Covid-19 : en Tunisie, le vaccin se fait attendre
Alors que le pays est confronté à une nouvelle vague de contamination, les autorités ne parviennent pas à fixer un cap précis pour la campagne de vaccination. Et semblent naviguer à vue.
La Tunisie baisse le rideau du 14 au 18 janvier et durcit le couvre-feu instauré depuis octobre 2020. Quatre jours qui devraient freiner la propagation du Covid-19 dans le pays. C’est du moins le vœu du gouvernement tunisien qui peine à gérer cette situation exceptionnelle. Ce mini-confinement, le deuxième depuis le blackout des mois de mars et avril, est la conséquence de l’accélération de la pandémie depuis la mi-décembre — 2586 nouveaux cas se sont déclarés le 12 janvier, et le virus a provoqué la mort de plus de 5000 personnes depuis mars. « Les équipements sont insuffisants pour répondre à la demande de lits, notamment en réanimation », déplore un médecin de l’hôpital Memmi à l’Ariana (banlieue de Tunis).
Les responsables de santé ne masquent pas leur désespoir. « Cela fait des mois que nous répétons qu’il faut respecter les gestes barrières et appelons au port des masques, nous ne sommes pas suivis », souligne un conseiller du ministère de la Santé. Qui évoque la possibilité de sanctions. « En verbalisant un peu plus, on aurait posé des limites. Il n’est pas trop tard pour commencer, la diffusion virale ne va pas cesser de si tôt. »
Scepticisme
La décision de reconfiner pour quatre jours laisse les spécialistes sceptiques. « Ils risquent d’augmenter les contaminations dans les familles contraintes de vivre quelques jours en vase clos », selon le docteur Nissaf Ben Alaya, figure de la lutte contre la Covid 19. D’autres soupçonnent le pouvoir d’avoir pris une telle mesure pour des raisons politiques peu avouables.
« Ce n’est nullement la situation sanitaire qui a motivé cette décision, tous les scientifiques vous confirmeront que quatre jours de confinement ne servent à rien ! Ils ont peur des rassemblements ? Ils craignent l’explosion de colère qui se préparait ? Depuis des semaines, ils sont terrorisés par cette date des dix ans de la révolution », s’interroge l’activiste et chef d’entreprise, Mouna Allani Ben Halima.
Certains sont persuadés d’être immunisés ou que le virus les a épargnés comme par miracle
La Tunisie a peut-être crié victoire trop vite. À l’issue du premier confinement, en mai 2020, le pays semblait maîtriser la situation. La population a estimé avoir fourni des efforts suffisants et le gouvernement Fakhfakh, alors aux commandes, n’a pas précisé que ce succès, malgré un dépistage défaillant, était surtout dû à une fermeture des frontières effectuée à temps. Depuis, certains sont persuadés d’être immunisés ou du moins que le virus les a épargnés comme par miracle. Difficile alors de les convaincre du contraire, même en produisant des chiffres ou des démonstrations scientifiques. « Nous sommes aujourd’hui plus mal lotis que nos voisins alors qu’on était bien parti pour tirer notre épingle du jeu », regrette un épidémiologiste.
Mais la multiplication des cas depuis une semaine a ramené les Tunisiens à la dure réalité. Tout comme le gouvernement qui, comme partout ailleurs, peine à trouver un équilibre entre impératifs économiques et contraintes sanitaires.
« L’humain d’abord », lancent certains politiques qui ne se hasardent plus à pointer « l’alarmisme » de responsables du secteur de la santé. Se pose aujourd’hui l’épineuse question de la vaccination. Dans les faits, la Tunisie n’a pas les moyens de vacciner l’ensemble de sa population et compte bénéficier du programme Covax de l’Organisation mondiale de la santé MS qui ne fournira finalement que 360 000 doses de vaccin, bien en-deçà des 11 millions nécessaires pour la Tunisie. Une situation qui rappelle celle de l’approvisionnement en masques en mars 2020 qui avait été déficient au départ et montré diverses anomalies en termes de commande publique.
Le ministre de la Santé, Faouzi Mehdi, qui serait sur le départ, se veut rassurant et annonce que les premières vaccinations auront lieu en février. Une affirmation hasardeuse qui contredit les prévisions de membres du comité scientifique selon qui la campagne ne pourra débuter qu’en avril 2021.
« La Tunisie doit agir en État souverain »
Le ministre louvoie en présentant l’organisation de la campagne de vaccination mais peine à convaincre faute d’une communication claire. À l’issue de la conférence de presse du 12 janvier, les Tunisiens n’en savent pas plus sur l’état des commandes de vaccins. Une navigation à vue qui laisse perplexe l’ancien député, le docteur Souhail Alouini. « Il est toujours temps d’attribuer une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour l’un ou l’autre des vaccins, notamment celui fabriqué par les Russes mais la Tunisie doit agir rapidement en État souverain sans trop compter sur les organisations internationales qui sont sollicitées de toutes parts. Le gouvernement doit aussi nous dire quelles décisions il a prises, quelle quantité de vaccin sera disponible », estime le médecin qui souhaite le maximum de transparence dans le traitement de cette crise de santé publique.
Accélérer les prises de décision, sensibiliser la population et faire preuve de plus de fermeté pour les contrevenants aux mesures de prévention ne suffira pas, les Tunisiens veulent savoir aussi à quoi ont été destinés les 18,3 millions de dinars de dons récoltés lors du lancement de la campagne anti-Covid en mars 2020 et quelles ressources financeront les étapes à venir. La question a été souvent posée, mais les réponses des autorités sont restées vagues et n’ont pas convaincus. Reste qu’elles ont aujourd’hui le devoir de fournir un vaccin à au moins 10 millions de citoyens.
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