L’exception Omar Sy

À l’affiche de « Lupin », du dernier film des studios Pixar et du prochain « Jurassic World », l’acteur est au sommet de sa gloire. Mais il reste une exception dans le paysage cinématographique français.

Omar Sy, le 3 février 2020, à Paris. © Corentin FOHLEN/Divergence

Omar Sy, le 3 février 2020, à Paris. © Corentin FOHLEN/Divergence

Publié le 23 janvier 2021 Lecture : 5 minutes.

En ce début 2021, Omar Sy est incontournable. Il jouit du succès phénoménal de la série Lupin, numéro 1 sur Netflix en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Hollande… et qui a même été durant quelques jours le contenu le plus populaire sur la plateforme aux États-Unis, une première pour une production française. Le 25 décembre 2020, on pouvait l’entendre doubler le personnage principal de Soul, le nouveau film de Pixar. Et il sera bientôt à l’affiche du prochain Jurassic Park. 

L’acteur originaire de Trappes en a parcouru du chemin depuis le « SAV des émissions » diffusé dans le Grand Journal de Canal + de 2005 à 2012 avec son comparse Fred Testot. Une carrière exceptionnelle qui doit beaucoup à Intouchables, la comédie dramatique d’Olivier Nakache et Éric Toledano aux 19,44 millions d’entrées en France, et pour lequel il gagnera le César du meilleur acteur en 2012. Ce succès lui ouvre les portes d’Hollywood. Tout en s’imposant comme la personnalité préférée des Français (en 2016), il joue dans de nombreux blockbusters, X-Men, Jurassic World ou même Transformers.

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Une exception en France

Mais cette incroyable popularité ne fait pas oublier qu’il reste une exception, l’un des rares acteurs noirs à avoir réussi sa carrière en France et aux États-Unis. Est-ce qu’Omar Sy n’est que l’arbre qui cache la forêt ?

« En France, Omar Sy est le seul acteur noir avec une stature internationale. Alors qu’en Angleterre, qui partage le même passé colonial, on a Idris Elba (The Wire, Mandela), Chiwetel Ejiofor (12 years a slave), David Oyelowo (Selma) », observe Blaise Mendjiwa. Le réalisateur du documentaire Le monde racisé du cinéma français estime que cette différence est idéologique. « La Constitution française ne prend pas en compte l’origine, la couleur de peau. On nie toute spécificité, mais aussi toute inégalité ! Je ne pense pas que l’on peut faire une forêt en niant les racines de chaque arbre », philosophe-t-il.

Les professionnels afro-descendants dénoncent les discriminations dans les castings et les stéréotypes raciaux

Il est en réalité très difficile d’avoir une image précise de la présence des acteurs afro-descendants dans le paysage audiovisuel français. Tout simplement parce que les statistiques ethniques sont interdites en France. « Le seul indicateur qui existe est le baromètre de la diversité du CSA. Mais celui-ci n’est pas exempt de défauts puisqu’il agrège dans ses calculs tous les contenus d’une même chaîne, dont les fictions américaines, où la présence d’acteurs noirs est traditionnellement plus importante », rappelle Marie-France Malonga, sociologue des médias spécialiste des représentations sociales et médiatiques des minorités.

Une politique de quotas ?

Ce qui est sûr, c’est que les professionnels afro-descendants dénoncent depuis des années leurs difficultés à trouver des rôles, les discriminations dans les castings… Et quand ils sont choisis, les stéréotypes raciaux ne sont jamais loin. En février 2020, l’actrice Aïssa Maïga (Les Poupées russes, L’écume des jours) a poussé un cri d’alarme sur la scène des Césars. « On a survécu au whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménage à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hypersexualisées… Et en fait, on voudrait vous dire, on ne va pas laisser le cinéma français tranquille. » Elle s’exprimait presque vingt ans jours pour jours après que Luc Saint-Éloy et Calixthe Beyala s’étaient invités sur la scène de la prestigieuse cérémonie pour dénoncer la sous-représentation, voire l’absence, d’artistes noirs dans le cinéma français. Une initiative qui entraina la création du Baromètre de la diversité du CSA.

Quand Omar Sy joue Lupin, ce n’est pas un rôle de noir. Il a dépassé le stéréotype »

En tant qu’actrice noire, France Zobda (qu’on a vu au cinéma chez Claude Zidi et Bernard Giraudeau) a beaucoup souffert « des refus, de l’absence de rôles, ou de l’impression de faire l’aumône quand on nous en concède un… » En se lançant dans la production avec Eloa Prod, elle n’a pas voulu reproduire ce schéma discriminatoire. Aussi bien devant la caméra, que derrière. « Il m’est déjà arrivé d’appeler un directeur de production pour lui dire qu’il n’y avait pas assez de diversité sur un plateau, dans les équipes techniques », assure-t-elle.

 © Netflix

© Netflix

Pour Blaise Mendjiwa, il faut avoir recours à la politique des quotas, au moins temporairement, « pour permettre l’émergence d’un cinéma qui montre la diversité de la rue ». Marie-France Malonga est plus nuancée : « Les quotas, c’est le chiffon rouge, très largement rejeté en France. Et puis c’est tout simplement anticonstitutionnel ! »

La sociologue estime qu’il y a d’autres manières d’ « inciter, d’encourager à employer davantage de personnes issues de la diversité, sans contraindre. » Par-exemple, en mettant en place une politique d’égalité des chances, en se donnant un objectif chiffré, sans pour autant en passer par l’extrémité des quotas imposés. C’est ce qu’a fait la BBC dans les années 1990 (elle s’était fixée l’objectif d’avoir, en 2003, 10 % de personnel de couleur), avec succès.

Le pied dans la porte

« Omar Sy n’est pas un acteur noir, c’est un acteur. Quand il joue Knock ou Lupin, ce ne sont pas des rôles de noir. Il a dépassé le stéréotype », analyse France Zobda. Une vision confirmée par l’intéressé : « Je pense qu’il faut arrêter de se mettre soi-même dans une catégorie d’acteurs. Moi, je ne suis pas un acteur noir. Je suis un acteur, affirmait-il en 2014. Je ne vais pas refuser un rôle ou accepter un rôle parce que je suis noir. »

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Cette liberté, très peu d’acteurs afro-descendants y ont néanmoins accès. D’ailleurs, le succès d’Omar Sy vient aussi conforter ceux qui nient l’existence d’inégalités : « Dans la tête de certains, puisque cet acteur est à l’affiche de tant de films, c’est la preuve que le problème est réglé ! Ce raisonnement leur permet de rejeter en bloc toutes dénonciations d’inégalités, qu’ils réduisent à des paroles communautaristes, voire séparatistes, alors qu’elles ne sont que des demandes de reconnaissance et d’inclusion », regrette la sociologue Marie-France Malonga.

Le succès d’Omar Sy enthousiasme malgré tout France Zobda : « Des gens comme lui qui réussissent, c’est ce dont on rêvait… Je pense qu’il peut être un bélier, une figure de proue pour faire changer les mentalités. » Blaise Mendjiwa a même un espoir : « Omar Sy a le pied dans la porte, et j’espère désormais que les autres acteurs noirs vont pouvoir passer l’épaule, la tête et tout le corps pour rentrer enfin tout entier dans la chambre du cinéma français. »

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