Gastronomie : le Mucem met à l’honneur le régime méditerranéen
Le musée marseillais propose une exposition sur ce patrimoine culinaire ancestral, aujourd’hui mis en danger par la malbouffe, qui favorise le risque d’accident cardio-vasculaire.
Au début des années 1950, un nutritionniste américain de l’université du Minnesota, Ancel Keys, part mener des recherches sur l’alimentation en Italie et en Espagne. Effaré par l’envol alarmant des maladies cardio-vasculaires dans son pays de plus en plus prospère, il tente de savoir si une modification du régime alimentaire peut améliorer la santé de ses concitoyens. En 1975, après avoir poussé ses recherches dans plusieurs pays européens, il publie avec sa femme Margaret How to eat well and stay well the Mediterranean way (« Le régime méditerranéen pour bien manger et rester en bonne santé »), qui formalise la plupart de ses découvertes et popularise le concept de « diète méditerranéenne ».
L’alimentation que préconise le couple américain pour être en bonne santé est en fait celle qui existe depuis des siècles dans le bassin méditerranéen, au sud comme au nord. Plutôt végétarienne, elle s’appuie sur la consommation de légumes de saison variés, de céréales et de légumineuses (lentilles, fèves, pois…). L’huile d’olive est privilégiée pour l’assaisonnement. On ajoute à cela des fruits frais ou secs, en petite proportion et on évite les boissons sucrées ou alcoolisées. Enfin, on peut diversifier le menu en ajoutant des viandes maigres (mais seulement deux fois par semaine), des poissons et des œufs (deux à quatre fois par semaine), et de la viande rouge (deux fois maximum par semaine).
Constat inquiétant
Cette diète méditerranéenne, documentée depuis plus d’un demi-siècle, a été particulièrement mise sous le feu des projecteurs en 2010, lorsqu’elle a été intégrée à la liste du patrimoine culturel immatériel, suite à une candidature menée conjointement par le Maroc, l’Espagne, l’Italie et la Grèce. Le Mucem, à Marseille, lui consacre à présent son exposition semi-permanente intitulée « Le grand Mezzé » dans la galerie de la Méditerranée. À cause des restrictions sanitaires, le musée est actuellement fermé, mais l’accrochage dure jusqu’en décembre 2023, de quoi rester confiant sur les chances de visiter l’expo !
Si le propos du « grand Mezzé » est passionnant, le constat que dresse l’exposition est plutôt inquiétant. « Le régime méditerranéen est toujours considéré comme le plus équilibré au monde, et paradoxalement il tend à quitter la Méditerranée », alerte le commissaire de l’exposition, Édouard de Laubrie. La situation est particulièrement préoccupante au Maghreb : comme le précise le catalogue de l’exposition, le diabète, le surpoids et l’obésité ont explosé… cette dernière concernerait 40 à 50 % des femmes en Tunisie et en Égypte !
Riches, pauvres… tout le monde est concerné. Paradoxalement, la progression du niveau de vie amène aussi des populations à se tourner vers des pratiques alimentaires moins saines (comme ce fut le cas aux États-Unis). « Dans les pays du Maghreb, la classe moyenne, de plus en plus importante, a tendance à copier les modes de consommation qui existent en Occident, avec de plus en plus de produits alimentaires transformés de type burgers, pizzas, sodas… souligne Édouard de Laubrie. La cuisine prend du temps, est vue comme une tâche ingrate, on consomme donc du “tout prêt”, de l’industrialisé, comme ailleurs. »
Mais les milieux populaires sont également touchés de plein fouet par la malbouffe, notamment en ville, comme l’observe Jacqueline Bismuth, auteure aux éditions de La Martinière de La Tunisie gourmande. « Ici, la tranche privilégiée de la population se nourrit toujours en restant dans les traditions, explique-t-elle. Le légume reste roi dans la plupart des plats, l’huile d’olive aussi, que l’on ajoute même à la bsissa pour le petit déjeuner au lieu du beurre et de la confiture. Mais certaines mamans peuvent aussi casser des œufs dans de l’huile de mauvaise qualité pour nourrir leurs gosses, et les plus pauvres, généralement, n’ont d’autres solutions que d’acheter des produits industrialisés… On est peut-être champions du monde de la consommation de pizza, après la France (selon une étude du cabinet Gira Conseil, les Français consomment environ 10 kilos de pizza par an, soit le double des Italiens, NDLR) ! En revanche, dans les campagnes, des Tunisiens très modestes continuent de cultiver leurs lopins et de se nourrir en suivant la tradition. »
Une transmission matriarcale
La journaliste tunisienne Amel Djait fait le même constat. « Le fast-food gagne du terrain en ville, et même le sandwich tunisien, composé de harissa, d’huile d’olive, de salade, de câpres, de thon… est aujourd’hui systématiquement proposé avec de la mayonnaise ! s’insurge-t-elle. Mais dans le même temps, il y a un attachement au terroir et aux traditions dans les régions. » Pour le ministère de l’Agriculture, elle a rédigé l’ouvrage Tunisiennes et saveurs des terroirs, accessible sur Internet, qui recense 23 recettes traditionnelles glanées dans différentes régions (Béja, le Kef, Kasserine, Kairouan), et montre le rôle prépondérant des femmes pour la sauvegarde du patrimoine culinaire, la transmission des recettes se faisant le plus souvent de mère en fille.
