Bolloré met le contact

L’homme d’affaires français a rarement fait fausse route. Alors, quand il dévoile sa voiture électrique, il suscite forcément l’intérêt.

Publié le 14 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Le concept de la voiture 100 % électrique semblait mort et enterré. Le premier véhicule de l’histoire de l’automobile à avoir dépassé 100 km/h était certes animé par un moteur électrique. Mais c’était en 1899. Depuis, l’évolution de la voiture électrique a buté sur un écueil : le poids, la faible capacité et le temps de recharge des batteries. Le moteur à explosion a ainsi remporté la bataille de l’automobile.
Au début des années 1990, la voiture électrique est brièvement revenue sous les feux de l’actualité. On parlait déjà de pollution, d’épuisement des ressources pétrolières. Peugeot s’est lancé dans l’aventure. Échec. La durée de vie des batteries des 106 dotées d’un moteur électrique n’excédait pas deux ans. Au prix de 150 euros de location mensuelle, elles avaient donc le même coût d’usage qu’une voiture thermique, pour une utilisation restreinte : 120 km d’autonomie. Et où trouver le soir venu une prise pour recharger les batteries ? Pour le propriétaire d’une maison avec garage, la question ne se pose pas. Mais vu son rayon d’action, la voiture électrique est destinée à une clientèle urbaine, qui vit en appartement et gare sa voiture dans la rue. Bonne chance pour tendre un câble électrique entre l’un et l’autre
Peugeot a juré qu’on ne l’y reprendrait plus. Le coup de grâce est venu en 1996 de la Toyota Prius hybride, mi-essence mi-électricité. Ses batteries ne crient jamais famine : elles sont rechargées en permanence par un générateur embarqué, alimenté par le moteur thermique ! Dans l’attente de la voiture à pile à combustible, qui n’arrivera pas avant plusieurs décennies, les constructeurs ne juraient plus que par la voiture thermique. D’où la surprise quand Vincent Bolloré a présenté sa BlueCar 100 % électrique ! Venant d’un autre que lui, le projet aurait prêté à sourire : comment un homme qui ne connaît rien à l’automobile pourrait-il réussir là où des constructeurs patentés ont échoué ? Mais la réputation du groupe Bolloré a incité les journalistes à jeter un il à la BlueCar. Ils ont ainsi découvert non pas une voiture « électrifiée », comme l’était la 106, mais un véhicule inédit, conçu autour d’un moteur électrique. La différence est de taille, au propre comme au figuré
« Une voiture électrique n’a pas besoin de radiateur, de réservoir, de boîte de vitesses, explique Philippe Guédon, père de la BlueCar, après avoir été celui de l’Espace à l’époque où il dirigeait Matra. Son moteur est compact, ses batteries sont logées sous le plancher. Toute la surface du véhicule est donc dévolue aux passagers. » Longue de 3,05 m, la BlueCar affiche les rondeurs d’un monospace de poche. Sa largeur, 1,71 m, lui permet d’accueillir trois personnes assises de front, et 810 dm3 de chargement, voire 2 300 dm3 quand le conducteur, seul à bord, rabat la banquette destinée aux passagers. La BlueCar devient ainsi le véhicule urbain idéal pour un usage professionnel : faible encombrement, forte capacité d’emport et silence de fonctionnement, qui respecte le sommeil des citadins lors de livraisons nocturnes.
Mais quid des batteries, maillon faible du genre électrique ? Vincent Bolloré affirme avoir trouvé la solution. Elle s’appelle LMP, pour lithium-métal-polymère. Ces batteries d’un genre nouveau, cinq fois plus légères que les batteries plomb-acide, confèrent à la BlueCar une autonomie de 250 km après six heures de recharge, une vitesse maximale de 125 km/h. Et surtout, leur durée de vie est estimée à 150 000 kilomètres. Inutile donc de les changer ou de les louer. Le coût énergétique de la BlueCar s’en tient au prix de l’électricité nécessaire à la recharge : 1 euro/100 km.
