RFI en mandenkan et fulfulde : le pari de la francophonie dans le multilinguisme

À Dakar, la rédaction de RFI en mandenkan (mandingue) et fulfulde (peul) émet, depuis le 14 décembre, deux heures de programmes quotidiens dans ces langues parlées par près de 60 millions de locuteurs en Afrique subsaharienne.

Aissatou Ly et Abdoulaye Dicko à la redaction de RFI fulfulde et mandenkan à Dakar le 10 décembre 2020. © Sylvain Cherkaoui pour RFI

Aissatou Ly et Abdoulaye Dicko à la redaction de RFI fulfulde et mandenkan à Dakar le 10 décembre 2020. © Sylvain Cherkaoui pour RFI

Publié le 21 janvier 2021 Lecture : 5 minutes.

Quand Leïla Mandé était enfant, sa grand-mère lui demandait de traduire les journaux qu’elle écoutait tous les jours sur Radio France International (RFI) – elle qui ne parlait pas assez bien le français pour le comprendre. Aujourd’hui, la vieille dame n’a plus besoin d’auxiliaire : sa radio favorite émet désormais en mandenkan, sa langue maternelle. Et sa petite fille y est devenue journaliste.

Comme 25 autres journalistes africains, la jeune Ivoirienne a rejoint la nouvelle rédaction de RFI en mandenkan et fulfulde, située dans une villa immaculée du quartier des Almadies, à Dakar. Dans ces locaux flambant neufs, une trentaine de journalistes venus du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Mali ou de la Guinée produit deux heures quotidiennes de programmes dans chacune de ces deux langues africaines.

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Renouveler l’auditoire

Comment RFI, la radio phare du groupe France Médias Monde, en est-elle venue à diffuser des programmes en mandenkan et en fulfulde ? Pour Cécile Mégie, directrice de RFI, la radio peut être à la fois une radio internationale en français et en langue locale. « On note un effet d’entraînement : les auditeurs qui viennent écouter le journal en mandenkan restent pour le journal en français, car le journal en langue locale leur a donné des clés de compréhension. C’est une manière pour nous de remporter le pari de la francophonie dans le multilinguisme », se félicite-t-elle.

Une manière, aussi, de renouveler l’auditoire de RFI en Afrique subsaharienne. « Nous avons fait le choix de langues transnationales pour bénéficier de l’audience la plus vaste possible. Notre philosophie : être en proximité avec notre auditoire. On s’adresse à un public plus jeune, plus féminin, doté d’une moindre compréhension du français », détaille Cécile Mégie.

Même si on est un agriculteur de Mopti, on a droit à une info libre dans sa langue

Lancé le 14 décembre, ce projet a vu le jour après deux ans de travail. Une centaine de candidats venus de tout le continent est testée sur ses connaissances, sa motivation, sa déontologie et son adhésion aux valeurs de RFI. Après trois mois de formation à Dakar, l’équipe est en place. Moyenne d’âge : 31 ans. Parité : parfaite. « Je suis admirative des jeunes qu’on a recrutés. Ils ont tout quitté et se sont expatriés pour un futur employeur qu’ils n’avaient jamais vu, Covid-19 oblige », s’enthousiasme Anne-Marie Capomaccio, qui a mené ce projet. À la clé, un salaire trois à quatre fois supérieur à la moyenne dans la presse sénégalaise. Et une exigence à la hauteur.

« Nous voulons donner l’info la plus complète, aux standards internationaux, à des auditeurs qui ne parlent pas forcément le français et qui ne sont pas forcément allés à l’école. Même si on est un agriculteur de Mopti, on a droit à une info libre dans sa langue », affirme Anne-Marie Capomaccio. Objectif : ne plus parler qu’aux cadres et aux capitales.

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L’investiture de Joe Biden en mandenkan

En ce jour d’investiture aux États-Unis, le 20 janvier, le journal de 17 heures porte ainsi sur l’arrivée au pouvoir de Joe Biden… En mandenkan. « On a réussi à trouver un correspondant mandingophone à Washington », se félicite un journaliste en attendant de passer sa chronique. Avec ses vingt correspondants répartis dans le monde entier, la nouvelle rédaction ambitionne de devenir un condensé de RFI. « Une actualité internationale, mais en langue locale », résume-t-on.

