Hannibal TV sur la corde raide

Un an après, l’audience de la première chaîne privée décolle. Mais pas les recettes publicitaires.

Publié le 14 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Première chaîne de télévision privée tunisienne, Hannibal TV a fêté son premier anniversaire le 13 février. Créée par Larbi Nasra (56 ans), un homme d’affaires franco-tunisien qui a investi dans l’aventure 14 millions de dinars tunisiens (8,7 millions d’euros), elle diffuse ses programmes via les satellites Nilesat et Arabsat, et, depuis octobre 2005, sur le réseau hertzien local. Hannibal TV, dont l’apparition a mis fin au monopole exercé depuis quarante ans par l’Établissement de la radiotélévision tunisienne (ERTT), est en concurrence directe avec les deux chaînes publiques, Tunis 7 et Canal 21, mais aussi les quelque deux cents chaînes satellitaires arabes.
Après avoir fondé, en 1996 au Caire, une société de production audiovisuelle (Avip), puis lancé un projet de chaîne satellitaire qui a fait long feu, Nasra espérait séduire les téléspectateurs tunisiens, que l’on disait déçus par les chaînes publiques, et conquérir entre 15 % et 20 % du marché publicitaire. Le chiffre d’affaires « théorique » (calculé sur la base des tarifs officiels) de ce dernier s’est élevé en 2005 à 39,5 millions de DT.
Or, un an après son lancement, Hannibal TV est loin d’avoir atteint ses objectifs. Son taux d’audience (10,2 % en 2005) reste très inférieur à celui de Tunis 7 (41,9 %) et même de Rotana Cinéma, propriété du magnat saoudien Al-Walid Ibn Talel (15,4 %). Selon Sigma Conseil, un bureau d’études spécialisé dans les enquêtes par sondage, son audience a certes considérablement augmenté aux mois de janvier (28 %) et de février (29,7 %) derniers, mais l’écart avec Tunisie 7 a continué de se creuser, passant de 31,7 % à 33,6 %. S’agissant des recettes publicitaires, l’écart entre les deux chaînes s’apparente à un gouffre. Tunisie 7 a réalisé en 2005 un chiffre d’affaires (théorique) de 33,6 millions de DT, contre 5,9 millions pour Hannibal TV. Le mois dernier, les chiffres étaient, respectivement, de 4,2 millions et 40 000 dinars.
La chaîne privée, dont les frais fixes (salaires des cent cinquante salariés, frais de fonctionnement, coûts de production, location des satellites, remboursements bancaires) sont relativement élevés, dépense beaucoup plus qu’elle ne gagne. Combien de temps pourra-t-elle tenir ? La famille Nasra, qui détient 100 % du capital de l’entreprise et de ses filiales (Avip, Hannibal Interactive et Hannibal.com), ne cache pas son inquiétude. À moins d’une remontée spectaculaire des recettes publicitaires ou d’un salutaire apport de fonds, elle pourrait être contrainte de mettre la clé sous la porte.
Reste une question : pourquoi Hannibal TV, dont l’audience ne cesse d’augmenter, n’attire-t-elle pas les annonceurs ? « Notre ambition était d’internationaliser le produit audiovisuel tunisien et d’offrir aux annonceurs locaux un second écran pour la promotion de leurs produits. Nous étions loin d’imaginer que le champ de la communication était à ce point verrouillé », admet l’un de ses responsables.
La chaîne privée, qui a délibérément choisi une ligne éditoriale audacieuse et n’hésite pas à traiter certains sujets tabous – des matchs de football truqués aux mères célibataires, en passant par les SDF ou les ravages du sida -, ne s’estime pas victime d’une quelconque censure officielle. « On ne nous a jamais rien reproché jusqu’ici, confie ce même responsable. Le président de la République, qui est notre plus précieux soutien, nous a même souvent encouragés à aller de l’avant. » Alors ? Pour notre interlocuteur, aucun doute : les difficultés financières d’Hannibal TV sont le fruit d’un « complot de la profession », c’est-à-dire des responsables de l’ERTT, de l’Agence nationale de production audiovisuelle (Anpa), des agences de pub et des grands groupes privés. À l’en croire, tout ce joli monde est mû par des réflexes corporatistes qui s’accommodent mal de l’arrivée sur le marché d’une chaîne privée soucieuse de maîtriser ses coûts.
Les spécialistes attribuent quant à eux les difficultés d’Hannibal TV à son absence de ligne éditoriale claire. « Tunis 7, explique ainsi Hassen Zargouni, le patron de Sigma Conseil, est le porte-parole du gouvernement, elle a une mission de service public. Ce qui fait son succès, ce sont quelques émissions phares comme Deal or not Deal prendre ou à laisser), la reprise d’un jeu lancé par une chaîne néerlandaise, qui réalise à elle seule entre 50 % et 55 % d’audience. Hannibal TV fait pour sa part des émissions polémiques qui accrochent un certain public, mais n’attirent guère plus de 5 % de téléspectateurs. L’audience quotidienne cumulée de la chaîne culmine péniblement à 25-30 %. » Contrairement à une idée reçue, la polémique ne suffit donc pas à faire décoller l’audience.

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