Vivre avec le sida

Si la prévalence du VIH est faible et les soins sont pris en charge par l’État, la prévention tarde à s’organiser. Témoignages.

Publié le 14 février 2006 Lecture : 6 minutes.

Farida T. a 39 ans. En 2002, sommari fait des infections opportunistes en série. Après analyses, les médecins lui annoncent la mauvaise nouvelle. Farida et sa fille, alors âgée de 6 ans, ne tardent pas à découvrir qu’elles sont atteintes elles aussi par le virus VIH (virus d’immunodéficience humaine, cause du sida). « Mon mari a été contaminé, en 1986, à la suite d’une transfusion sanguine subie en Italie après un accident de la circulation », raconte-t-elle. Mère Courage, la jeune femme ne se contente pas de s’occuper de sa famille. Elle consacre aussi beaucoup de son temps à l’Association tunisienne de lutte contre les MST (maladies sexuellement transmissibles) et le sida. Elle est également membre de plusieurs réseaux régionaux et internationaux spécialisés dans la lutte contre l’épidémie. Son mari lui facilite beaucoup la tache. Ancien boucher au chômage – sa maladie lui interdisant de travailler -, c’est lui qui s’occupe de tout à la maison.

Mais de quoi vivent-ils ? Réponse : « Nos ressources sont limitées. Heureusement que la trithérapie et autres frais médicaux [analyses, radios] sont entièrement pris en charge par l’État. Les cartes de handicapés 1er degré délivrées par les autorités nous donnent droit à une aide de 130 dinars [80 euros] par trimestre et par personne, ainsi qu’à la gratuité dans les transports publics en ville. »
Farida et les siens bénéficient du soutien matériel d’un membre de la famille, homme d’affaires aisé, qui paie leur loyer et leur verse une mensualité fixe. « En cela, j’ai de la chance. D’autres malades n’ont ni source de revenu ni toit où s’abriter. Pour avoir de quoi manger, certains vendent leurs médicaments à des malades étrangers de passage. »
Hamadi B., 31 ans, artisan au chômage, a été contaminé en 1985, lui aussi à la suite d’une transfusion. Il était hémophile et avait 10 ans. Sa maladie, il l’a découverte lorsque l’hôpital l’a convoqué et lui a fait subir les tests. C’était en 1995. « Mon état s’est détérioré très rapidement, raconte Hamadi. En 1998, j’ai atteint un seuil critique. J’avais continuellement des diarrhées et des vertiges. Je ne pouvais plus marcher. Mon poids est tombé à 45 kg. Le pire, c’est que je ne comprenais rien à ma maladie. J’ai mis du temps pour savoir comment réagir. »
Le jeune homme a trouvé du réconfort auprès de sa famille et de certains amis d’enfance dans sa ville de Bizerte, au nord du pays. Son état s’est amélioré grâce à la trithérapie qu’il suit depuis six ans, et il a repris goût à la vie. Ses objectifs, dans l’immédiat : se marier avec une jeune femme malade elle aussi du sida et trouver du travail. « Des responsables du gouvernement et des députés ont promis de nous en trouver. Nous attendons toujours », raconte Hamadi. Il vit avec sa mère grâce à sa prime de handicapé et à la pension de retraite de son père décédé. Mais, en dépit des difficultés, il se considère comme un privilégié, car il a un endroit où dormir et de quoi manger. « D’autres malades n’ont pas cette chance. Certains commettent des bêtises en espérant être mis en prison. Ainsi sont-ils sûrs de trouver abri et nourriture », explique le jeune artisan.

