Kafo Jiginew, la banque des paysans

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Kafo Jiginew, « l’union des greniers » en bambara, est une success story. Créée en octobre 1987 avec l’appui de la Fondation du Crédit coopératif, de quatre ONG et de l’Union européenne, Kafo Jiginew est un réseau mutualiste de caisses d’épargne et de crédit essentiellement implanté au sud du Mali. Sa particularité : la ruralité. C’est une banque créée par les paysans et qui leur appartient. « Au début, personne n’y croyait, se souvient Alou Sidibé, directeur général. Les gens pensaient que des paysans qui ne savent ni lire ni écrire sont incapables de s’engager dans cette démarche. Mais le résultat est là. » Avec 130 caisses locales, 190 000 sociétaires (contre 50 caisses et 32 000 sociétaires en 1994) et plus de 11 milliards de F CFA de ressources, Kafo a atteint l’équilibre financier et opérationnel. Son équipe dirigeante est entièrement malienne depuis 1994 et l’institution est aujourd’hui le premier organisme de microfinance du pays.
« Au Mali, le taux de bancarisation est d’environ 3 %, indique Alou Sidibé. L’accès des populations les plus démunies aux services bancaires est une condition sine qua non du développement. » Kafo offre à ses membres un accès au crédit, à l’épargne et à certains services financiers, par exemple les virements ou les dépôts de salaire pour les producteurs de coton. Grâce à un accord avec la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT) et la Banque nationale de développement agricole (BNDA), le prix de la récolte de coton d’un paysan peut lui être versé directement sur son compte chez Kafo Jiginew. « C’était inimaginable il y a dix ans, explique Alou Sidibé. Le producteur tenait à toucher son argent en liquide. Le fait que cette somme soit directement bloquée sur son compte lui permet de mieux la gérer. Notamment, en limitant les « mauvais crédits », ceux faits aux parents ou amis, qui, dès que le prix de la récolte arrive, courent chez le chef de famille lui demander un prêt. »
Les dépôts peuvent être rémunérés jusqu’à 4 % par an. Quant à la durée du crédit, elle varie généralement de un à douze mois. Sauf pour le crédit d’équipement (trois ans avec un taux d’intérêt de 1,5 % par mois, soit 1 % de moins que les crédits courts). Le niveau élevé des taux d’intérêt est dicté par la nécessité de faire de Kafo un système rentable. Cet aspect du système est souvent critiqué. « L’accès à l’épargne et aux services financiers est une très bonne chose, estime Aminata, responsable associative. Mais je suis plus sceptique quant à l’impact du crédit en termes de créations d’emploi. Quelle activité villageoise, hormis le commerce, peut permettre de dégager suffisamment de revenus pour payer 25 % d’intérêt par an ? » De fait, si le système de Kafo fonctionne bien (le taux de remboursement est de 93 %), c’est en partie parce que ses membres sont dans leur grande majorité des planteurs de coton encadrés par la CMDT, qui garantit l’écoulement des récoltes. Dans d’autres régions rurales, les risques sont plus importants. « Et les crédits plus rares ou alors essentiellement destinés à la consommation, indique un coopérant chargé d’un projet de développement rural. Compte tenu des impératifs de rentabilité immédiate du modèle capitaliste, la capacité du microcrédit, tel qu’il existe actuellement, de créer des petites activités économiques productives est finalement limitée. »
En zone urbaine, la donne est différente. C’est pourquoi Kafo a décidé de s’y implanter, afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’activité cotonnière, en crise depuis la chute des cours mondiaux de la fibre. À Bamako, ils sont nombreux à avoir pu financer leur activité grâce à Kafo. Comme Boubacar Doumbia et ses associés, qui ont créé une petite société de production d’acide de batterie. Ils ont ouvert un compte chez Kafo en 2001 et ils en sont à leur troisième crédit, environ 500 000 F CFA, chaque fois pour douze mois. « Cela nous a permis de constituer un fonds de roulement, indique Doumbia. Hormis Kafo, aucune banque n’a jamais voulu nous accorder de prêt. Depuis 2001, nous avons doublé notre production. » Pour l’Association locale des veuves de la commune IV, à Bamako, qui a créé un jardin d’enfants, Kafo représente « un endroit sûr pour conserver notre épargne. Il a également permis à trente de nos femmes d’accéder à des petits financements pour faire du commerce, indique la présidente. Cela leur permet de survivre et de préserver leur dignité et celle de leurs enfants. Les veuves sont souvent menacées dans notre société ». De quoi encourager les défenseurs de la microfinance pour qui le système associe les avantages de la rigueur financière et une approche humaniste.

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