Conté face à la fronde

Après celle des syndicats, la mobilisation générale de l’opposition sonne la charge contre le chef de l’État et pour une transition immédiate.

Publié le 13 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

La plupart des observateurs avaient fini par se résoudre à l’idée que le pouvoir en place à Conakry était incapable du moindre compromis : trop arrogant pour prêter attention aux préoccupations des Guinéens ; trop habitué à réprimer pour se donner la peine de dialoguer ; trop handicapé par la maladie du « chef », Lansana Conté, pour être en mesure de gérer une situation d’urgence
Cinq journées de « Ville morte » sont arrivées à bout de ces idées que vingt-deux ans de gestion paranoïaque et autoritaire du pays par Conté ont solidement ancrées. Du 27 février au 3 mars, la grève de tous les travailleurs des secteurs public et privé a totalement paralysé le pays, démythifié le régime, arraché au gouvernement bien des concessions.
Marchés déserts, commerces clos, transports publics inexistants, administration aux abonnés absents, écoles fermées, avenues vides Le pari a été relevé par la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) et l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), les deux principales centrales du pays. Avec des résultats certains, consignés dans un « Protocole d’accord tripartite gouvernement-intersyndicale-patronat » du 3 mars : relèvement du point d’indice des salaires de 210 à 240 pour les agents de la fonction publique à compter du 1er avril 2006 ; ouverture de négociations pour la hausse des traitements des travailleurs dans les secteurs mixte et privé ; réduction de 10 % de la fameuse RTS (Retenue sur traitements et salaires) ; mise en place d’une Commission – comprenant les représentants des syndicats – chargée du contrôle de l’inflation et de l’homologation des prix des denrées de première nécessité
Les dirigeants syndicaux obtiennent également « l’institutionnalisation d’une rencontre tripartite nationale (gouvernement, patronat et syndicats) au début de chaque année pour une concertation sur les doléances et revendications syndicales ainsi que pour discuter de la loi de finances de l’année nouvelle ».
Dans un pays où le pouvoir est réputé pour sa tendance à l’autisme, ces « acquis » ne sont pas les seuls mérites de la grève générale. Celle-ci marque un tournant dans le rééquilibrage des rapports de force entre le régime et la population. Le revers subi par Alpha Ibrahima Keira, ministre de l’Emploi et de la Fonction publique, en constitue une illustration. Pour avoir sorti, le 21 février, une circulaire qui menace les grévistes de représailles, il a été récusé par les délégués syndicaux qui ont refusé de négocier avec lui. Le gouvernement n’avait d’autre choix que de retirer la circulaire, et d’écarter Keira, au profit d’une commission ad hoc présidée par le ministre des Transports Aliou Condé, et comprenant ses homologues du Tourisme, de l’Hôtellerie et de l’Artisanat Koumba Diakité, des Mines et de la Géologie Ahmed Tidjane Souaré, du Commerce, de l’Industrie et des PME Djéné Saran Camara, de l’Économie et des Finances Madikaba Camara ainsi que le gouverneur de la Banque centrale, Alkaly Mohamed Daffé.
Acculé par cette « mobilisation générale contre l’inflation, la cherté de la vie et la rupture de la distribution d’eau et d’électricité », le pouvoir a multiplié les gestes de bonne volonté. Le 2 mars, les techniciens du ministère du Commerce, les gros importateurs, les représentants des sociétés minières, de la Banque centrale et des banques commerciales ont ainsi été réunis par Fodé Bangoura, le secrétaire général à la présidence. Objectif : trouver les moyens de reconstituer les réserves de change du pays et de stabiliser le franc guinéen par rapport aux devises étrangères.
Bien trop tard, les autorités guinéennes ayant assisté, passives, à la flambée d’une inflation au moins égale à 100 % entre 2000 et 2005 ! Le sac de 50 kg de riz, l’aliment de base de la population, a atteint 120 000 francs guinéens (22,5 euros), soit au moins deux fois le salaire moyen dans le pays. Équivalant à trois mois d’importation en 1999, les réserves de change sont aujourd’hui nulles.
À l’instar de la Coalition contre la vie chère, qui s’est illustrée par des manifestations au Niger, en mars 2005, les centrales syndicales ont drainé des Guinéens réunis sous la bannière du refus de la misère. Et ce au-delà des clivages ethniques et partisans, pour constituer un vrai contre-pouvoir. Ce qui en a surpris plus d’un. À commencer par les leaders de l’opposition, qui ont brutalement vu une nouvelle force émerger pour cristalliser les aspirations de la population. Incapables de mener la moindre action concrète en dépit de la succession de scrutins truqués et de restrictions de leurs droits, les opposants au régime de Conté ont été surpassés. Même s’ils n’ont pas voulu le laisser accroire, tentant au cours de ces cinq chaudes journées de récupérer le mouvement à coups de déclarations de soutien et de sorties sur les radios étrangères.
Le 3 mars, quinze formations politiques, y compris celles des poids lourds (Sidya Touré, Mamadou Bhoye Bâ, Alpha Condé) ont annoncé la tenue d’une « concertation nationale » associant partis, mouvements syndicaux, chefs religieux, associations de femmes et de jeunes Ces assises, prévues du 17 au 20 mars, au Palais du peuple, siège du Parlement, à Conakry, vont plancher sur deux thèmes : « Gouvernances politique, économique et sociale » et « Le processus électoral ». Selon un de ses initiateurs, « cette rencontre va faire l’état des lieux sur la situation du pays et proposer des solutions de sortie de crise ».
Pour la conduire, trois personnalités sont pressenties : l’archevêque anglican de Conakry Mgr Gomès, son homologue catholique Mgr Coulibaly, et le président de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), Thierno Maadjou Sow.
On l’aura compris : l’heure de la mobilisation semble avoir sonné. « Il s’agit d’ores et déjà, confie un des ténors de l’opposition, de mettre en branle toutes les forces sociales pour fixer le cadre de la future transition. Les syndicats auront une importante place dans ce dispositif. Leur capacité de mobilisation nous a surpris. Nous n’avons jamais cru en la possibilité d’organiser une seule journée Ville morte à Conakry, vu la nécessité pour le Guinéen, qui vit au jour le jour, de se rendre au travail pour trouver le prix de la sauce. »
Si l’opposition a été quelque peu surprise par l’ampleur du mouvement, c’est l’attitude du chef de l’État qui a suscité le plus d’interrogations. Le mutisme total de Conté a conforté les rumeurs sur l’aggravation de son état de santé. Alors que toute vie avait disparu à Conakry, sa formation politique, le Parti de l’unité et du progrès, qui a remporté les élections locales de décembre 2005 avec le score caricatural de 82 %, n’a pu poser le moindre acte pour venir au secours du régime. Serait-ce le signe du début de la fin ?

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