Risques payants

L’opérateur égyptien investit massivement là où personne n’ose s’aventurer. Une stratégie aussi audacieuse que rentable.

Publié le 14 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Depuis son bureau situé au 26e étage de l’un des immeubles familiaux – des tours jumelles surmontées d’un dôme doré -, sur les rives du Nil, Naguib Sawiris scrute le monde, en quête de nouveaux marchés. De nouveaux marchés que le président-directeur général d’Orascom Telecom a tendance à rechercher là où personne n’ose s’aventurer. En Irak, par exemple. En 2003, Orascom a investi 160 millions de dollars pour lancer Iraqna, le premier réseau de téléphonie mobile du pays. Des employés ayant été kidnappés et des agences dévalisées, le groupe a dû prendre des mesures de sécurité draconiennes qui lui ont coûté 30 millions de dollars supplémentaires. Mais aujourd’hui, Iraqna compte 1,5 million de clients, soit 41 % du marché. Sur les neuf premiers mois de 2005, la société a réalisé un chiffre d’affaires de 249 millions de dollars. « Nous atteindrons bientôt la barre des 2 millions d’abonnés, explique ce quinquagénaire, fils d’un magnat égyptien du béton. Quand le calme reviendra, l’Irak sera presque aussi riche que l’Arabie saoudite. Et nous aurons créé une activité qui peut rapporter 2 à 3 milliards de dollars par an. »
À l’image d’Iraqna, le plus souvent dans des conditions moins périlleuses, Orascom Telecom creuse son sillon en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient. Le groupe totalise 30 millions de clients – deux fois plus qu’il y a un an ! – dans des pays comme l’Algérie, l’Égypte, le Pakistan, le Bangladesh, la Tunisie ou encore le Zimbabwe. Ses réseaux couvrent 460 millions de personnes, dont seulement 11,5 % ont un téléphone portable. Orascom s’est fixé pour objectif d’atteindre 50 millions d’abonnés avant la fin de l’année. « Dans cette industrie, il ne faut pas tergiverser. Dès qu’un marché se présente, il faut y aller. Un jour ou l’autre, l’investissement sera payant. » Sawiris ajoute qu’il faut se décider rapidement et se mettre aussitôt au travail. En Irak, à peine la Coalition lui avait-elle attribué la licence que son groupe installait des pylônes, ouvrait des boutiques et lançait une campagne de publicité.
Orascom Telecom a aussi connu des revers. Naguib Sawiris est le premier à admettre qu’il a commis quelques erreurs. Entre 1999 et 2002, il saisissait toutes les occasions qui se présentaient à lui. Une stratégie qui s’est traduite par une présence dans vingt-deux pays et par un endettement abyssal. Il a fallu trancher. Sawiris a vendu la quasi-totalité de ses opérations en Afrique subsaharienne et s’est séparé de sa filiale Fastlink, en Jordanie. Le choix se révèle aujourd’hui payant : le chiffre d’affaires du groupe s’est envolé de 93 % l’année dernière, atteignant 2 milliards de dollars, dont la plus grande partie provient d’Algérie, d’Égypte et du Pakistan. Au premier semestre 2005, le bénéfice net s’élevait à 298 millions dollars, soit le même montant que le bénéfice de toute l’année 2004, lui-même en hausse de 184 % !
En mai 2005, Naguib Sawiris a pris le contrôle de Wind, l’un des principaux opérateurs italiens, pour 3,6 milliards de dollars. Pour éviter que l’endettement de Wind ne perturbe les comptes d’Orascom, Sawiris a mis en place un holding spécialisé, Weather Investment, qui a mené l’acquisition. Il s’intéresse maintenant à l’opérateur grec Tim Hellas. « Je suis convaincu que le secteur entrera un jour dans une phase de consolidation, et je ne veux pas être contraint à brader mes sociétés », explique-t-il, faisant allusion à ses opérations dans les pays émergents. En décembre, Orascom a investi 1,3 milliard de dollars dans 19,3 % de Hutchinson Telecommunications International, filiale d’un conglomérat de Hong Kong. « De quoi s’attribuer une part du marché du Sud-Est asiatique », explique Sawiris, qui regrette de ne pas s’y être intéressé plus tôt.
Les conquêtes d’Orascom ne sont pas du goût de certains financiers, qui jugent que leur rentabilité est naturellement limitée par le faible niveau de vie en vigueur dans la plupart des pays où la société est installée. « Là est toute l’astuce, objecte Philip Koury, chef des études de marché chez EFG Hermes, une société de Bourse égyptienne. Vendre des services à ces populations, tout en gagnant de l’argent, suppose de parfaitement maîtriser les coûts, ce qu’Orascom réalise de manière remarquable. » D’autres groupes du Moyen-Orient suivent son exemple, à l’instar d’Investcom, qui s’est installé au Soudan, en Syrie et en Afghanistan. « Il y a plus d’argent que ne le laissent croire les statistiques officielles, témoigne Azmi Mikati, PDG d’Investcom. Il y a l’économie parallèle. Les gens payent souvent en liquide. Ces pays ne sont pas si pauvres. Ni si dangereux qu’on le dit. » Comme en écho, Naguib Sawiris conclut : « Riche ou pauvre, le besoin de communiquer est identique. »

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