Success story à l’africaine

Le prix obtenu à Hollywood par le film sud-africain « Tsotsi » vient à point nommé pour encourager une industrie cinématographique en plein essor.

Publié le 14 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Il aura donc fallu attendre la 78e édition de la grand-messe du cinéma américain pour voir un réalisateur africain figurer au palmarès des « oscarisés ». Le 5 mars au soir à Hollywood, le Sud-Africain Gavin Hood a presque pleuré en recevant l’oscar du meilleur film en langue étrangère. Puis il a commencé son discours en s’exclamant : « Amandla ! Victoire ! Que Dieu bénisse l’Afrique. »
Victoire à l’africaine, donc, que ce long-métrage salué par la critique et déjà récompensé par de nombreux prix. Mais success story sud-africaine surtout pour une équipe essentiellement issue de la nation Arc-en-Ciel, qui a voulu raconter les ravages de la pauvreté, du sida et de la violence sur les jeunes des townships.
« Tsotsi » signifie « brute » en tsotsi taal, la langue utilisée dans le film, curieux mélange des principales langues du pays (afrikaans, anglais, zoulou, xhosa ou encore sotho) parlé par les gamins des ghettos. C’est aussi le nom donné au héros, un jeune chef de gang capable de tuer de sang-froid pour une poignée de rands. Lui-même orphelin du sida, il se retrouve en charge d’un bébé dont il vient d’assassiner la mère. Une histoire de violence et de rédemption, tirée de l’unique roman du dramaturge sud-africain Athol Fugard. Le destin du héros se terminait mal sous la plume de l’écrivain quand il l’a imaginé pendant l’apartheid. Il trouve une autre issue devant la caméra de Gavin Hood, quelque vingt ans plus tard. À bien des égards, les Sud-Africains et le reste du monde y voient donc l’allégorie filmée de la réussite de ce pays.*
Après la récompense reçue par l’actrice Charlize Theron en 2004, l’Afrique du Sud s’est ainsi réveillée au petit matin du 6 mars, auréolée d’un nouveau titre de gloire. Les félicitations et les exercices convenus de glorification sont parvenus des quatre coins du pays. À commencer par ceux du maire de Mafikeng, situé à la frontière avec le Botswana, dont sont issus les deux acteurs principaux, puis du Premier ministre de la province du Nord-Ouest, ensuite du ministre des Arts et de la Culture, Pallo Jordan, et pour finir du président de la République lui-même, Thabo Mbeki. « Tsotsi est une nouvelle incarnation de l’âge de l’espoir, a déclaré le chef de l’État. Il témoigne de l’abondance des talents sud-africains. »
La médaille vient à point nommé pour encourager une industrie cinématographique en plein essor. Yesterday, nominé aux oscars l’an dernier, ou U-Carmen eKhayelitsha, sorti en 2005, font un tabac dans les festivals. En quelques mois, Tsotsi a reçu le prix du public au Festival du film de Toronto et à celui de Los Angeles, et a été primé à Édimbourg. Au-delà de la renommée internationale que ces uvres offrent à l’Afrique du Sud, ce sont surtout des retombées financières qu’attend le pays de Mandela. Très souvent utilisées par des productions étrangères – comme Lord of War, dernier en date -, les infrastructures et la main-d’uvre sud-africaines participent trop rarement à des tournages nationaux, faute de moyens et de public dans le pays. Avant même de recevoir son oscar, Tsotsi avait inauguré une nouvelle ère : en trois semaines, il avait engrangé plus de 2,2 millions de rands (307 000 euros) de revenus grâce aux entrées dans les salles sud-africaines – un record.
La fameuse statuette permettra donc certainement aux producteurs (sud-africain et britannique) de rentrer dans leurs frais, au réalisateur d’acquérir une renommée internationale, à Presley Chweneyagae, Terry Pheto ou Zenzo Ngqobe, les jeunes acteurs, de devenir des stars dans leur pays, et à l’Afrique de faire valoir, par l’art cinématographique, son propre point de vue sur elle-même.
« C’est une attitude paternaliste de la part des Européens de voir l’Afrique uniquement comme une publicité pour Oxfam », avait déclaré Gavin Hood en août au quotidien britannique Financial Times. « Dans les années 1980, en Afrique du Sud, il n’y avait pas d’espoir. Aujourd’hui, malgré le climat politique, les épidémies et la pauvreté, la situation n’est pas aussi désespérée que sous l’apartheid. » Lors du premier festival où Tsotsi a été présenté, en Écosse, en août 2005, Hood avait, lui, un seul espoir : « Pourvu que quelqu’un achète mon film. » Un vu plus que réalisé

* Le film sortira en France le 19 juillet.

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