[Tribune] Covid-19 : l’Afrique doit rompre avec la dépendance
Le continent doit cesser de lier développement et aide internationale et de n’envisager sa croissance et la relance de son économie que comme le résultat de la solidarité du reste du monde.
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Amadou Sadjo Barry
Philosophe et chercheur en éthique des relations internationales.
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et Régis Hounkpè
Géopolitologue, directeur Interglobe Conseils
Publié le 18 janvier 2021 Lecture : 4 minutes.
Quelle sera la place de l’Afrique dans les relations internationales post-Covid-19 ? La réponse à cette question dépend de la manière dont les pays africains envisagent de relancer leur économie.
Si les acteurs politiques continuent d’inscrire la question du développement dans la problématique plus large de l’aide internationale, comme c’est le cas depuis la fin des années 1960, il faudra s’attendre à une reconduction des mécanismes de la dépendance, lesquels condamnent l’Afrique au statut de subalterne parmi les nations du monde.
En revanche, si, à la faveur d’une créativité enfin valorisée, les gouvernements se réapproprient les politiques de développement et créent les conditions endogènes de leur souveraineté, l’Afrique sortira de sa relation asymétrique à l’environnement international pour devenir un acteur respectable et influent du monde qui vient.
Partenariat d’intérêts réciproques
La tâche n’est pas insurmontable, encore faut-il que nos sociétés créent de nouvelles modalités politiques et institutionnelles de leur intégration dans le monde. Celles qui remplaceront les relations de dépendance par un partenariat d’intérêts réciproques permettant aux populations de tirer avantage de la coopération internationale et d’être mieux outillées pour interagir avec les autres nations et ce dans tous les domaines.
Pour y parvenir, il faut avant tout dissocier les politiques de développement – et le devenir de l’Afrique de manière générale – de la problématique de la solidarité internationale. Il convient ensuite de penser une forme d’organisation nationale – ou sous-régionale – favorisant l’émergence d’instruments de gouvernance qui rendent l’État et les institutions transnationales plus performants, c’est-à-dire plus à même de satisfaire, de manière autonome, les obligations en matière de justice sociale, de santé, d’éducation et, surtout, de sécurité.
Le bilan de la coopération internationale vis-à-vis de l’Afrique est difficilement défendable : l’aide publique au développement ne développe pas
L’Afrique ne pourra pas briser les chaînes de la dépendance si elle conditionne sa relance économique au renforcement de l’aide internationale. En effet, il n’y a pas de lien de causalité entre la disponibilité de l’aide et la bonne gouvernance qu’exige son effectivité. De même, la possibilité que l’aide concoure à une justice sociale ou à une relance économique tient à des facteurs indépendants de l’environnement international: la nature de l’État, la relation que celui-ci entretient avec la société et la capacité transformative des institutions politiques. En dehors de ces déterminants endogènes nécessaires à l’intégration de l’aide dans une réelle politique nationale de développement, on assistera, comme c’est le cas le plus souvent, à une délégitimation de l’État et à sa mise sous tutelle par des acteurs internationaux.
Au-delà des postures artificiellement souverainistes qui rejettent l’aide publique au développement sans indiquer les voies et les moyens pour générer un essor socio-économique endogène, il y a lieu de s’interroger au moins sur la légitimité, la fiabilité et la durabilité des dispositifs de perfusion économique et financière. À l’épreuve, depuis au moins 1960, le bilan de la coopération internationale vis-à-vis de l’Afrique est difficilement défendable : l’aide publique au développement ne développe pas.
Réappropriation du devenir de l’Afrique
Une autre raison pourrait conduire l’Afrique à penser son développement post-Covid-19 sans en appeler à l’aide internationale : notre monde est en panne de solutions collectives. En effet, depuis les années 2000, les relations internationales sont confrontées à des réalités qui annihilent la responsabilité collective globale : l’accentuation de la lutte hégémonique entre les grandes puissances sous l’effet conjoint de la lutte contre le terrorisme et de l’affirmation décomplexée des puissances chinoise et russe ; la remise en question de la légitimité des institutions internationales par une critique acerbe de la mondialisation ; le réenchantement des mythes nationaux qui se traduit, au niveau international, par une forte revendication de la souveraineté des États et un privilège accordé à l’unilatéralisme ; enfin, la mise sur pause de la problématique de la justice globale repérable dans le fait que la lutte contre la pauvreté mondiale a perdu sa priorité dans l’agenda des réunions du G7.
les pays africains sont condamnés à inventer une politique nationale de développement qui les émancipera progressivement de l’environnement international
De fait, l’unilatéralisme assumé de Donald Trump s’est trouvé conforté par les positions faussement multilatérales des autres grandes puissances qui, conscientes de la limite de l’exercice de coopération internationale, se sont alignées sur des positions nationalistes, comme en Europe occidentale. Cette reconfiguration géopolitique a permis essentiellement à la Chine de trouver dans ces conditions un appel d’air en direction de l’Afrique.
Dans ce contexte qui plonge le système international dans une inquiétante turbulence, les pays africains sont condamnés à inventer une politique nationale de développement qui les émancipera progressivement de l’environnement international. Loin de se couper du monde, il s’agira pour eux de revendiquer une position de principe qui consiste à ne pas lier le devenir politique et économique du continent aux bouleversements que le Covid-19 risquerait de faire subir aux relations internationales. Et rien n’empêche, a priori, que cette réappropriation du devenir de l’Afrique se traduise par de nouvelles politiques d’intégration sous-régionale ou même continentale.
Aucun redéploiement sur la scène internationale n’est envisageable si l’Afrique ne s’attaque pas à ses vulnérabilités structurelles. Les sociétés en proie aux crises sécuritaires chroniques et aux tensions politiques vivront éternellement sous perfusion financière et technique des partenaires internationaux. Les États incapables d’exercer leur souveraineté sur l’ensemble de leur territoire la défendront encore plus difficilement dans un environnement international dominé par les grandes puissances et les puissances émergentes.
L’Afrique ne peut prétexter l’existence de difficultés économiques pour renoncer à penser son devenir au sein d’un monde en panne de responsabilités collectives.
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