Pour la journaliste, l’ouverture de restaurants proposant des recettes traditionnelles, la valorisation des filières agricoles et des produits du terroir via de nombreux concours et festivals dans le pays (comme celui de la grenade à Testour), l’émergence de tables d’hôtes, ont de quoi rassurer.
Fatema Hal est beaucoup moins optimiste. L’ethnologue et cheffe marocaine, auteure de nombreux ouvrages sur la gastronomie du pays, et responsable du Mansouria, une des meilleures adresses pour savourer un couscous à Paris, observe la percée de produits transformés dans le royaume : « La brioche coûte moins que le pain ! » Elle s’enflamme surtout sur l’absence de transmission des codes culinaires. « Depuis plus de 30 ans, rien n’est fait ! On ne forme pas à la cuisine traditionnelle, on n’éduque pas les jeunes, qui ne connaissent ni les produits marocains, ni le respect des saisons. Il y a bien sûr les émission de cuisine à la télé, ou les vidéos sur les réseaux : mais l’objectif n’est pas d’éduquer, plutôt de montrer comment devenir un grand chef et fanfaronner. » La cheffe invite le ministère de l’Agriculture et de l’Éducation à œuvrer pour qu’une alimentation saine, locale, durable, puisse reprendre sa place dans le pays.
Exode rural
Derrière la survie du régime méditerranéen se profile d’autres problèmes épineux. Le Ciheam (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes) alertait déjà en 2016, dans sa publication bisannuelle Mediterra, sur la désertification des campagnes : « L’exode rural apparaît aujourd’hui encore aux jeunes comme étant la seule issue de secours possible. En quête de travail, de services essentiels et de loisirs, ils rejoignent les villes, tandis que le monde agricole vieillit. L’âge moyen des agriculteurs au Maghreb dépasse 50 ans et la relève se fait rare. » Les produits régionaux peuvent aussi être perçus comme des produits de luxe : au Maroc par exemple, la consommation d’huile d’olive locale de 2 litres par habitant et par an reste loin de la moyenne. Alors que le pays exporte de plus en plus (notamment aux États-Unis), il continue à importer chaque année des centaines de milliers de tonnes d’huiles végétales…
« Si la période que nous subissons peut avoir un point positif, c’est qu’elle nous force à rester chez nous et à redécouvrir notre cuisine, philosophe Fatema Hal. Cela va forcément nous forcer à réfléchir sur ce que nous mangeons et nous n’aurons plus la possibilité de nous cacher derrière l’excuse du manque de temps pour ne pas nous préparer un bon repas. »
Le domaine de Segermès, champion mondial de l’huile d’olive
Médaille d’or au Japan Olive, au London olive oil competition, extra gold au BIOL italien, 3e prix Mario Solinas… Le domaine de Segermès saute de podium en podium avec une aisance déconcertante. Cette propriété de la région de Zaghouan tient son nom de la ville romaine Segermès. « Dans l’antiquité, on y cultivait déjà les oliviers et certains arbres sont centenaires», précise Zhaira Abdellah Boussetta, qui a hérité du domaine avec son mari Mounir. C’est lui qui décide, en 2015, de construire un moulin et de maîtriser toute la production du précieux nectar, du plant à la bouteille. « L’oliveraie abrite principalement des variétés tunisiennes, la chemlali, très douce, et la chetoui, plus fruitée et robuste, la récolte étant entièrement réalisée à la main par les femmes de la région », souligne Zhaira. La Tunisie, deuxième producteur en volume d’huile d’olive (après l’Espagne) compte désormais un champion de poids… qui n’hésite pas non plus à jouer la carte de l’innovation. La boutique (accessible sur segermes.com) propose ainsi des huiles aromatisées : huile pressée à la clémentine, au citron, au fenouil sauvage et à la menthe fraîche.
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