travaille avec les Palestiniens sur « des réformes et des mesures visant à promouvoir la relance et la croissance économique, la démocratie, la bonne gouvernance et la transparence, la création d’emplois et l’amélioration du niveau de vie ».
Tout au long de sa vie, Wolfensohn n’a jamais accepté la défaite. Ses rapports avec les Israéliens et les Palestiniens de Gaza dans les mois à venir donneront la mesure de son talent et de sa ténacité. Si les Palestiniens – y compris le Hamas – sont raisonnables, ils coopéreront au maximum. Il est pour eux le meilleur espoir d’un avenir meilleur.
Dans moins d’un mois (6-8 juillet), les dirigeants du G8 – les sept pays les plus industrialisés de la planète plus la Russie – se retrouveront à Gleneagles, en Écosse. Le Sommet sera présidé par le Premier ministre britannique, actuel président du G8. Tony Blair se propose d’accorder la priorité à l’allègement de la dette des pays africains les plus pauvres et à une action concertée pour lutter contre le réchauffement climatique. Wolfensohn n’a pas été invité, mais il a l’intention d’être présent. Pour tenter d’imposer son propre ordre du jour, ou, du moins, d’ajouter un ou deux points à celui de Blair. Et comme il sait se montrer persuasif et qu’il est très à l’aise avec les riches et les puissants, il peut très bien arriver à ses fins. Actuellement, il s’efforce de créer un fonds de 3 milliards de dollars pour relancer l’économie de Gaza, ruinée par l’occupation israélienne. Et il veut le soutien du G8. À cet effet, il s’efforcera d’attirer de nouveau l’attention sur le processus de paix au Proche-Orient, dont Blair avait promis de faire sa priorité, mais qui a été quelque peu occulté par l’accent mis sur l’Afrique et le réchauffement climatique.
Bush, de son côté, a été détourné de la difficile tâche du règlement du conflit du Proche-Orient par sa nouvelle campagne sur « l’extension de la démocratie ». Ce qu’il appelle « la marche en avant de la liberté ». Au moment où Israël rassemble ses énergies pour une évacuation de Gaza dont tout le monde espère qu’elle se fera en bon ordre, Wolfensohn pourrait bien être l’homme en vue des semaines à venir.

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