Pour l’instant, nul n’a pu vérifier les bienfaits présumés des batteries LMP. Les journalistes qui ont conduit l’unique exemplaire de la BlueCar n’ont effectué que quelques centaines de mètres à son volant, le temps de se rappeler ce qu’ils savaient déjà : le couple d’un moteur électrique fournit à un véhicule une accélération supérieure à celle d’une voiture thermique. Vincent Bolloré a promis que six BlueCar seraient disponibles en septembre 2006, afin que les journalistes puissent les tester à leur guise.
Par définition, une voiture électrique n’est pas conçue pour un usage privé. Car revient toujours le même obstacle : comment un citadin vivant en appartement peut-il recharger ses batteries ? Si les batteries LMP tiennent leurs promesses, la BlueCar répond, en revanche, aux attentes des entreprises et des collectivités locales, qui disposent de locaux où recharger leurs voitures après utilisation. Mais l’expérience malheureuse des Peugeot électriques prouve que la logique bute parfois sur des réalités triviales. À l’époque, la ville de La Rochelle avait remplacé 160 des 200 voitures thermiques de son parc par des voitures électriques, les 40 restantes servant aux longs déplacements. Pourquoi cet exemple n’a-t-il pas inspiré d’autres villes de France, ou de grandes entreprises ? Parce qu’une partie du carburant utilisé par un véhicule de service peut être détournée à des fins privées. Un jerrycan suffit. Avec de l’électricité, c’est impossible. D’où la réticence chez certains usagers de voitures de service à passer au véhicule électrique
Autre obstacle inattendu rencontré par les Peugeot électriques, le désintérêt manifesté par les ministres de l’Environnement, pourtant a priori intéressés au premier chef par un véhicule 100 % propre L’explication relève de la sociologie politique. En France, la sensibilité écologique s’est construite dans le combat contre l’énergie nucléaire. Les différents ministres de l’Environnement, en fonction dans les années 1990, étaient issus de cette mouvance : chaque voiture électrique leur semblait tracter une centrale nucléaire en remorque ! Depuis, le contexte a changé. Avec un baril de pétrole qui a franchi la barre des 70 dollars l’été dernier, l’Europe a pris conscience des conséquences politiques et économiques de sa dépendance énergétique. Du coup, l’opposition aux centrales nucléaires a baissé d’un ton, et tous les États occidentaux cherchent des alternatives à l’or noir.
La BlueCar tombe donc à point nommé. Vincent Bolloré a investi 150 millions d’euros dans une usine en cours de construction dans le Finistère, qui entrera en fonction fin 2008 et produira 100 000 batteries LMP par an. De quoi équiper 10 000 voitures électriques. Tel est le seuil établi pour que le prix de la BlueCar n’excède pas 20 000 euros.
Mais le groupe Bolloré doit maintenant nouer une alliance avec un constructeur. Car il ne possède ni usines automobiles ni réseau de diffusion. « Nous n’avons pas vocation à devenir constructeur, reconnaît Vincent Bolloré. Mais nous ne voulons pas être un simple fournisseur. Nous cherchons un partenaire industriel pour nous accompagner dans ce projet. Sinon, nous le ferons seul. »
Ce partenaire ne sera pas Renault, déjà engagé dans la course à la voiture électrique en association avec le groupe Dassault. Alors, PSA Peugeot-Citroën peut-être ? Le souvenir de l’échec commercial des 106 électriques est encore cuisant dans les mémoires du groupe français. Mais il en est un autre, tout aussi douloureux : voilà vingt ans, PSA n’avait pas cru en l’Espace. Philippe Guédon s’était alors tourné vers Renault… Le même Philippe Guédon qui a mis au point la BlueCar. Quand l’histoire repasse les mêmes plats, un constructeur ne commet pas deux fois la même erreur.

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