Francesco Frangialli

Le secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme peut être satisfait : l’aggravation du sentiment d’insécurité lié au terrorisme ne s’est pas accompagnée d’une baisse de l’activité. Bien au contraire.

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Né à Paris en 1947, d’un père italien et d’une mère française, marié depuis 1978 à une diplomate finlandaise, père de trois enfants âgés de 20 à 25 ans, Francesco Frangialli, énarque, magistrat à la Cour des comptes (en disponibilité), a été élu à la tête de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), une institution spécialisée des Nations unies, lors de l’assemblée générale d’octobre 1997, à Istanbul, puis reconduit en septembre 2001, à Séoul, pour un nouveau mandat de quatre ans. Sa mission devrait donc s’achever à la fin de l’année. Francesco Frangialli est cependant candidat à sa propre succession, mais il devra, au préalable, être coopté par les membres du Conseil exécutif, les 13 et 14 juin, à Sofia, en Bulgarie, puis confirmé à son poste à la fin de novembre, à Dakar. « C’est la première fois que l’OMT réunira son assemblée générale sur la terre africaine », souligne-t-il. En promettant de choisir un secrétaire général adjoint issu du continent. Entretien.

Jeune Afrique/L’Intelligent : Comment le tourisme a-t-il réagi à la recrudescence des attentats terroristes ?
Francesco Frangialli : J’ai accompagné le ministre tunisien du Tourisme et de l’Artisanat sur l’île de Djerba, cible d’un attentat terroriste en avril 2002. Cette zone touristique vient de retrouver son activité de 2001. Il faut le reconnaître : le tourisme a montré une extraordinaire capacité de résistance aux chocs. Durant les quatre dernières années, nous avons été confrontés à plusieurs drames : les attentats du 11 septembre, la guerre en Afghanistan et en Irak, la recrudescence de la violence au Moyen-Orient, des actes de terrorisme un peu partout dans le monde [Bali, Madrid, Mombasa, Istanbul…], dont les touristes ont souvent été la cible, des épidémies [sras…], des catastrophes naturelles [tsunami au Sud-Est asiatique]…
Pourtant, loin de s’effondrer, cette activité a connu une période de flottement entre 2001 et 2002, mais sans baisse notable, puis une croissance de 10 % en 2003 et en 2004, qui a même atteint 20 % au Moyen-Orient. L’Asie a enregistré, elle aussi, des résultats très positifs.
J.A.I. : L’aggravation du sentiment d’insécurité ne s’est donc pas accompagnée d’une baisse de l’activité touristique. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
F.F. : Il y a eu comme un phénomène d’accoutumance ou de résignation. Les gens ne se sentent plus en sécurité nulle part. Ils savent que tout peut arriver partout. Et à tout moment. Je vis personnellement à Madrid, où je me suis toujours senti en sécurité. Pourtant, la ville a été le théâtre d’un attentat sanglant en mars 2004. On a tendance à penser qu’en période de difficultés économiques les hommes cherchent d’abord à subvenir à leurs besoins vitaux (habitat, alimentation, santé, etc.) au détriment du superflu, donc, en particulier, des voyages. Ce raisonnement, qui tient de la logique économique, ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. Car le besoin de se divertir et de voyager est devenu aussi urgent que celui de manger et de se soigner. Les gens ne renoncent plus à leurs vacances. Ils peuvent réduire la durée de leurs séjours à l’étranger ou leurs dépenses, mais ils ne se privent pas de voyage.
J.A.I. : Comment se présente l’année 2005 ?
F.F. : Si l’on en juge par l’état des réservations, elle s’annonce sous de bons auspices. Sans être aussi bonne que 2004, qui affichait une augmentation de 10 %, ce ne sera sans doute pas une mauvaise année pour autant. En nous fondant sur les prévisions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, nous pouvons raisonnablement tabler sur une croissance de 5 %.
J.A.I. : Cette croissance concernera-t-elle toutes les régions ?
