Tunisie : la classe politique désemparée face aux troubles
Depuis plusieurs jours, les nuits tunisiennes sont agitées par une série de manifestations qui tournent le plus souvent à l’émeute et aux pillages. Aucune force politique ne semble avoir la main sur le mouvement.
Entre confinement et net ralentissement de l’économie, la Tunisie n’a pas le cœur à la fête et a zappé les dix ans du soulèvement populaire qui a provoqué la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier 2011. L’absence de commémoration, officiellement pour cause de pandémie, aurait été pourtant un moment opportun pour que les Tunisiens expriment leurs doutes et leur malaise.
Des jeunes n’ont pas pour autant refréné leur colère. Depuis le 15 janvier, un peu partout sur le territoire et principalement dans des quartiers populaires, des affrontements nocturnes opposent des manifestants aux forces de l’ordre. « La pression montait, les troubles étaient prévisibles » signale le politologue Larbi Chouikha. Entre chômage, crise économique, désœuvrement, déscolarisation et pandémie, beaucoup de jeunes n’ont ni perspective ni exutoire.
Fièvre nocturne
Les rassemblements sont interdits et un couvre-feu a été instauré, mais une fièvre nocturne incontrôlable s’est emparée des banlieues populaires. Les manifestants, pour beaucoup à peine sortis de l’adolescence, ne se contentent pas de réclamer du travail mais se livrent aussi à des saccages de différents commerces. Certains, comme la chaîne de supermarchés discount Aziza, semblent même être particulièrement ciblés, simplement parce que les propriétaires seraient proches des islamistes. « Ils n’ont pas d’encadrement ou de culture politique », justifie l’avocat Ghazi Mrabet.
Une atmosphère qui n’est pas sans rappeler, à première vue, les événements de décembre 2010 et janvier 2011, quand les principaux affrontements avec les forces de l’ordre avaient lieu dans les mêmes lieux le soir et s’accompagnaient aussi de vols, de pillages et d’incendies de pneus. Le même spectacle se tient dans tous les quartiers populaires, notamment ceux de la capitale. Une telle poussée de violence a fait monter de plusieurs crans l’inquiétude des Tunisiens, qui comprennent le ras-le-bol mais estiment que les moyens employés sont inadéquats.
Pillages inacceptables
Dans les rangs des politiques le silence a généralement prévalu. Les partis Echaab et Al Joumhouri et quelques associations ont publié, à la dernière minute, le 19 janvier, un communiqué de soutien aux protestataires à la condition que leurs revendications soient pacifiques.
Le président de la République, Kaïs Saïed, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi et le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi ont exprimé des points de vue similaires en estimant toutefois que ces événements n’étaient pas dus au hasard mais bel et bien téléguidés… sans plus de précision.
Attaques le soir, manifestation le jour, rien de tel pour tenter de fatiguer les forces sécuritaires
Tout en assurant que les manifestations étaient un droit constitutionnel, ils jugent inacceptables les pillages et la casse. Une manière de répondre aux près de 300 manifestants qui, dans l’après-midi du 19 janvier, réclamaient sur l’avenue Bourguiba au centre de Tunis, la libération des jeunes arrêtés les jours précédents. En scandant « la rue est au peuple », ils appelaient également à la chute du gouvernement et s’en prenaient aux forces de sécurité. Depuis plusieurs mois, la police est dans le collimateur des manifestants. « Attaques le soir, manifestation le jour, rien de tel pour tenter de fatiguer les forces sécuritaires », commente un général de brigade.
Complot ou complotite ?
Le chef de l’exécutif a souligné, dans un communiqué de ses services, que « les mouvements nocturnes ne sont pas innocents ». C’est également le sentiment de Kaïs Saïed qui a appelé, lors d’une visite à la Cité Ettadhamen, à Tunis, les protestataires « à se méfier de ceux qui entendent les manipuler sans avoir aucune intention de satisfaire leurs revendications et les oublieront aussitôt ». Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) va plus loin et estime que les émeutiers sont payés pour commettre des actes de vandalisme dans ce qu’elle considère comme une tentative de coup d’État contre le président. Chacun voit midi à sa porte, les uns pointant les islamistes, quand ces derniers accusent le pouvoir d’être derrière les événements.
Complot ou pas, Abir Moussi est l’une des rares responsables politiques à exprimer un avis clair sur la question, tandis que le député Mongi Rahoui, ex-Bloc démocrate, a quitté une plénière en cours pour rejoindre la manifestation et le dirigeant du Front populaire, Jilani Hammami. Une manière d’occuper le devant de la scène et de ne pas laisser de place aux autres leaders de gauche, dont Hamma Hammami (Parti des travailleurs).
Dans un contexte tendu, certains politiques évitent de s’exprimer trop explicitement sur les événements, d’autant que les troubles sont prétextes à des règlements de comptes politiques. Les partis qui ont essuyé un revers électoral, comme Al Joumhouri, en profitent pour réapparaître, quand d’autres s’approprient une thématique et des arguments qui étaient propres au président, et tentent de pacifier la grogne en se découvrant une empathie avec les laissés pour compte du développement. El Chaab invoque ainsi ces émeutes pour ne pas apporter son soutien au remaniement présenté par le patron de la Kasbah, et part en guerre contre le chef du gouvernement Hichem Mechichi.
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