Les défis des grands fonds

Dans trois ans, la production d’hydrocarbures en Afrique subsaharienne commencera à décliner. De Nouakchott à Luanda, les professionnels de l’offshore misent sur d’importantes découvertes au large des côtes.

Publié le 14 mars 2006 Lecture : 6 minutes.

Les grands fonds marins reçoivent de bien curieuses visites depuis une dizaine années. Les longs et massifs sous-marins construits à la période de la guerre froide ne sont plus les seuls à s’aventurer au-delà de 1 500 mètres en dessous de la surface des océans. De petits bathyscaphes télécommandés, des robots à bras articulés, des sondes bourrées d’électronique les ont rejoints. Tout une panoplie d’engins dont la vocation est de recueillir un maximum de données sur la texture des sols et les courants. Objectif : détecter la moindre présence de pétrole et de gaz, et évaluer les conditions de leur exploitation.
Le renouvellement des réserves d’hydrocarbures est devenu un problème majeur alors que la production des champs exploités depuis les années 1970 en mer du Nord ou dans le golfe du Mexique ne cesse de décliner. Contraintes d’aller chasser ailleurs, les majors pétrolières se sont rabattues sur la région arabo-persique et, de manière croissante, sur la mer Caspienne et le golfe de Guinée. Si l’exploitation de gisements sur la terre ferme est perturbée par des enlèvements ou des sabotages – à l’exemple de l’Irak et du Nigeria -, la production offshore est épargnée. Ce qui en fait une alternative de plus en plus prisée, même si les coûts sont extrêmement importants. Les majors peuvent d’ailleurs investir dans l’offshore en ce moment, le bénéfice des six premières s’élevant à près de 100 milliards de dollars en 2005. « Avec la hausse des cours du pétrole, nous établissons des scénarios pour le lancement d’explorations sur la base d’un baril allant jusqu’à 40 dollars au lieu de 20 dollars précédemment », commente Christophe de Margerie, directeur général exploration et production du groupe français Total. Un point mort qui rend commercialement intéressant d’aller sonder de plus en plus loin des côtes et dans les eaux profondes (de 500 à 1 500 mètres), voire ultraprofondes (de 1 500 à 3 000 mètres). L’ordre de grandeur des réserves de grands fonds est aujourd’hui estimé à 100 milliards de barils-équivalent pétrole, dont la moitié a déjà été découverte. Ce qui représente près de quatre années de production mondiale annuelle au rythme actuel et la somme des réserves prouvées des sept plus grandes compagnies internationales.
La plupart de ces ressources sont situées dans le prolongement des immenses estuaires des grands fleuves de la planète, Mississippi, Niger, Congo, Amazone, Nil ou Gange. Les zones sédimentaires y constituent d’excellents pièges à hydrocarbures, où ils se seraient déposés au fil des siècles. Longtemps considérée comme non rentable, la production de ces gisements de l’extrême est depuis quelques années devenue une réalité grâce à de multiples progrès et innovations technologiques, comme dans le domaine des installations sous-marines et de leur contrôle, mais aussi des études exploratoires, notamment sismiques, celles qui orientent les géologues vers les gisements potentiels.
En Afrique, la production dans l’offshore profond connaît un essor sans précédent dans le golfe de Guinée. Cette conquête a débuté en 1993. À l’époque, Elf, BP, Shell et Statoil, les principaux opérateurs présents en Afrique, créent le club Wado (West Africa Deepwaters Operators). Mission : réduire les coûts d’exploitation de l’offshore profond alors que les études sismiques et géologiques, beaucoup plus précises et fiables qu’autrefois, ont révélé l’existence de gigantesques ressources sous-marines… Dès lors, tout va très vite. En avril 1996, à 150 km au large des côtes angolaises et par 1 350 m de fond, Elf découvre un gisement évalué à 1 milliard de barils : le bloc 17 Girassol. Les autres découvertes s’enchaînent. Outre l’Angola, on trouve du pétrole et du gaz en offshore profond au Congo-Brazza, en Guinée équatoriale, au Nigeria, au Gabon, à São Tomé e Príncipe… Beaucoup plus à l’ouest, une nappe estimée à plus de 100 millions de barils est mise au jour en 2001, au large de la Mauritanie.
