René Préval, acte II

Publié le 14 février 2006 Lecture : 3 minutes.

« Formidable », « Exceptionnel », « Haïti a donné une leçon démocratique au monde » La presse internationale a rivalisé de formules dithyrambiques pour saluer la fin des élections, le 7 février, en Haïti. Des commentaires qui ne laissent de surprendre. Car le scrutin, cinq fois reporté, s’est déroulé dans la plus grande confusion malgré les 80 millions de dollars investis dans l’opération. Insuffisance de matériel électoral, files d’attente interminables, bousculades meurtrières (cinq personnes ont trouvé la mort et plusieurs dizaines ont été blessées, un bilan qui aurait pu être beaucoup plus lourd). René Préval, 63 ans, favori du scrutin, l’a aisément emporté. Ancien Premier ministre du président Jean-Bertrand Aristide en 1991, à qui il succède entre 1996 et 2001, tout en restant dans son ombre, Préval se démarquera de son mentor après la chute de celui-ci, en février 2004. C’est pourtant la Famille Lavalas, le parti d’Aristide, qui a pris l’initiative de le soutenir à l’approche de l’élection, son propre candidat, Marc Bazin, ne marquant pas suffisamment de points dans l’opinion. Préval a donc réussi à faire un bon score dans les quartiers pauvres comme Bel-Air ou Cité Soleil. Sera-t-il pour autant en mesure de calmer les bandes de jeunes, les milices pro-Aristide et autres voyous et dealers qui ont transformé Port-au-Prince en cité de la violence ? Rien n’est moins sûr. Préval était également le candidat favori de la communauté internationale et, partant, a récolté les voix des opérateurs économiques, commerçants, banquiers et hommes d’affaires haïtiens.
« C’est un tournant décisif dans l’histoire du peuple haïtien », a déclaré Paul Béranger, chef de la mission d’observation de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Un optimisme que nombre d’observateurs ont du mal à partager : le précédent passage de Préval aux affaires a été marqué par la plus grave crise parlementaire et constitutionnelle qu’ait traversée le pays depuis des décennies. Elle a conduit au délitement de la classe politique et à la création d’une myriade de micropartis incapables de s’entendre pour diriger le pays.
De tous les « grands soirs » qu’a connus Haïti, aucun ne s’est traduit par des « lendemains qui chantent ». Le 7 février 1986, déjà, le peuple haïtien dansait de joie dans les rues après la fuite de son dictateur honni, Jean-Claude Duvalier. Malgré l’arrivée au pouvoir de Jean-Bertrand Aristide, alors porté par une ferveur populaire extraordinaire, la fracture sociale s’est creusée. Les riches ont continué de mener la belle vie dans leurs luxueuses propriétés des hauts de Port-au-Prince ; et les pauvres, de s’agglutiner dans des bidonvilles, au milieu des ordures et de la boue, sans eau potable ni électricité. Assommé par trente ans de « kleptocratie », Haïti ne possédait ni tissu économique, ni infrastructures, ni même d’institutions solides susceptibles de lui permettre d’assurer la stabilité de l’État. En situation de quasi-banqueroute, le pays a survécu grâce aux dons des organisations internationales et aux envois d’argent des Haïtiens de la diaspora. Des centaines de millions de dollars ont été dépensés. En vain. Vingt ans plus tard, la communauté internationale ne peut que constater l’échec de toutes les politiques d’aide au développement et la recrudescence de la violence et du grand banditisme, au point de forcer Aristide au départ, en 2004. Le gouvernement de transition n’a réglé aucune question, et la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti) a éprouvé toutes les peines du monde à maintenir l’ordre.
Le peuple haïtien et tous ceux qui aiment et s’intéressent à Haïti veulent croire que René Préval va pouvoir sinon changer la donne, du moins donner un nouvel élan à la politique et à l’économie nationales. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres

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