Quand la Chine mettra le turbo
En acceptant l’entrée des constructeurs occidentaux sur son sol, l’empire du Milieu pousse méthodiquement ses pions.
Une population de 1,3 milliard d’habitants, un taux de croissance à deux chiffres, l’émergence d’une classe moyenne L’immense Chine, c’est une certitude, sera un jour le premier marché automobile du monde. Une perspective qui provoque à la fois crainte et espoir chez les constructeurs. Crainte d’une vague de véhicules chinois à bas prix qui déferlerait sur la planète. Espoir d’un nouvel eldorado, leurs ventes ne progressant plus dans les pays développés, où les besoins en automobiles sont déjà pourvus. Pour l’heure, l’espoir l’emporte sur la crainte. Car les opportunités offertes par le marché chinois sont immédiates et concrètes, tandis que le « péril rouge » ne viendra pas avant plusieurs années.
Certes, quelques véhicules made in China ont franchi la muraille. Lors du Salon de Francfort, en septembre 2005, la berline Zonghua et le coupé Geely ont suscité la curiosité des médias occidentaux, qui les ont présentés comme l’avant-garde de l’offensive chinoise. Mais ces modèles ne sont toujours pas importés en Europe : leurs moteurs ne répondent pas aux normes antipollution. Le Landwind, premier véhicule chinois diffusé en Europe, s’en tient pour l’instant aux marchés belge, néerlandais et français. Le prix de ce gros 4×4 long de 4,80 mètres est modeste : 19 000 euros. Ses prétentions commerciales aussi : il dérive de la première version de l’Opel Frontera, elle-même issue d’un 4×4 Isuzu datant des années 1980
Ces trois voltigeurs de pointe donnent une fausse idée de la puissance de l’industrie automobile chinoise. Ils émanent de petits constructeurs, sont techniquement dépassés et ne bénéficient pas d’un réseau de diffusion structuré, même si Landwind s’appuie sur d’anciens concessionnaires Rover. En vérité, la force de frappe de l’empire du Milieu est ailleurs, entre les mains des quatre « tigres » de son industrie automobile : Shanghai Automotive, Changan, First Auto Works et Dongfeng.
Ces quatre groupes, qui bénéficient de l’aide des puissantes autorités provinciales chinoises, sont en effet devenus les partenaires incontournables des grands constructeurs désireux de poser le pied sur le pays-continent. La logique est la même que pour le contrat récemment décroché par Airbus. Les perspectives de leur marché intérieur permettent aux autorités chinoises de dicter leurs conditions : les constructeurs peuvent venir fabriquer des voitures sur leur sol, à condition qu’ils créent des coentreprises avec des sociétés nationales. Shanghai Automotive a ainsi passé un accord avec Volkswagen (VW), Volvo, Mercedes et General Motors (GM) ; Changan avec Suzuki et Ford ; First Auto Work avec Toyota, Hyundai et Mazda ; Dongfeng avec Honda, Kia, GM et Nissan. D’autres marques frappent à la porte, comme Renault, en pourparlers avec Dongfeng pour produire et commercialiser la Logan en Chine.
Grisés par la taille du gâteau, les constructeurs occidentaux ont mis la barre trop haut. La demande intérieure du marché chinois représentait l’an passé 5 millions de véhicules, alors que la capacité de production des usines installées dans le pays est de 8 millions. Pourtant, les constructeurs ne réduisent pas la voilure : ils devraient produire 15 millions de voitures en Chine en 2010, pour des ventes intérieures estimées à 9 millions. Le surplus (6 millions) sera donc exporté. Le mouvement est amorcé : VW a lancé en Australie une version de sa Polo construite par Shanghai Automotive ; Honda a exporté l’an passé en Europe 30 000 Jazz montées en Chine par Dongfeng. Parallèlement, les grands constructeurs chinois sont passés à l’offensive, pas sous leur nom propre, mais en prenant le contrôle de marques étrangères en difficulté. Ainsi, Shanghai Automotive a racheté le Coréen SsangYong en 2005, après avoir acquis en 2004 les droits intellectuels des Rover 25 et 75.
Les constructeurs occidentaux connaissent les nouvelles lois du commerce international. Ils savent que dans une économie ouverte, toute incursion sur le marché chinois produira en retour, avec un décalage, l’arrivée de véhicules made in China sur le reste de la planète. Shanghai Automotive, par exemple, a déjà poussé ses pions en Algérie en y commercialisant depuis deux ans des véhicules de la marque Chery, qui lui appartient. Ce phénomène ne les inquiète pas. Car les véhicules 100 % chinois seront des véhicules à bas prix, donc à faible marge bénéficiaire. Et les marques occidentales ont pris soin de protéger les marchés les plus profitables (Europe, États-Unis, Japon) en hérissant, en matière de sécurité ou de protection de l’environnement, des normes sans cesse plus sévères qui, sous couvert de recherche du bien public, constituent de fait des barrières douanières
Bref, du moment que le marché automobile mondial augmente grâce à la motorisation de la Chine, les constructeurs occidentaux sont prêts à inviter les marques chinoises au festin. En revanche, là où la menace chinoise est réelle, c’est dans le domaine de l’emploi industriel. La délocalisation des usines automobiles a déjà commencé : au Mexique pour les constructeurs américains, en Europe de l’Est pour les constructeurs du Vieux Continent. Bientôt, les constructeurs implanteront des unités de montage en Algérie pour satisfaire les demandes d’un marché national enfin parvenu à maturité, ou au Maroc afin d’approvisionner l’Europe du Sud. Mais l’entrée de la Chine parmi les puissances de l’industrie automobile va précipiter le mouvement : 6 millions de véhicules construits en Chine par des marques occidentales à l’horizon 2010 à des fins d’exportation, c’est autant de travail en moins pour les usines installées dans le reste du monde.
Ce transfert d’activités devrait être encore plus sensible dans le domaine des pièces détachées. Le public occidental, surtout pour les modèles à prix élevé, attache encore de l’importance au lieu de fabrication d’une voiture. En revanche, peu lui importe de savoir d’où vient tel ou tel composant. Les premiers acteurs de l’industrie automobile à s’être implantés en Chine furent d’ailleurs les équipementiers, envoyés là par les constructeurs occidentaux soucieux d’abaisser le coût des pièces. L’an passé, Ford a ainsi acheté pour 1 milliard de dollars de composants fabriqués en Chine, et Toyota a exporté les deux tiers des 300 000 moteurs produits dans son usine de Guangzhou. Peugeot va chercher en Chine des roues en aluminium et des haut-parleurs destinés à des 307 vendues en Europe. En 2004, la Chine a exporté pour 8 milliards d’euros de pièces détachées. D’après les experts, ce volume devrait croître de 50 % par an d’ici à la fin de la décennie. Avec pour conséquence des bénéfices supplémentaires pour les grands constructeurs, et des emplois industriels en moins dans les pays développés.
C’est sans doute le sens de l’Histoire. Car après la Chine, ce sera le tour de l’Inde et de son 1,1 milliard d’habitants. Fiat vient de signer un accord avec Tata, premier groupe industriel indien, pour produire et commercialiser des voitures en Inde. Quand on sait la puissance de Tata, et les difficultés de Fiat, l’hypothèse vient forcément à l’esprit : et si Tata prenait un jour le contrôle de Fiat ?
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