La vie au Caire, mode d’emploi

C’est tout un pan de l’histoire égyptienne que ce livre dévoile à travers les portraits croisés des habitants d’un immeuble.

Publié le 14 mars 2006 Lecture : 2 minutes.

Ce fut le phénomène littéraire de l’année 2002 en Égypte et dans le monde arabe. Quelques mois après sa sortie, Imrat Ya’qubyan, de Alaa el-Aswany, s’était vendu à plus de 100 000 exemplaires. Depuis, il a été réédité plusieurs fois au pays des Pharaons. Traduit en anglais, il vient de sortir en France et sera adapté au cinéma l’été prochain.
Pourquoi un tel engouement ? C’est simple, ce livre est un petit bijou. Un bijou de simplicité d’abord. Alaa el-Aswany, dentiste de profession, écrit dans une langue épurée et fluide, merveilleusement bien rendue par la traduction de Gilles Gauthier. À travers les portraits croisés des habitants d’un immeuble du centre du Caire, il décrit des sentiments humains universels dans lesquels chaque lecteur se retrouve. Des histoires de cur et de famille, des intrigues, des vengeances et des frustrations qui trouvent un écho dans l’histoire de l’Égypte, puisque le livre évoque avec subtilité l’avant et l’après-révolution nassérienne de 1952.
Dans la rue Soliman-Pacha (ancien nom de la rue Talaat-Harb), l’immeuble est un personnage à part entière. Construit en 1934 par le millionnaire Hagop Yacoubian, alors président de la communauté arménienne d’Égypte, il a « dix étages luxueux de type européen classique : des fenêtres ornées de statues de style grec sculptées dans la pierre, des colonnes, des escaliers, des couloirs tout en vrai marbre, un ascenseur dernier modèle de la marque Schindler ».
Désertés par les pachas, ministres et autres millionnaires après 1952, les appartements sont occupés par les militaires dans les années 1960. Puis les cabanes de la terrasse, qui servaient de débarras, sont aménagées pour recevoir les cuisiniers et les petites bonnes des officiers. Avec l’ouverture économique des années 1970, les riches quittent le centre-ville. Certains appartements sont transformés en bureaux tandis que les habitants des cabanes cèdent leurs logements à de nouveaux citadins pauvres arrivés de la campagne. Ce sont ces différentes cohabitations que raconte le livre. On croise Zaki Dessouki qui incarne à lui seul l’époque révolue et fastueuse des années 1940, figé dans son complet-cravate suranné. Le Hadj Azzam, vieillard lubrique et cupide, la belle Boussaïna et le jeune Taha, le fils du concierge, qui, d’injustice en injustice, devient islamiste.
Alaa el-Aswany, qui décrit si bien les « petites choses de la vie », prend aussi à bras-le-corps des sujets comme la condition féminine en Égypte ou la place des homosexuels. Il dénonce l’affairisme, les magouilles politiques et le régime policier, analyse la montée de l’intégrisme. Et fait de cet immeuble Yacoubian une immense caisse de résonance de l’Égypte contemporaine.

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