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Zahira F., 35 ans, agent commercial, a découvert son infection en 1995. Elle venait de convoler en justes noces et c’est son époux, qui ignorait être atteint lui-même, qui l’a contaminée. Ce dernier décédé, Zahira a mis du temps pour sortir la tête de l’eau, grâce notamment au soutien de ses parents. Le traitement par antirétroviraux, généralisé depuis 2000, a fait le reste. Ayant retrouvé santé et moral, elle a repris son travail. Ses collègues, informés de son état, ont évolué d’un sentiment de méfiance à une franche amitié. Pour montrer leur compassion, certains n’hésitent pas à boire dans le même verre qu’elle.
« Ma présence à leurs côtés les a incités à s’informer sur le VIH et ses modes de transmission. Le virus ne leur fait plus peur et ils ont appris à vivre avec », confie Zahira, qui partage désormais son temps entre son bureau et une association d’aide aux malades vivant avec le VIH. Elle s’apprête aussi à épouser un chef d’entreprise, également séropositif. Après des années de souffrance et de culpabilité, la jeune femme réapprend à croquer la vie à pleines dents.
« Vis-à-vis des porteurs du virus, les Tunisiens ont beaucoup évolué, mais pas assez pour vaincre toutes leurs appréhensions », explique cependant Zahira. Elle rapporte l’histoire de ce dentiste qui a refusé de la soigner après avoir appris qu’elle était séropositive. « J’aurais pu lui cacher la vérité et il m’aurait soignée sans rechigner », dit-elle avec une douloureuse ironie.
En Tunisie, les premiers cas de sida ont été découverts en 1985. Depuis, 1 299 cas d’infection ont été enregistrés : 863 personnes ont développé la maladie et 436 en sont mortes. En l’absence d’un dépistage anonyme et gratuit, ces chiffres sont probablement inférieurs à la réalité.
Pour avoir une estimation plus réaliste, les experts les multiplient par trois. Il y aurait donc, selon eux, entre 2 500 et 3 000 cas. La population à risque est située dans la tranche d’âge 25-40 ans. Quant aux modes de transmission, ils sont, par ordre décroissant, les relations sexuelles (41 %, dont 36 % hétérosexuelles et 5 % homosexuelles), l’utilisation de drogues injectables (29 %), la transfusion sanguine (9 %), la transmission de la mère à l’enfant (5 %). 16 % des cas sont dus à des facteurs inconnus.

« En Tunisie, comme dans les autres pays maghrébins et arabes, le taux de prévalence du sida est inférieur à 0,1 %. Or, selon les projections de la Banque mondiale, ce taux dépassera 0,4 % (seuil exponentiel) en 2015. Nous avons donc neuf années pour agir. Si nous continuons à entourer ce problème d’un voile de silence, comme nous le faisons actuellement, ce cap pourrait même être largement dépassé », souligne le Dr Khadija Moalla, coordinatrice du programme régional arabe « Initiative spéciale HIV/sida » du Pnud, qui a animé à Tunis, du 4 au 8 février, un atelier de formation en leadership et de mise en réseau des organisations de lutte contre le VIH/sida pour la région arabe.
« En Tunisie, la situation épidémiologique est sous contrôle, déclare Anouar Moalla, membre de l’ATL-MST/sida et coordinateur du réseau d’Afrique du Nord des organisations de la société civile pour le sida [Nanaso]. La prévalence est faible. La sécurité transfusionnelle est effective depuis décembre 1997. La trithérapie est généralisée et gratuite depuis décembre 2000. La qualité et l’espérance de vie des malades se sont beaucoup améliorées. La Caisse de compensation maintient le prix des préservatifs à un niveau bas et les ONG actives dans le domaine sont subventionnées par l’État. »
Mais la médaille a son revers : « Les médias ne parlent de l’épidémie qu’une fois l’an, le 1er décembre, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, explique le militant associatif. Or la menace est réelle. Et pour cause : les gens se marient de plus en plus tardivement, alors qu’ils commencent leurs relations sexuelles de plus en plus tôt. Les pouvoirs publics voudraient avoir des données précises sur l’état épidémiologique dans le pays, grâce notamment à la déclaration obligatoire par le médecin ou le laboratoire d’analyses, mais cela freine le dépistage volontaire et, par conséquent, fausse ces données. Si nous insistons pour que le dépistage soit volontaire, gratuit et anonyme, c’est afin d’inciter de plus en plus de gens à faire des tests en étant assurés de la confidentialité de l’information. »
Le Pr Mohamed Ridha Kammoun, président de l’ATL-MST/sida, insiste, pour sa part, sur un autre point noir : la faible pénétration du préservatif dans la population. « Nous avons pu éradiquer le trachome au début des années 1960 grâce notamment à la vente des pommades antibiotiques dans les épiceries. Le préservatif, qui est censé nous protéger contre une épidémie encore plus redoutable, nous n’arrivons pas encore à le sortir des pharmacies, où il demeure inaccessible pour beaucoup. »

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