L’après-Kérékou a commencé

Le premier tour de l’élection présidentielle n’a pas été marqué par des irrégularités majeures. Selon toute vraisemblance, le second devrait opposer, le 19 mars, Adrien Houngbédji à Boni Yayi.

Publié le 13 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Les Béninois n’ont pas attendu la proclamation officielle des résultats. Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle du 5 mars, et sans même attendre le verdict de la Commission électorale nationale autonome (Cena), la vérité des urnes leur paraît s’imposer d’elle-même. Une façon aussi, pour eux, de conjurer une éventuelle remise en question du scrutin, d’où qu’elle puisse venir (voir pp. 34-36). Ils ne paraissent même pas redouter d’éventuelles tensions avant le second tour.
Tandis que les opérations de dépouillement se poursuivaient et que la saisie des procès-verbaux prenait du retard, les états-majors de campagne, soucieux de prendre les devants, ont recoupé leurs résultats partiels en provenance des dix-sept mille bureaux de vote. Au bout du compte, le « tout-Cotonou » s’est convaincu de l’identité des candidats qui resteront en lice au second tour prévu le 19 mars. Sauf surprise, il s’agira du candidat indépendant Boni Yayi, président démissionnaire de la Banque ouest-africaine du développement (BOAD), et d’Adrien Houngbédji, du Parti du renouveau démocratique (PRD).
Depuis le lancement de la campagne électorale, un quatuor s’était détaché du peloton des vingt-six postulants. Aux deux premiers s’ajoutaient en effet Bruno Amoussou, l’ancien ministre d’État chargé du Plan, et Léhadi Soglo, le leader de la Renaissance du Bénin (RB), par ailleurs premier adjoint au maire de Cotonou et fils de l’ancien président Nicéphore Soglo. Seul l’ordre d’arrivée restait incertain. Les électeurs ont tranché en privilégiant les « cadors ». Le vote utile a joué à plein alors que les observateurs redoutaient une dispersion des voix.
L’heure est désormais au « mercato politique », et les responsables de campagne ne quittent plus leurs calculettes. Les discussions et les prises de contact ont commencé depuis déjà plusieurs semaines, mais elles s’accélèrent. À ce petit jeu des alliances, « l’animal politique » qu’est Adrien Houngbédji – il en est à sa quatrième présidentielle – est évidemment très fort. Bien entendu, il s’efforce d’apparaître comme l’homme du rassemblement. « 100 % ensemble, on va gagner », scandent ses partisans rassemblés au sein de la coalition Tchoco-Tchoco (« coûte que coûte » ou « quoi qu’il arrive » en fon, l’une des langues du pays). « Tous les candidats du premier tour sont nos partenaires de demain », commente Houngbédji. « Les négociations se poursuivent, les hommes politiques s’uniront pour conserver le pouvoir et faire front contre ceux qui croient à la génération spontanée », renchérit un membre de son entourage. L’allusion vise évidemment Boni Yayi, accusé d’avoir mené une campagne « démagogique ». « Le Bénin n’est pas une banque, il faut un politique à la tête de ce pays », tranche notre interlocuteur.
Dans ce contexte, la constitution d’un « ticket » Houngbédji-Amoussou semble probable, les « longs couteaux » unissant leurs forces pour faire barrage à l’intrus. Reste le cas Soglo. Beaucoup misaient sur une alliance avec Yayi, le QG de ce dernier confirmant l’existence « de rencontres informelles mais régulières » entre les deux camps. Aujourd’hui, les choses paraissent moins claires. Certes, la famille Soglo n’a jamais pardonné à Houngbédji son ralliement à Kérékou, en 1996, qui avait rendu possible le retour au pouvoir du « Caméléon ». Mais l’appareil de la RB est aujourd’hui divisé. Léhadi ne fait pas l’unanimité et le parti a perdu son fief, Cotonou, au profit de Yayi, qui, décidément, a l’art de bouleverser la donne.
« Je suis le candidat de toutes les bonnes volontés. Nous comptons gouverner ce pays sur une base consensuelle, au-delà des appartenances partisanes des uns et des autres », avait annoncé l’ancien président de la BOAD avant le premier tour. Ce qui ne l’empêche pas de se présenter comme « l’homme de la rupture avec un système qui a produit de la pauvreté ». « Les gens en ont marre de la classe politique, c’est un vote-sanction. Cette élection traduit un rejet du système Kérékou et de tous ceux qui en ont été complices », appuie l’un de ses proches.
Dans l’attente du second tour, les tractations se poursuivent fiévreusement. La candidate Célestine Zanou, dont la campagne axée sur le sens des valeurs et la lutte contre la corruption a obtenu un succès d’estime, ne dément pas s’être entretenue avec Yayi tout en ouvrant la porte à Houngbédji. « C’est normal que les candidats se rencontrent pour définir une stratégie de victoire et s’accorder sur un projet de société », dit-elle.
Sans doute, mais l’affaire n’était quand même pas gagnée d’avance. Longtemps on a craint le pire À cause de velléités de réforme étouffées dans l’uf de la Constitution, des manuvres de Kérékou, de la proposition de fusionner les élections présidentielle et locales en 2008, du retard accumulé dans la préparation et le financement du scrutin, et, pour finir, du recensement chaotique des 4 millions d’électeurs. Le scrutin, qui marquait la fin de l’ère Kérékou, s’est malgré tout déroulé dans la sérénité, sous le regard attentif de la communauté internationale.
Les soixante observateurs de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont jugé le processus électoral « acceptable, transparent et crédible » en dépit de quelques problèmes d’organisation. Le scrutin a été « libre, juste et démocratique », conclut la Cedeao, qui salue par ailleurs « la discipline, la patience, le calme des électeurs, les mesures prises pour prévenir d’éventuelles fraudes et le professionnalisme des membres des bureaux de vote ». Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission de l’Union africaine, a lui aussi félicité le peuple béninois « pour son attachement aux principes démocratiques ».
« Il est impératif que le processus aille jusqu’à son terme, dans le strict respect des textes et des procédures en vigueur », rappelle pour sa part la mission d’information de la Francophonie. Les ambassades de France, des États-Unis, d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas ainsi que la représentation de l’Union européenne à Cotonou avaient, elles aussi, déployé dans le pays une cinquantaine d’observateurs, sans mandat officiel mais avec l’aval de la Cena. « Les gens étaient contents de voter. Ils l’ont fait avec sérieux et dignité. Quand on sait tout ce qui a été entrepris pour semer le désordre, c’est étonnant et rassurant », remarque l’un de ces témoins. Quant aux problèmes techniques, ils ont été à peu près bien réglés. En raison de retards dans la livraison des urnes et des isoloirs, l’ouverture de certains bureaux de vote a certes été retardée, notamment à Cotonou, mais leur fermeture a été reportée au-delà de minuit.
« Des dysfonctionnements majeurs ont entaché les résultats dans le Littoral et l’Atlantique, qui sont nos fiefs dans le sud du pays », dénonce la RB, qui demande l’annulation du scrutin dans ces deux départements. Néanmoins, un proche de Léhadi Soglo se refuse à parler de fraude, laissant Kérékou bien seul sur ce terrain.

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