F.F. : L’Asie restera la locomotive du tourisme mondial. Le choc du tsunami, survenu fin décembre 2004, sera totalement absorbé, et nous assisterons, d’ici à la fin de l’année, à un retour à la normale dans les quatre pays affectés (Indonésie, Thaïlande, Sri Lanka et Maldives). La Chine enregistrera bientôt 48 millions d’entrées et se classera quatrième, après la France, l’Espagne et les États-Unis, mais avant l’Italie, dont le nombre de visiteurs se stabilisera aux alentours de 37 millions. La Chine sera, par ailleurs, l’un des plus importants marchés émetteurs. D’ici à la fin de 2005, 22 millions de Chinois se rendront dans les diverses « destinations approuvées » par le gouvernement de Pékin. Leur liste comprend la plupart des pays du Sud-Est asiatique, mais aussi ceux de l’Union européenne et certains pays d’Afrique, comme la Tunisie et l’Égypte. Selon nos prévisions, la Chine deviendra, en 2020, la première destination mondiale. De même, 100 millions de Chinois voyageront chaque année à travers le monde. Le secteur doit donc s’organiser pour répondre aux attentes de cette nouvelle clientèle.
J.A.I. : Quelle sera la part de l’Afrique ?
F.F. : L’Afrique représente 4 % des entrées touristiques mondiales et seulement 2 % des recettes globales du secteur. La moitié de ces entrées et recettes profite à l’Afrique du Sud, à la Tunisie et au Maroc. On imagine la part laissée aux autres pays du continent. Cette situation ne nous satisfait guère, car l’Afrique a un grand potentiel. Proche de l’Europe, premier marché émetteur, elle possède plusieurs créneaux intéressants, comme l’écologie et la culture, toutes deux en pleine croissance.
Les obstacles qui entravent le développement du tourisme en Afrique sont connus : insécurité sanitaire, infrastructures insuffisantes et, surtout, une image très négative dans l’opinion internationale à cause de la persistance des conflits et des épidémies. L’OMT a mis en route, il y a trois ans, un programme spécial pour inverser la tendance : le ST-EP (Sustaining Tourism for Elimination of Poverty). Deux fondations ont été créées en Corée du Sud et aux Pays-Bas. Leur mission : développer des projets touristiques dans 49 pays pauvres, en majorité africains. Les premiers démarreront bientôt en Éthiopie, au Cameroun, au Mali et en Zambie. D’autres sont prévus au Ghana, au Nigeria et au Sénégal.
J.A.I. : Et le Moyen-Orient ?
F.F. : Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, la guerre en Irak, le conflit du Proche-Orient et les attentats en Égypte n’ont pas réduit l’intérêt des touristes pour cette région qui, en 2004, a vu ses entrées globales s’accroître de 20 %. Pour étonnant qu’il soit, ce phénomène s’explique. D’abord, la région possède un potentiel considérable, insuffisamment exploité jusque-là. Ensuite, le tourisme intrarégional s’est beaucoup développé. Les ressortissants des pays du Golfe, qui jouissent d’un niveau de vie élevé, se rendent de moins en moins aux États-Unis et en Europe, au vu des difficultés croissantes que rencontrent leurs demandes de visa. Ils recherchent un environnement plus familier et manifestent un engouement pour les séjours proposés dans les montagnes du Liban, sur les rives de la mer Rouge, au Maroc… Par ailleurs, certains États dépourvus de tradition touristique sont devenus, en quelques années, des destinations prisées des Européens, comme Dubaï et Oman. D’autres se sont engouffrés dans la brèche : le Qatar, Bahreïn et le Koweït.
J.A.I. : À part l’« éveil » de la Chine, quelles seront les tendances du tourisme mondial au cours des vingt prochaines années ?
F.F. : Si les flux touristiques se concentrent trop sur un endroit, ils peuvent, bien sûr, menacer la biodiversité et le patrimoine archéologique ou susciter des comportements répréhensibles, comme l’exploitation sexuelle des enfants. Le tourisme reste, cependant, l’un des vecteurs positifs de la globalisation. Il favorise la réduction de la pauvreté, le dialogue entre les peuples et la compréhension entre les mondes islamique et occidental.

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