Modération subsaharienne

Publié le 14 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Pas d’incendie, ni de jets de pierres, ni d’appel au meurtre. Pas plus que des manifestations monstres devant les ambassades danoises, norvégiennes ou françaises. Au sud du Sahara, la mesure et la retenue ont dominé après la publication par la presse européenne des caricatures du Prophète. Alors que les violences au Moyen-Orient ont fait une dizaine de morts, les marches de protestation organisées dans plusieurs capitales africaines n’ont pas connu de débordements. À l’exception de la Somalie, où un manifestant est mort dans des heurts avec la police, et de Djibouti, où trois étudiants ont été blessés lors d’un week-end de mobilisation au début de février, le calme a prévalu. En joignant leur voix à celle de leurs coreligionnaires du reste du monde, les musulmans subsahariens ont fait parler leur cur bien plus que leurs poings.
Mobilisées dès le 30 janvier, avant même la publication des dessins en France, des centaines de Mauritaniennes ont défilé pacifiquement à Nouakchott en dénonçant « une atteinte à l’image de l’islam ». Même atmosphère d’indignation à Bamako et à Niamey où, à l’appel des imams et des associations islamiques, plusieurs milliers de fidèles ont manifesté en récitant des versets du Coran. À Dakar, les rues sont restées désertes alors que le président Abdoulaye Wade, dont le pays accueillera, en 2007, le sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), a officiellement condamné les caricatures. Et si les prêches du vendredi ont été largement consacrés aux dessins satiriques, pas d’appels à la haine, mais plutôt la dénonciation d’une liberté de la presse dévoyée qui, lorsqu’elle blesse la foi intime des croyants, « ne fait que semer le malentendu, la désunion, la rancur et la haine entre les peuples ».
Au Soudan, quinze mille personnes se sont réunies devant le siège de l’ONU. Au Cap, dix mille manifestants ont défilé en signe de solidarité, tandis qu’au Nigeria, où plus de la moitié des 130 millions d’habitants sont musulmans, l’embrasement redouté n’a pas eu lieu. En 2002, l’élection de Miss Monde, initialement prévue à Abuja, avait pourtant déclenché des émeutes sanglantes après la publication dans la presse locale d’un article jugé blasphématoire. Seul l’État de Kano, un des onze États du Nord où la charia est en vigueur, s’est mobilisé : des drapeaux danois et norvégiens ont été brûlés devant des députés et un imam de la ville a appelé à « un embargo sur le pétrole » contre les pays européens. Les autorités ont aussi annulé un contrat de 27 millions de dollars pour l’importation de bus danois et suspendu des négociations pour l’implantation d’une centrale électrique. Les représailles économiques sont cependant restées l’exception à l’égard d’un bailleur de fonds fidèle qui consacre chaque année 0,84 % de son PIB à l’aide au développement, bien plus que la plupart des autres pays occidentaux. Le gouvernement de Djibouti est le seul à avoir annoncé son intention de suspendre les importations de produits danois. Sur les portables sénégalais, des listes de produits danois les plus connus du public ont circulé pour être boycottés.
Autre rempart contre la contagion de la violence, le ton mesuré de la presse. Les journaux sénégalais, mobilisés par l’affaire Idrissa Seck et par la Coupe d’Afrique des nations (CAN), se sont peu étendus sur le sujet. L’hebdomadaire burkinabè Sidwaya a préféré une voie pédagogique en publiant un texte explicatif sur la représentation du Prophète dans l’islam. Devancés par une décision de la Haute Cour de justice de Johannesburg qui, saisie par une association musulmane, a interdit la publication des caricatures, les journaux sud-africains se sont en majorité abstenus, dans un pays où les droits des minorités sont particulièrement protégés. À cette modération s’ajoute une tradition de tolérance et de cohabitation pacifique entre communautés religieuses dans la plupart des pays subsahariens. Sans oublier la donne géopolitique internationale : les pays du sud du Sahara ont certainement moins intérêt à s’opposer à l’Europe que les pays du Moyen-Orient.

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