En attendant l’or noir

Alors que le débat politique semble s’apaiser, les premiers effets du boom pétrolier se font déjà sentir. L’heure est à la mobilisation des énergies en faveur du développement économique et social.

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Nouakchott, mai 2005. Le vent qui souffle sur la capitale mauritanienne aura beau être accompagné des habituels tourbillons de sable, il ne laissera quasiment plus cette impression d’inconfort à laquelle le visiteur est accoutumé. Car il est désormais chargé d’espoir, celui de passer d’une pauvreté endémique à une ère de prospérité. Dans l’Atlantique, à 90 kilomètres au sud-ouest de Nouakchott, des techniciens de la compagnie australienne Woodside s’activent jour et nuit pour faire jaillir le pétrole des six puits forés à une profondeur de 800 mètres au fond de l’océan. Même s’il n’est pas encore définitivement fixé, le jour J où la Mauritanie produira son premier baril de pétrole devrait se situer au premier trimestre de 2006. Alors qu’elle vit une période charnière de son histoire, dans quel état se trouve cette nation qui compte un peu moins de 3 millions d’habitants pour un territoire deux fois plus vaste que la France, à cheval sur le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest ?
Avant même que les pétrodollars n’irriguent son circuit économique, la Mauritanie affiche un taux de croissance assez élevé. Certes, l’invasion de criquets de 2004 et le déficit pluviométrique ont sérieusement affecté la production agricole dont la baisse, estimée à 43 % l’an dernier, a nécessité le lancement d’un appel à une aide alimentaire d’urgence auprès de la communauté internationale. Mais d’autres facteurs, comme la hausse des cours mondiaux du fer et les investissements dans l’exploration pétrolière et minière, ont permis de redresser la barre. Déjà, le gouvernement prévoit une hausse du Produit intérieur brut (PIB) d’environ 6 % en 2005. « Avec le démarrage de l’exploitation pétrolière, nous nous attendons à une croissance à deux chiffres en 2006 », déclare Sidi Ould Didi, ministre des Affaires économiques et du Développement. Les premiers effets de cette manne tant attendue se font déjà sentir : les appels d’offres pour la fourniture de services pétroliers se multiplient tout comme, depuis plusieurs mois, les embauches dans les compagnies pétrolières. Des villas meublées surgissent des sables de Nouakchott pour abriter les dizaines de techniciens et d’experts qui travaillent dans les hydrocarbures ou les mines ou pour les sociétés de services pétroliers qui se créent. Le secteur du bâtiment prospère et le prix du mètre carré est monté en flèche dans le quartier des ambassades. Petit à petit, les chaussées goudronnées chassent les pistes ensablées qui caractérisent encore les rues de la capitale. Revers de la médaille, l’inflation a redémarré en 2004 : 16 % contre 4 % en moyenne les années précédentes. Avril a aussi enregistré une hausse de 11 % pour le gasoil et de 20 % pour le gaz butane. Cette tendance pourrait se confirmer, car la consommation de produits importés va suivre le boom pétrolier et le pays s’est engagé dans une politique d’adaptation aux lois du marché et de vérité des prix.
Sur le plan politique, la Mauritanie semble encore chercher sa voie pour instaurer sa démocratie, mais d’ores et déjà, l’atmosphère est à la détente et à l’ouverture. Le verdict rendu le 3 février 2005, à l’issue du procès des trois complots de 2003 et 2004, est unanimement considéré comme un « signe d’apaisement » de la part du pouvoir. Durant la première quinzaine d’avril, les militaires occupaient la rue, mais c’était pour participer à une campagne visant à débarrasser la capitale de ses déchets et, au-delà, montrer que l’armée est au service des citoyens.
La page du procès des militaires et politiciens jugés pour tentatives de putsch est donc en passe d’être tournée. Conséquence de la clémence du verdict, les acteurs politiques ont échangé des gestes de bonne volonté. En témoigne le climat d’ouverture et de décrispation qui s’est instauré avec la tenue d’un Forum des valeurs démocratiques et de citoyenneté les 11 et 12 avril dernier, à l’initiative du Rassemblement pour la démocratie et l’unité (RDU, majorité présidentielle). Huit partis politiques de la mouvance présidentielle (y compris le Parti républicain démocratique et social, au pouvoir) et de l’opposition parlementaire, ainsi qu’un bon nombre d’organisations de la société civile, sont parvenus à s’entendre pour demander une concertation permanente avec le pouvoir afin de prendre toutes « les mesures utiles pour l’amélioration du jeu démocratique ». L’événement a été salué par Maaouiya Sid’Ahmed Ould Taya : « L’opposition et la majorité présidentielle se sont rencontrées, et pourtant le ciel ne nous est pas tombé sur la tête ! » s’est-il exclamé le 28 avril à Akjoujt, en reprenant à son compte le commentaire d’un responsable de parti. Les plus optimistes estiment qu’on assiste à l’ébauche d’une société démocratique et, peut-être, à la fin d’un état d’esprit parfois trop marqué par une tendance à l’obsession sécuritaire. La nécessité de renforcer la cohésion et la stabilité sociale du pays pour attirer les investisseurs étrangers et les contraintes du nouvel environnement international militent en faveur d’une telle évolution. Le président Ould Taya, réélu en novembre 2003 pour six ans, a rappelé son engagement en ce sens : « Tous les pays aujourd’hui s’orientent vers la démocratie, a-t-il souligné en mars, dans un discours improvisé lors d’un sommet qui s’est tenu à Madrid sur la démocratie, le terrorisme et la sécurité. C’est pourquoi il faut les aider, s’abstenir de les déstabiliser, de les bousculer, et les encourager à y aller au rythme qui correspond à leur situation. Tous ne peuvent pas du jour au lendemain devenir des États de droit entièrement démocratiques s’ils ne savent pas ce qu’est la confrontation d’idées. »
Sur le plan diplomatique, et à la veille de l’ère pétrolière, la Mauritanie s’emploie à mieux s’intégrer dans son environnement régional, qu’il soit ouest-africain, maghrébin ou méditerranéen. Au cours des derniers mois, le président Ould Taya a multiplié les déplacements. À l’intérieur du pays, il se taille un profil de réformateur en s’attaquant aux tares ancestrales de la société. Lutte contre la pauvreté, émancipation de la femme, alphabétisation, éducation et formation, modernisation de l’administration ponctuent ses discours. À l’extérieur, outre sa participation aux sommets de Madrid et d’Alger en mars, il s’est rendu en visite au Sénégal et au Mali, ses partenaires dans l’Office de mise en valeur de la vallée du fleuve Sénégal (OMVS), ainsi qu’en Gambie. Jadis furtive escale pour les dirigeants étrangers en tournée dans la région, Nouakchott est devenu une destination à part entière pour les missions ministérielles ou économiques, qui s’y succèdent au rythme d’au moins une par semaine. Et à la faveur du boom pétrolier, la Mauritanie veut faire de sa double appartenance sahélienne et maghrébine un facteur de rapprochement et un atout supplémentaire pour accompagner la nouvelle ère.

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