Crédit grandissant

Plus de 10 000 institutions, 60 millions de bénéficiaires, entre 500 millions et 1 milliard de dollars de prêts annuels. L’accès des plus démunis aux services financiers n’est plus un voeu pieux.

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 6 minutes.

« Comment construire une maison si vous ne pouvez pas emprunter d’argent ? » La question est posée par les Nations unies à l’occasion de l’Année internationale du microcrédit. Ces dernières années, l’accès aux services financiers est devenu une composante importante des stratégies de lutte contre la pauvreté. Le sujet est au coeur de la conférence internationale qui se tiendra les 20 et 21 juin, à Paris. Il sera également à l’ordre du jour du prochain sommet du G8, en juillet, en Écosse, et de la réunion extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU sur les Objectifs du millénaire, en septembre. Pourtant, jusqu’au milieu des années 1970, l’idée de prêter directement aux « pauvres » était jugée trop risquée ou impraticable. Seules quelques ONG s’y aventuraient. Jusqu’à ce qu’un jeune professeur d’économie, Muhammad Yunus, torde le cou à ces préjugés. Constatant qu’une somme minime d’argent est souvent suffisante pour démarrer une petite activité économique et engendrer un cercle vertueux de développement, il crée une banque indépendante, la Grameen Bank, et milite pour que l’accès au crédit soit reconnu comme un droit universel. Le succès est immédiat et ne se dément pas. L’institution compte plus de 4 millions de clients, près de 1 400 succursales et travaille dans plus de 50 000 villages. L’impact sur l’amélioration des conditions de vie est palpable. Au Bangladesh, selon la Banque mondiale, 48 % des ménages les plus pauvres ayant accès au microcrédit sont sortis de l’indigence. Les femmes, premières clientes, ont gagné en autonomie et vu leur statut s’améliorer. Forte de ces réussites, la Grameen Bank a pu diversifier ses produits : aides au logement, à la santé, bourses d’études, systèmes d’assurance-vie… Autant d’innovations qui témoignent de l’évolution du secteur vers la microfinance, un terme qui désigne un ensemble de services financiers – microcrédit, épargne, assurance, transfert d’argent…
Aujourd’hui, on dénombre plus de 10 000 institutions de microfinance (IMF), 60 millions de bénéficiaires et entre 500 millions et 1 milliard de dollars de crédits annuels. Le potentiel est gigantesque : la moitié de la population mondiale, soit environ 3 milliards de personnes, est exclue du système bancaire traditionnel. Présente sur les cinq continents, la microfinance progresse partout. Les pays riches ne font pas exception. Eux aussi ont leurs pauvres. En France, plusieurs institutions gèrent des initiatives dites de « finance solidaire ». La plus ancienne et la plus importante, l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), a accordé, depuis 1990, environ 25 000 prêts permettant la création de presque autant d’entreprises et d’emplois. Présidente fondatrice de l’association et du Réseau européen de microfinance, l’économiste française Maria Nowak a publié, en janvier, un livre intitulé On ne prête pas qu’aux riches (éd. Jean-Claude Lattès). Elle y explique que les pauvres remboursent souvent mieux que les riches. Comme elle le déclarait au Figaro, « ce n’est pas parce qu’on a les poches vides qu’on a la tête vide. L’important est de démythifier le prêt aux pauvres. Il faut arrêter de les voir uniquement comme un objet de politique sociale. Les exclus sont pleins d’idées et animés par un véritable esprit d’entreprise. Pensez-vous qu’un demi-milliard de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour pourraient survivre si elles n’étaient pas débrouillardes ? »
En outre, si la microfinance réussit là où d’autres ont échoué, ou ne se sont tout simplement pas aventurés, c’est parce qu’elle utilise des mécanismes flexibles et créatifs. Les IMF quelles qu’elles soient – système mutualiste, caisse de solidarité villageoise, microbanque… – se fondent essentiellement sur la proximité de la clientèle et inventent des méthodes, des critères et des garanties qui correspondent aux réalités locales. L’agriculteur béninois qui sollicite un petit prêt peut ainsi utiliser son boeuf ou sa charrue comme garantie.