Aujourd’hui, toutes les compagnies pétrolières occidentales sont présentes dans ce secteur. Les américaines, ExxonMobil, Chevron, Marathon Oil, Amerada Hess mais aussi le français Total, l’italien ENI, le néerlandais Shell et le britannique Bristih Petroleum misent sur le développement du golfe de Guinée pour diversifier leurs approvisionnements. Ils devraient y investir des dizaines de milliards de dollars dans les vingt prochaines années. Les États de la région proposent de nouvelles licences d’exploitation de plus en plus loin des côtes. Ce qui attire de nouveaux opérateurs, originaires des pays du Sud. La China National Offshore Oil Corp. (Cnooc) a signé en février un contrat de partage de production avec Gepetrol, la société nationale équatoguinéenne, pour un bloc dans les eaux territoriales au sud du pays. Cnooc Africa Limited en sera l’opérateur technique. Ce champ, non exploité jusqu’à présent, couvre 2 287 km2 pour une profondeur de 30 à 1 500 m. Le brésilien Petrobras flaire également les bons coups. Un mois plus tôt, dans le même pays, il a obtenu le feu vert pour prendre 50 % des parts d’une concession dans le bassin du fleuve Muni (500 à 2 200 mètres de profondeur). La compagnie est associée au groupe Chevron (22,5 %), opérateur principal du bloc L, aux côtés d’Amerada Hess (12,5 %), d’Energy Africa Equatorial Guinea (10 %) et de Sasol (5 %). Et dispose d’une option pour devenir l’opérateur principal en cas de découverte exploitable.
Les découvertes offshore ont jusqu’à présent permis de remplacer plus de 90 % des volumes produits en Afrique depuis cinq ans, contre un taux de renouvellement inférieur à 50 % dans le reste du monde. Les eaux du Nigeria et de l’Angola sont les deux grandes zones de développement. Luanda a produit 600 000 barils par jour (b/j) en offshore profond en 2005. L’exploitation des blocs 14, 15, 17 et 18 – opérée respectivement par Chevron, ExxonMobil, Total et BP – est pleine de promesses. Le pays devrait atteindre les 2 millions de b/j dès 2007, contre 1,3 million de b/j en 2005. La société nationale, la Sonangol, a récemment lancé un appel d’offres pour l’attribution de quatre nouveaux blocs en mer profonde. Le Nigeria a pris un peu de retard sur son concurrent angolais puisque la production en offshore profond ne représentera que 280 000 b/j en 2006 sur un total de 3 millions. Un retard qu’il devrait en partie combler avec le développement des champs Akpo, Usan, Bonga, Erha et Agbami par les grandes compagnies occidentales.
D’autres pays, comme la Guinée équatoriale, São Tomé e Príncipe, la Côte d’Ivoire et le Togo, ont accordé des licences d’exploration en offshore profond, mais la production n’a pas encore débuté. Lomé vient de lancer un nouvel appel d’offres pour l’attribution de blocs sur la façade côtière du pays. Plus de 3 100 km2 sont concernés, à des profondeurs avoisinant 2 800 mètres, sur des gisements baptisés Lomé, Mono, Capitaine ou Barracuda. Les offres devront êtres présentées avant le 1er mai 2006. Le « brut » de la région bénéficie de nombreux atouts : sa qualité, la situation géographique des sites d’extraction et, surtout, la politique menée par la plupart des États, qui s’ouvrent aux investissements étrangers et favorise la stratégie de développement des groupes pétroliers. En Afrique de l’Ouest, Shell, Total et Chevron réalisent respectivement 15 %, 30 % et 35 % de leurs activités d’exploration et de production. Dès 2008, la production de Total en offshore profond devrait représenter 10 % des extractions totales du groupe, contre 4 % actuellement. De grands projets sont en cours (Dalia en Angola et Akpo au Nigeria). Toutes ces initiatives voient s’associer plusieurs opérateurs dans le but de mutualiser les risques. Elles font également l’affaire des sociétés maritimes pétrolières qui ont vu leurs carnets de commandes exploser. Une tendance qui devrait se confirmer, voire s’accentuer alors que les dépenses d’investissement des grands groupes pétroliers devraient continuer à croître. Une hausse qui profite à tous les maillons de la chaîne, aussi bien aux entreprises de recherche sismique, comme Géophysique (CGG), qu’aux ingénieristes de la construction, du type Technip, ou encore aux groupes spécialisés dans les services offshore, comme Bourbon, Stolt Offshore et SBM Offshore. Des sociétés dont la valeur en Bourse s’est envolée l’année dernière : plus 72 % pour le franco-américain Schlumberger et 66 % pour le groupe de services pétroliers américain Halliburton.

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