Dix ans pour réagir

Chaque année, le fossé se creuse entre ce que l’humanité consomme quotidiennement et ce que la Terre peut lui offrir. Pour les générations futures, la facture ne cesse de s’alourdir.

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

L’homme exploite la planète bien au-delà de ce qu’elle peut donner. Cet implacable constat, les scientifiques l’obtiennent à partir de ce qu’ils appellent l’« empreinte écologique », un nouveau concept qui permet de mesurer la consommation individuelle, inévitablement fonction du mode de vie propre à chaque société, en équivalent de surface de terre cultivable et d’océan exploitable. Celle d’un Nord-Américain, par exemple, s’évalue à 10 hectares en moyenne. S’il prenait envie à chacun d’imiter ce dilapidateur invétéré, cinq planètes suffiraient à peine. Plus préoccupant encore, alors que la pression sur les ressources continue de croître, y compris dans les pays riches, le capital naturel se dégrade. Il y a dix ans, l’empreinte écologique durable disponible par personne était estimée à 2 hectares, aujourd’hui elle n’est plus que de 1,8 hectare. Pour l’association écologiste World Wildlife Fund, la demande a « dépassé l’offre au début des années 1980. Le drame est que, depuis maintenant plus de vingt ans, l’homme puise dans son capital naturel ».
Déforestation, érosion des sols, épuisement de certaines espèces de poissons, pollution des terres, de l’air et de l’eau : autant de symptômes de la dégradation accélérée des écosystèmes, donc des ressources disponibles. L’humanité fonce dans le mur. Tout ce que l’on considère comme gratuit depuis la nuit des temps, à commencer par l’eau potable et l’air pur, devient hors de prix. Les menaces sur la biodiversité figurent aussi parmi les grandes préoccupations de ce siècle. Les scientifiques réunis à Paris, en janvier dernier, pour une conférence internationale sur la biodiversité ont lancé un cri d’alarme : « Le rythme d’extinction des espèces vivantes est mille fois supérieur à la moyenne observée dans le passé. D’ici moins de cinquante ans, près d’un tiers des espèces, aussi bien végétales qu’animales, pourrait avoir disparu de la surface de la Terre. » Bouleversement climatique, destruction des habitats naturels, pollution, prédation… Les causes ne manquent pas à cette gigantesque hécatombe. Notre génération a l’honneur, un honneur dont elle se passerait bien, d’assister en direct à la sixième grande disparition d’espèces vivantes de l’histoire de la Terre, la dernière étant celle des dinosaures, il y a 65 millions d’années.
Les exemples abondent, de pratiques qui conduisent au désastre. En Ouzbékistan, depuis 1960, l’irrigation de la monoculture du coton a fait perdre à la mer d’Aral les deux tiers de son volume, et le peu qui reste, saturé de sel, interdit toute vie, entraînant la disparition de la pêche avec celle du poisson. Quant au lac Tchad, jadis le quatrième de l’Afrique par la superficie, il ne cesse de rétrécir et semble voué à la disparition. En trente-cinq ans, sa surface s’est réduite de 90 %… Phénomène moins médiatisé, mais tout aussi avéré : de nombreux fleuves sont à sec. Ainsi, les habitants de San Diego et de Los Angeles, en pompant en grande quantité les eaux du Colorado, ont provoqué son assèchement complet sur une centaine de kilomètres, à l’entrée de l’estuaire. Autre drame : la déforestation qui, à l’échelle de la planète, voit disparaître chaque année l’équivalent de la Grèce en surface boisée. La forêt indonésienne, une des plus touchées, a déjà diminué d’un quart en cinquante ans. Les faits sont parfois moins spectaculaires. D’après la FAO, la salinisation due à une irrigation mal contrôlée « réduit les superficies irriguées du monde de 1 % à 2 % par an ». Enfin, 10 millions d’hectares de terres cultivables sont abandonnés chaque année à cause de l’érosion des sols, alors qu’il faut cinq cents ans pour reconstituer une couche de 2,5 cm de terre fertile sur un sol devenu aride.
Et comme la pollution et la quantité de déchets s’accroissent, la facture pour les générations futures ne cesse de s’alourdir. Le cas du sac plastique est bien connu. Pour un quart d’heure d’utilisation, il met entre cent et quatre cents ans à se dégrader. Les pays industrialisés produisent environ cent millions de tonnes de déchets dits dangereux chaque année, dont bien peu sont correctement recyclés. La remise en état des anciens sites industriels pollués, la destruction des barrages en fin de vie, remplis d’alluvions chargées de métaux lourds, le désamiantage des navires à l’abandon, le démantèlement des centrales nucléaires, constituent autant de cadeaux empoisonnés pour nos descendants. Le militaire n’est pas en reste, entre les installations russes à l’abandon et les dégâts sur l’environnement causés par les guerres aériennes des États-Unis. Le rapport du 10 janvier 2001 du Conseil de l’Europe sur les conséquences de la guerre en Yougoslavie pour l’environnement de l’Europe du Sud-Est constate qu’en raison des bombardements, « les écosystèmes, les eaux de surface et souterraines, le sol et l’air des Balkans ont été soumis à des contaminations sans précédent, imputables à plus de cent catégories de substances toxiques ». Il rappelle qu’au « sud de l’Irak, l’utilisation de l’uranium appauvri par les armées de la coalition a comme effets un développement de maladies congénitales ainsi que de leucémies et d’autres formes de cancer chez les enfants. Les mêmes problèmes apparaissent en Bosnie-Herzégovine, où des obus à uranium appauvri ont été employés en 1995 ». Pour les habitants de nombreuses régions du globe, le souci pourtant légitime d’avoir un sol suffisamment propre pour être cultivé et une eau de bonne qualité paraît de plus en plus irréaliste.
À ces drames régionaux s’ajoute le risque de plus en plus probable de grands bouleversements à l’échelle mondiale, comme le changement climatique. À ce sujet, un récent rapport de l’Institut anglais de recherche sur les politiques publiques affirme qu’en moins de dix ans le point de non-retour peut être atteint. La hausse attendue de la température moyenne du globe de 1,6 à 5,8 °C, voire plus, d’ici à la fin du siècle, aura pour conséquences des sécheresses majeures, des pénuries d’eau, la disparition de forêts, des difficultés dans l’agriculture, une montée du niveau des mers, une recrudescence des maladies. Cent cinquante millions de personnes au minimum devront être déplacées, particulièrement sur les zones côtières. Un milliard de personnes n’ont déjà plus accès à l’eau potable. Le nombre de pays en situation de pénurie devrait doubler d’ici à 2050. Or la destruction des écosystèmes affaiblit les remparts contre les catastrophes naturelles. Dans ces conditions, l’avenir paraît plutôt sombre. Malgré les mises en garde répétées des scientifiques, le développement durable n’est que très marginalement pris en considération dans les politiques publiques. Devenu gouverneur de Californie, l’acteur Arnold Schwarzenegger a pris cette tendance à contre-pied en signant, le 1er juin dernier, un décret destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Endossant le rôle de sauveur de l’humanité, le célèbre monsieur Muscle américain a pris l’engagement ferme de les ramener au niveau de l’an 2000 en 2010, puis à celui de 1990 en 2020 avant de diminuer ce dernier de 80 % en 2050. Rappelons qu’il dirige l’un des États américains les plus peuplés et les plus pollués. Reste à espérer que son exemple sera suivi… Car il faudrait des milliers de Schwarzenegger pour sauver la planète !

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