Lifting à l’angolaise

Ravagé par la guerre civile, Luanda tente de retrouver son lustre d’antan. Grâce aux revenus pétroliers et à l’arrivée des entreprises étrangères.

Publié le 14 février 2006 Lecture : 5 minutes.

Visiter aujourd’hui Luanda, c’est un peu comme contempler une ancienne reine de beauté qui aurait mal vieilli. Fondée au XVIIe siècle, la capitale angolaise jouit pourtant d’un superbe site. Avec la Ilha, – l’île, en réalité un bras de terre taquinant l’océan -, la ville s’ouvre sur une baie magnifique. Celle que les colons portugais baptisèrent Nova Lisboa est aussi le lieu d’un formidable brassage ethnique. Longtemps réduite à un espace de transit vers l’arrière-pays et ses richesses minières, la cité a vu sa population se diversifier avec l’arrivée des premiers Lusitaniens. Soldats frappés de sanctions disciplinaires et condamnés de droit commun déportés outre-mer par la couronne portugaise ont rapidement été rejoints par des esclaves en fuite ou affranchis.
Mais voilà, Luanda présente aussi un visage beaucoup moins harmonieux. Alors que la ville haute abrite le centre du pouvoir politique, la cité basse, ancien comptoir de la traite négrière, est désormais exclusivement réservée aux activités commerciales, financières et portuaires. Le siège d’Endiama, la société d’État qui détient le monopole de l’exploitation diamantifère, celui en construction de la Sonangol, le groupe pétrolier public, et ceux des grandes banques s’y côtoient.
La guerre civile qui a éclaté au lendemain de l’indépendance, en novembre 1975, a, elle, apporté son lot de réfugiés à la capitale, devenue la destination de tous les Angolais de l’intérieur fatigués par le conflit. Orphelins et estropiés sont venus grossir les quartiers périphériques d’une métropole comptant désormais près de 4 millions d’habitants. Les musseque, ces bidonvilles construits il y a près de quatre siècles, qui doivent leur nom au sable rouge sur lequel ils reposent, sont devenus des nids d’affamés, à la suite des vingt-sept années de guerre qui ont opposé le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) à l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita). Jusqu’en février 2002 et l’élimination par une unité des Forces armées angolaises (FAA) du leader de l’Unita, Jonas Savimbi, qui a conduit la formation a déposer les armes et à se transformer en parti politique, les deux factions se sont affrontées au cours de violents combats. Disposant des confortables revenus des mines de diamants sous son contrôle, l’Unita a d’abord pris le dessus, avant que la découverte d’importants gisements pétroliers au large des côtes angolaises change la donne et rétablisse l’équilibre militaire entre les deux belligérants, au milieu des années 1990.
En 2006, quatre années après la signature de la paix, Luanda est en pleine mutation. Les recettes de la fiscalité pétrolière (plus de 6 milliards de dollars en 2004) ont permis au gouvernement de relancer de nombreux chantiers. La vieille Miss s’offre un lifting. Le quartier de Praia do Bishpo, à la sortie sud de la capitale, voit s’ériger un immense complexe résidentiel assorti d’un grand centre commercial. La cité basse se hérisse de grues. Les axes routiers sont rénovés et de nouveaux ponts voient le jour. Le secteur du bâtiment et des travaux publics, traditionnellement réservé aux grandes entreprises portugaises comme Texeiro Duarte ou Soares Da Costa, profite tout particulièrement de ce renouveau, mais est de plus en plus soumis à la concurrence.
De nombreuses entreprises étrangères s’introduisent ainsi sur ce marché. Alors que des Sud-Africains ont remporté la mise pour la réalisation d’un projet hôtelier à l’entrée de la Ilha, l’empire du Milieu, lui aussi, pose le pied dans le pays. Un prêt de 2 milliards de dollars sur vingt ans, accordé à un taux d’intérêt préférentiel par la banque chinoise Eximbank aux autorités de Luanda en 2005, a permis à de nombreuses sociétés de ce pays de s’implanter dans le secteur pétrolier angolais, mais également dans celui des infrastructures à l’heure où tout est à réaliser, rénover ou restaurer. Les Brésiliens ne sont pas en reste non plus. La visite effectuée en 2005 par le président Lula a été couronnée d’une facilité de financement de 500 millions de dollars Autant d’espoirs de voir l’ex-Nova Lisboa retrouver son lustre d’antan.
La preuve : en quelques mois, les Caluandas, les habitants de la capitale, ont vu leur cité changer de visage. Sans disparaître, la misère se fait plus rare. Les quartiers sont nettoyés et les ordures ménagères régulièrement ramassées par une société privée. Plus ou moins bien pris en charge, les enfants des rues sont moins nombreux à déambuler sur les trottoirs. Et si la criminalité persiste, les noctambules peuvent désormais sortir sans avoir constamment la peur au ventre.
Seuls les condogueiros, les chauffeurs de taxi-brousse, sévissent encore et contribuent à rendre moins fluide la circulation dans les artères de la ville. En revanche, les kingaleiras, ces femmes cambistes qui agitent des liasses de billets de banque en pleine rue, ont disparu du paysage. Le change se fait aujourd’hui dans les supermarchés ou dans des bureaux spécialisés, installés dans tous les quartiers de la capitale.
Autres traits marquants de Luanda : la cherté de la vie et le décalage entre les salaires des fonctionnaires et le coût du panier de la ménagère. Le salaire d’un agent de la circulation n’excède pas 6 000 kwanzas (un peu plus de 60 dollars), soit l’équivalent de dix hamburgers dans un fast-food. La corruption reste également un problème majeur. Le phénomène colle à la peau des autorités et des cadres des grandes entreprises publiques, régulièrement épinglés par l’ONG Transparency International. « Il est de plus en plus difficile pour les hauts fonctionnaires ou les cadres de sociétés publiques de détourner de l’argent », relativise pourtant Fernando, un artiste-peintre. Quant à la petite corruption, celle des policiers par exemple, elle est plutôt perçue comme une forme de redistribution de la rente, ajoute celui-ci, sans rire. Une petite combine pour boucler les fins de mois, semblable à celle qui consiste à dresser des barrages routiers pour rançonner sous n’importe quel prétexte les chauffeurs de véhicules immatriculés CD (corps diplomatique) – des étrangers le plus souvent, qu’ils soient pétroliers, négociants en diamants, diplomates ou simples touristes -, remarque, pour sa part, l’ambassadeur d’un pays européen.
La lutte contre la corruption, la reconstruction du pays, la relance de l’économie, voilà des chantiers immenses qui semblent conforter l’optimisme des Angolais. « Bien sûr, le quotidien n’est pas facile avec des coupures d’eau et des délestages à toute heure de la journée. Mais les prochaines élections devraient davantage légitimer le pouvoir. Et avec les ressources humaines, minières et pétrolières dont dispose l’Angola, le nouveau gouvernement n’aura plus d’excuses s’il ne réussit pas à faire décoller l’économie, à améliorer le sort des populations et à assainir la gestion des finances publiques. » Ainsi parle Americo Gonçalves, journaliste indépendant, qui énumère peut-être tout haut les doléances de nombre de ses compatriotes.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires