[Tribune] Tunisie : dix années d’espoirs déçus ?

Dix ans après après le renversement du régime de Ben Ali, les Tunisiens font face à une économie en berne et un chômage exponentiel. Mais la révolution a aussi eu du bon.

Un petit groupe de personnes participe à une manifestation à l’occasion du dixième anniversaire du soulèvement qui a renversé l’autocrate de longue date Ben Ali, le 14 janvier 2021. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Un petit groupe de personnes participe à une manifestation à l’occasion du dixième anniversaire du soulèvement qui a renversé l’autocrate de longue date Ben Ali, le 14 janvier 2021. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Kaïs Mabrouk. © DR
  • Kaïs Mabrouk

    Professeur franco-tunisien de télécommunication dans plusieurs établissements universitaires en France, Tunisie et Russie, également Deputy CEO de Bouebdelli Education Group.

Publié le 21 janvier 2021 Lecture : 3 minutes.

Le 14 janvier 2011, la rue avait raison du régime de Ben Ali. Chacun pensait alors que la vie des Tunisiens serait meilleure. Une décennie plus tard, nul ne peut affirmer que l’espoir suscité par la révolution s’est matérialisé. Nombre de  citoyens disent avoir l’impression de tourner en rond. Sur le plan politique, des partis sont apparus et ont disparu comme des taupes, emportant avec eux les aspirations qu’ils avaient fait naître un court instant.

D’une élection à l’autre, dans un regain d’engagement citoyen, les Tunisiens se sont mobilisés massivement pour la démocratie, persuadés à chaque fois qu’elle serait enfin au rendez-vous. Jusqu’ici, seul le parti Ennahdha est parvenu à tirer son épingle du jeu, grâce probablement à son expérience, son fort militantisme et ses idéaux cléricaux profondément ancrés dans la société. Son succès pourrait aussi s’expliquer par le soutien de certaines puissances étrangères, lesquelles y ont un intérêt.

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Au bout du compte donc, aucun renouveau politique n’a été enregistré. Pis encore, une certaine élite politique semble de plus en plus rejetée par la nation, en l’absence de résultats économiques probants.

Inquiétudes économiques

Lors de révolution, le « droit à l’emploi » avait été l’une des premières revendications formulées par les manifestants, en particulier les diplômés du supérieur. Dix ans plus tard, leur situation a empiré. Au dernier trimestre 2020, 30 % d’entre eux étaient au chômage, contre  23 % en 2010.

Les grèves interminables dans les entreprises et la fuite du capital humain n’ont pas arrangé la situation économique du pays, lequel a perdu deux points de croissance. La production nationale est restée presque la même. Incapable d’extraire ses minerais, la Tunisie est contrainte d’importer du phosphate, l’un des ses produits phares, après l’huile d’olive et le sable.

Le Produit intérieur brut (PIB) stagne autour de 40 milliards de dollars depuis dix ans, soit l’équivalent d’un mois de revenu pour une entreprise comme Amazon, pour un train de vie social identique à celui d’un pays européen. Car, pour acheter la paix sociale, les politiques ont parié sur l’endettement et les embauches massives dans l’administration publique, portant de 435 000 à 800 000 le nombre de fonctionnaires (soit 72 fonctionnaires pour 1 000 habitants) et doublant ainsi la dette publique  (40,7 % du PIB en 2010, contre 84,5 % en 2020).

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Quant à la richesse, elle ne circule pas, ne se développe pas et, surtout, ne se partage pas. Malgré la libération de l’initiative privée et la garantie des biens, aucune nouvelle élite financière n’a émergé. En dix ans, le dinar a perdu 45 % de sa valeur face à l’euro. À cela s’ajoutent l’inflation et l’augmentation des prix.

Indéniables acquis sociaux

Malgré ce tableau quasi apocalyptique, la révolution a eu du bon . S’il est un domaine où ses retombées sont positives, c’est celui de la culture. La liberté d’expression s’est solidement installée, devenant même un acquis national. En témoignent les nombreux médias qui ont vu le jour après la chute du régime Ben Ali, ainsi que les lignes éditoriales des journaux, de plus en plus critiques.

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Côté culture populaire, les Tunisiens ont découvert un « Mezoued » et un rap audacieux, qui manient injure et blasphème. Désormais, chacun est libre de prier, de se voiler – ou de ne pas le faire. Les contrôles de police sont moins nombreux et les rassemblements religieux semblent moins scrutés.

Les étudiants d’aujourd’hui avaient entre 10 et 15 ans au moment de la révolution. Les investissements consentis par leur famille pour leur éducation en font une génération plus confiante, plus déterminée, plus avisée et plus compétitive sur le marché de l’emploi. Au bout du compte, si le bilan de la révolution en termes de richesses matérielles se révèle amèrement peu glorieux, la nouvelle génération profite déjà d’indéniables acquis et ne pourra qu’espérer un avenir meilleur.

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