Certains soulignent toutefois les limites du système en tant que créateur d’activités productives. De manière générale, cela fonctionne mieux dans les villes que dans les campagnes. Dans une zone rurale donnée, le nombre d’activités accessibles à des personnes pauvres, sans grande instruction ni formation, est limité. Tout comme la demande pour les produits et les services fournis. Mais surtout, le niveau élevé des taux d’intérêt, qui garantit la rentabilité des IMF, est souvent un obstacle. Variables selon l’objet du prêt et sa durée, les taux fluctuent généralement entre 12 % et 30 % par an pour des crédits de six à douze mois, c’est-à-dire à un niveau souvent supérieur à celui des banques commerciales et parfois peu compatible avec la rentabilité économique de certains projets. Ce à quoi les défenseurs du système répondent que la rentabilité des IMF est essentielle, notamment parce qu’elle permet une certaine indépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds et de leur politique, et que les taux d’intérêt restent largement en deçà de ceux imposés par les usuriers traditionnels. La microfinance n’est pas une solution miracle, mais une façon de contribuer à la lutte contre la pauvreté, disent-ils. Enfin, comme l’indique Pierre Forestier, économiste à l’Agence française de développement (AFD), « si la rentabilité est un préalable, cela n’empêche pas que dans un deuxième temps, une politique d’impact social puisse être menée. Des institutions désormais viables et professionnelles ont réussi à baisser leurs taux d’intérêt ou à diversifier leur clientèle et leurs produits ». Certaines ont développé leurs services auprès des petites et moyennes entreprises. D’autres cherchent à élargir leur gamme de produits d’épargne (logement, scolarité…), de crédit (augmentation des montants et du terme), mais aussi de services qu’il s’agisse de monétique (cartes à puce…), de transferts de fonds, notamment en provenance de la migration, ou encore de microassurance. Au Burkina, indique l’agence de presse MFI, des agriculteurs bénéficient d’une police d’assurance sur les boeufs de trait. Si l’un des animaux meurt, le propriétaire récupère sa valeur grâce à la mutuelle à laquelle il a souscrit.
Aussi, le débat actuel porte davantage sur les défis nés de cette nouvelle phase de développement. Les IMF ont par exemple besoin de compétences et d’outils de plus en plus sophistiqués. « La relative facilité de démarrage des opérations est trompeuse, car peu d’institutions ont, au bout du compte, les moyens de mettre en place une gestion professionnelle indispensable à leur autonomie et à toute activité financière », déclare Pierre Forestier. Pour faire face à la multiplication des intervenants, les États sont de plus en plus nombreux à élaborer des politiques de prévention et de gestion des risques. Des réseaux facilitant l’échange de bonnes pratiques se mettent également en place, comme le Centre d’innovation financière. Créé en 2000, à Ouagadougou, il regroupe six des principales IMF d’Afrique de l’Ouest.
Autre enjeu majeur : l’accès à des ressources financières accrues plus longues et plus stables. Les IMF, encore très dépendantes de l’épargne (qui représente environ les deux tiers de leurs ressources), doivent obtenir des moyens de refinancement en provenance des marchés financiers et bancaires. À cette fin, des structures comme Microrate, PlanetFinance, le Groupe consultatif d’assistance aux pauvres (un consortium de 29 agences de développement nationales et internationales, plus connu sous son sigle anglais CGAP), mais aussi Standard & Poors ont instauré des systèmes de notation (rating) fournissant des données sur les performances financières et opérationnelles des différentes IMF. Certains bailleurs de fonds proposent également des garanties externes aux IMF. Ainsi, l’AFD a garanti, en avril 2005, la première émission obligataire (de 5 millions d’euros) d’une institution africaine de microfinance, la kényane Faulu.
Des partenariats commencent donc à voir le jour avec des banques commerciales. Le CGAP a identifié plus de 200 institutions – banques ou sociétés de crédit à la consommation – qui se sont engagées dans la microfinance. Des résultats très encourageants pour Elizabeth Littlefield, directrice du CGAP, aux yeux de qui la microfinance doit cesser d’être une « niche » pour être pleinement intégrée au système financier de chaque pays.

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