Ali Farka Touré

Le musicien malien est décédé le 7 mars à Bamako.

Publié le 14 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

On le savait malade depuis plus d’un an. Son dernier concert, lors du Jazz Festival de Nice, en juillet 2005, avait été une terrible épreuve physique. La nouvelle est finalement tombée, mardi 7 mars : Ali Farka Touré est décédé des suites d’un cancer des os.
Le Mali s’est aussitôt mis en deuil. Le président de la République, Amadou Toumani Touré, est venu se recueillir sur sa dépouille. Sur les ondes de la radio nationale, tout au long de cette journée, ont été diffusés des titres du défunt. Rien d’étonnant à cela : à l’exception de Salif Keïta, l’albinos à la voix d’or, Ali Farka Touré était la face visible et prestigieuse de ce pays à la vitalité musicale exceptionnelle. Il fut ainsi le premier artiste africain à décrocher un Grammy Award, prestigieuse distinction américaine. C’était en 1994. L’album qui lui vaudra cette récompense s’appelait Talking Timbuktu, enregistré en duo avec le guitariste américain, Ry Cooder. Son chef-d’uvre. Il rentre définitivement dans l’Histoire en février dernier, avec un second Grammy obtenu pour son avant-dernier opus, In the Heart of the Moon, là encore en duo, avec le joueur de kora, Toumani Diabaté.

Toute la vie de ce musicien se résume à sa carte de visite : « Ali Farka Touré, artiste-cultivateur. » Son destin n’est en effet qu’un éternel va-et-vient entre amour de la terre et passion de la création musicale. Ali Ibrahim Touré est né en 1939, dans le village de Kanau, sur les bords du Niger. Sa famille est noble, issue de l’ethnie arma, proche des Songhaïs. Son père, militaire dans l’armée française, est mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Le petit sera surnommé « Farka », l’âne, symbole de résistance : il est le seul survivant d’une fratrie de dix enfants morts en bas âge. En 1941, il suit sa mère et son grand-père à Niafunke, gros bourg alangui à 200 kilomètres de Tombouctou. Il saute la case « école » : un fils d’agriculteurs doit se consacrer aux travaux des champs. Mais pas la case « découverte de la musique » : il se prend de passion pour les instruments de la tradition sahélienne. Les premières semailles d’une future carrière. Cette idée prend corps quand Ali assiste, en 1956, à un spectacle du Guinéen Fodeba Keïta. Il se met alors à la guitare occidentale.

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Son parcours va accompagner l’Afrique des indépendances. Il est membre de la Troupe 117, un groupe régional, puis, dans les années 1970, de l’Orchestre de Radio Mali. Son premier 33 tours, Farka, est enregistré au Mali, en 1976. Un gros succès national et le début d’une récolte fructueuse qui l’amènera à devenir la coqueluche du public anglo-saxon notamment. Car au fil de ses seize albums s’est dessiné le style Touré. De New York à Atlanta, les mélomanes découvrent qu’il existe une forme de blues outre-Mississippi ! Cet américano-centrisme eut toujours le don d’agacer le guitariste malien. Et pour cause : la gamme pentatonique qu’utilisent les musiciens sahéliens est tout simplement identique aux harmonies blues, et il est fort probable qu’elle faisait partie des « bagages mentaux » des esclaves emmenés par-delà l’Atlantique. Farka s’est contenté d’épicer ses compositions d’une pincée d’influences contemporaines fournies par ses idoles, John Lee Hooker, Albert King ou Jimmy Smith

Entre deux tournées mondiales, Ali Farka Touré cultive son jardin, avec la patience tenace du paysan qu’il n’a jamais cessé d’être. Ses racines se trouvent à Niafunke, il y a acquis un domaine de 350 hectares, planté de riz et d’agrumes. En 1997, il annonce sa volonté de se consacrer à l’agriculture. « Le plus important, pour moi, aujourd’hui, est de nourrir ma famille [ses deux épouses et ses onze enfants], et mon pays », déclare-t-il. « Le » notable du village en devient le maire en 2004. Mais comment pouvait-il renoncer à l’autre partie de son être, la musique ? Lui qui prétendait n’avoir plus rien à dire dans ce domaine enregistre trois nouveaux albums en 2004-2005 : Niafunke, In the Heart of the Moon et un ultime opus, finalisé avant sa mort, dont la sortie est prévue pour juin prochain. Pour cela, il n’est pas allé dans quelque studio lointain de Londres ou de New York. Il est resté sur sa terre, le Mali. Comme si, enfin, il était parvenu à concilier ses deux amours dévorantes.

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