La rédaction en fulfulde et mandenkan devait initialement être implantée à Bamako, puis Ouagadougou – mais les aléas sécuritaires en ont décidé autrement. Malgré sa présence dakaroise, RFI n’a, pour l’heure, pas l’intention d’émettre en wolof, qui, contrairement au fulfude et au mandekan, est essentiellement parlé au Sénégal.

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Si cette structure est, juridiquement, une filiale de la maison-mère, des synergies existent entre les deux entités – et les deux rédactions se nourrissent l’une de l’autre. Aussi, en début de mois, la rédaction dakaroise a été la première à obtenir des informations de première main sur l’attaque, le 3 janvier, du village de Bounti, au Mali – village voisin du lieu de naissance d’une reporter nouvellement recrutée.

Recontextualisation culturelle

Les logiciels de montage, le matériel, les grands panneaux siglés RFI – et acheminés en partie depuis Paris par valise diplomatique – tout, jusqu’aux jingles carillonnant au début de chaque émission, est strictement identique qu’au sein du siège parisien de RFI.

Une ambition qui ne va pas sans quelques ajustements. Car certains termes, essentiellement techniques, n’existent ni en fulfulde, ni en mandenkan. « On doit parfois créer de nouveaux mots », sourit Timbi Bah, rédacteur en chef de la rédaction fulfulde. Ainsi, le mot « démocratie » n’existait pas dans cette langue parlée de la Mauritanie à la Centrafrique. Après concertation, Timbi Bah et son équipe ont opté pour le terme « lâmu potal » : littéralement, « pouvoir partagé ».

On ne veut surtout pas être la radio des peuls ou la radio des mandingues

Ces hésitations linguistiques génèrent parfois des incompréhensions. Après l’attaque de Bounti, une source signale la présence d’un « laana weeyo » (objet volant). Est-ce un avion, ou un hélicoptère ? Pour les deux appareils, le terme est le même.

« Nous effectuons un important travail de recontextualisation culturelle », détaille Timbi Bah. « Aujourd’hui, par exemple, nous avons parlé du rapport Stora. Au nord du Mali ou au nord de la Guinée, il faut expliquer les enjeux de la guerre d’Algérie, et dire aux auditeurs que cet homme est un historien respecté des deux côtés de la Méditerranée ». Même démarche pour expliquer aux auditeurs la fugue de la jeune sénégalaise Diary Sow : expliquer qu’on a le droit de disparaître volontairement en France, ce qui est culturellement incompréhensible en Afrique de l’Ouest.

« Fierté »

Nombre des journalistes de la rédaction n’avaient jamais eu l’opportunité de travailler dans leur langue maternelle – ce qui nécessite un travail d’équilibriste constant au sein des équipes. Un comité d’écoute composé de linguistes fulaphones et mandingophones exerce un contrôle à posteriori sur la qualité linguistique et grammaticale des programmes. Il s’agit d’être compris de toute la communauté fulaphone, en dépit des inévitables différences linguistiques qui caractérisent la communauté des 27 millions de locuteurs.

Travailler pour RFI, c’était un rêve. Travailler pour RFI en fulfulde, c’était au-delà du rêve

Le développement de cette rédaction, porté par le financement de l’Agence française de développement (AFD), ne va pas sans défis. Comment émettre en fulfulde ou en mandenkan sans récolter l’image d’une radio communautaire ? « On ne veut surtout pas être la radio des peuls ou la radio des mandingues, martèle le jeune rédacteur en chef. C’est très fort, symboliquement, que les deux communautés travaillent ensemble, au service de la même info ». De là vient le choix sémantique opéré par les équipes du projet : baptiser la jeune rédaction d’un nom de langue, et non d’ethnie.

« Fierté » : le mot revient en boucle dans la bouche de tous les jeunes journalistes interrogés sur l’opportunité de travailler pour une radio internationale dans leur langue maternelle. « Cette rédaction, elle représente toute la région et sa diaspora à travers le monde, se réjouit Rama Diallo, journaliste santé fraîchement débarquée du Burkina. Travailler pour RFI, c’était un rêve. Travailler pour RFI en fulfulde, c’était au-delà du rêve ».

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