« Puissions-nous vivre longtemps » : Imbolo Mbue signe un second roman engagé
Le second roman de l’écrivaine camerounaise retrace le combat d’un village africain face aux désastres sanitaires et écologiques causés par une firme pétrolière américaine.
Grandement remarquée avec son premier roman Voici venir les rêveurs, paru en 2016 et pré-acheté par l’édition américaine Random House à des milliers de dollars, l’autrice camerounaise revient cette année avec un récit choral. Et comme dans son premier roman, Imbolo Mbue déploie avec Puissions-nous vivre longtemps une fiction aux résonances bien actuelles.
Le récit commence à la fin des années 1980 pour se terminer en 2020. L’écrivaine de 38 ans, originaire de Limbe et vivant aujourd’hui aux États-Unis, nous entraîne dans le village de Kosawa bouleversé par l’arrivée de la firme pétrolière américaine Pexton, qui pollue eau et terres jusqu’à provoquer des maladies mortelles. On sait être en Afrique, on sait que « son Excellence », le Président du pays, est un homme portant un « chapeau en peau de léopard incliné sur la droite », on sait qu’il a bradé les terres à cette firme américaine et que jamais encore des élections démocratiques n’ont eu lieu ici.
Révolte
Face à ce sinistre décor et à au constat posé dès les premières lignes – « nous mourrions »- les habitants de Kosawa prennent, un jour, le chemin de la révolte. Lancée par Kanga, le « fou du village », elle n’en sera pas moins durable dans l’esprit des plus jeunes. Et notamment de Thula, celle qui devient au fil du récit une « femme de feu ».
« J’ignore les moyens dont dispose une fille pour faire payer les crimes de certains hommes mais il me reste toute la vie pour le découvrir », dit celle qui, dans cette bataille de longue haleine, perd son père, avant que son oncle ne soit emprisonné et que son frère ne survive in extremis. Nourrie de ces drames et injustices, Thula forge son expérience militante dans les mouvements de contestation sociale aux États-Unis où elle étudie, adolescente. Mais « je serai toujours l’une d’entre nous », écrit-elle à ses amis restés au pays.
Sa grand-mère, Yaya, la décrit ainsi : « Cet enfant s’appelle détermination, une fois résolue, elle ne renonce jamais. » Dès lors, Thula devient fer de lance de la lutte contre Pexton, à distance d’abord, avant de rentrer au pays. Elle symbolise une génération plus impatiente que celle des aînés qui, eux, semblent avoir épuisé les demandes de justice par la voie du dialogue et du compromis.
Espérances et désillusions
Au fur et à mesure des impasses rencontrées dans ce combat contre la pollution qui continue de tuer les leurs, Puissions-nous vivre longtemps fouille, dans des pages percutantes, la question de l’usage de la violence face à celle endurée depuis tant d’années. Comment faire plier Pexton, dont les arrangements avec l’État – tout comme la loi internationale -, protègent le commerce de l’or noir par la spoliation des terres, la pollution des sols et les drames sanitaires ? Comment combattre une firme qui achète les habitants avec des bourses scolaires, des transports, des statuts ? Quels recours judiciaires peuvent être réellement efficaces face à des rapports de domination si redoutables ? Est-il possible de combattre la violence sans passer par la violence ?
Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir
Ces questions qui happent le lecteur sont portées par les protagonistes qui, d’espérances en désillusions, de doutes en effervescence, illustrent l’adage de Frantz Fanon : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir ».
« Tonton Fanon », comme le nomme Thula qui a Les damnés de la terre comme livre de chevet depuis l’adolescence, aux côtés notamment de Pédagogie des opprimés de Paulo Freire. « Comme nous étions beaux », dit le titre anglais de ce second roman d’Imbolo Mbue. Puisse-t-il faire écho aujourd’hui.
Puissions-nous vivre longtemps, d’Imbolo Mbue,Éditions Belfond, 432 pages, 23 euros.
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