Dominique de Villepin un poète en politique

Passionné de littérature, le nouveau Premier ministre n’a aucune expérience économique et n’a jamais sollicité les suffrages des électeurs. Pas vraiment idéal pour relancer la croissance et apaiser la grogne sociale !

Publié le 13 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

La France assiste à un spectacle fascinant : Dominique François René Galouzeau de Villepin dans le rôle de Premier ministre. Quoi qu’on puisse en penser par ailleurs, l’exercice ne manquera pas de piquant. Cela tient en partie aux circonstances dans lesquelles le nouveau chef du gouvernement arrive à Matignon. La classe politique française a pris un grand coup derrière la tête avec sa tragique défaite au référendum du 29 mai sur la Constitution européenne. Jacques Chirac, dont la cote de popularité est en chute libre (voir graphique), tente de défendre la place de la France en Europe et de se sortir de la plus grave crise qu’il ait connue depuis son accession à la présidence, il y a dix ans. Mais le spectacle est rehaussé par la personnalité à facettes de monsieur de Villepin lui-même. Il y a quelques années, Denis Healey, l’ancien chancelier de l’Échiquier britannique, déclarait que les hommes politiques avaient tout intérêt à cultiver leur « jardin secret ». Dans le cas de Villepin, ce serait plutôt l’inverse : son jardin secret semble si vaste qu’il occulte tout le reste.
Avec ses allures de grand seigneur et sa chevelure d’argent, cet homme d’action de 51 ans passe pour un poète habile à manier le verbe. Qu’il coure des marathons, joue au tennis, peigne des aquarelles, cultive des roses ou écrive des essais sur Napoléon, il déborde d’activité. Pendant les deux ans où il fut ministre des Affaires étrangères, il s’est rendu à cent trente reprises à l’étranger. Et il trouvait encore le temps de composer des vers à l’arrière d’un hélicoptère militaire, avant d’aller négocier avec les chefs rebelles de Côte d’Ivoire ! « Du fond de mes poches, épousant le revers de ma blouse, enfouie dans les recoins, la poésie a jailli, griffonnée sur des bouts de papier », écrivait-il dernièrement.
Villepin est un homme que « le quotidien ennuie, la médiocrité déprime et l’adversité revigore », selon Nicolas Sarkozy, le populiste président de l’UMP, qui revient au gouvernement en tant que Premier ministre bis. Le premier défi que devra relever le nouveau Premier ministre est de répondre à la colère que les électeurs français ont exprimée lors du référendum. La priorité des priorités est de réduire le chômage, dont le taux est actuellement supérieur à 10 %. L’incapacité persistante des gouvernements, de gauche comme de droite, à résoudre ce problème malgré une cascade de plans successifs a ruiné l’autorité de toute la classe politique. Commentaire acerbe de l’économiste Nicolas Baverez : « Tout a été tenté pour résoudre le problème du chômage, hormis ce qui marche. »
Dès le 31 mai au soir, dans une interview télévisée, Villepin a évoqué avec force « l’absolue nécessité » de restaurer la confiance du peuple français en son avenir. Le lendemain, il est allé dans une agence pour l’emploi de la triste banlieue de Serris, où il a fait le serment de s’attaquer au fléau du chômage avec « détermination, enthousiasme et pragmatisme ».
Hélas ! en dépit de son indéniable panache, il ne semble pas être l’homme de la situation pour résoudre les difficultés économiques de la France et calmer la grogne sociale. Même s’il fut, de manière assez surprenante, un ministre de l’Intérieur plein de détermination, il n’a pas d’expérience directe de la politique économique. Plus grave encore, au moment où l’on reproche aux hommes politiques d’être coupés du peuple, Villepin l’aristocrate souffre du double handicap de n’avoir jamais été élu au suffrage universel et de ne pas bénéficier du soutien sans réserve – c’est un euphémisme – des députés UMP. Un grand nombre d’entre eux ne lui ont toujours pas pardonné d’avoir, en 1997, donné à Chirac le désastreux conseil de dissoudre l’Assemblée et d’organiser de nouvelles élections – une décision qui coûta leur poste à nombre de ses anciens collègues.
Il devra également cohabiter avec Sarkozy, son grand rival pour l’élection présidentielle de 2007, qui, en tant que président de l’UMP, possède une grande influence sur la majorité parlementaire. Le Premier ministre a déclaré s’être « réjoui » du retour de « Sarko » au gouvernement, mais personne n’est dupe : il est de notoriété publique que les deux hommes se détestent.
Il serait néanmoins hasardeux de n’accorder à Villepin aucune chance de succès, aussi lourds que paraissent les défis auxquels il est confronté. Lui qui brûle de redonner à la France un peu de sa gloire passée apportera sans doute au gouvernement ce nouvel élan qui lui fait tellement défaut. L’affaiblissement de l’euro, conséquence des non français et néerlandais à la Constitution, et quelques incitations fiscales pourraient, au moins provisoirement, relancer la croissance économique. Pour le moment, Villepin est populaire ; bien plus que son prédécesseur, l’infortuné Jean-Pierre Raffarin.
Né au Maroc en 1953, Villepin a passé la plus grande partie de sa jeunesse à l’étranger, nourri de littérature et d’un attachement romantique à sa lointaine patrie. On raconte que sa mère lui glissait des poèmes dans la poche pour qu’il les lise pendant la récréation. « J’ai rêvé de la France avant de la connaître », a-t-il déclaré un jour.
Il rentre en France pour continuer ses études, suit la voie classique du politique ambitieux, passe par la prestigieuse École nationale d’administration (ENA), s’élève dans la hiérarchie de la fonction diplomatique et gravite autour des vedettes politiques. Et de Chirac en premier lieu, dont il sera le directeur de cabinet au cours de son premier mandat présidentiel. En récompense de sa loyauté, il est nommé en 2002, en pleine période de tension internationale, ministre des Affaires étrangères. C’est à ce titre qu’il est propulsé sur le devant de la scène internationale. En février 2003, son discours devant le Conseil de sécurité des Nations unies, au cours duquel il dénonce en termes enflammés le recours à la force contre l’Irak, est exceptionnellement applaudi par les diplomates qui l’écoutent. Il lui vaut aussi l’admiration de la majorité des Français et… l’animosité durable de l’administration américaine, ce qui pourrait être un handicap supplémentaire dans sa nouvelle fonction.
Même ses partisans admettent qu’il lui arrive de se laisser aller à ce péché mignon du chiraquisme : beaucoup d’esbroufe pour peu de réflexion. D’autres prétendent que ses nobles élans sont bons pour des temps héroïques aujourd’hui révolus. Mais Dominique de Villepin affirme que seul compte le présent. « Nous avons tous rêvé de vivre à d’autres époques, celles des grandes découvertes, des mousquetaires ou de la révolution, écrit-il dans son essai politique, Le Requin et la mouette. Dans chaque âge, nous devons trouver la force de lutter contre le destin. Mais existe-t-il une époque plus fascinante, plus tumultueuse que la nôtre ? »

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