La ronde des médiateurs

En prenant des sanctions à l’encontre de trois Ivoiriens, l’ONU tente d’affirmer son autorité. Et de siffler la fin de la récréation ?

Publié le 14 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Il aura fallu presque quartorze mois au Conseil de sécurité de l’ONU pour taper du poing sur la table. Le 7 février, il a fini par sortir trois noms d’une liste bien plus longue, qui reste secrètement cachée dans les coffres du siège de l’Organisation à New York, depuis qu’elle a été élaborée en novembre 2004. L’interdiction de voyager et le gel des avoirs de Charles Blé Goudé, le leader des « Jeunes Patriotes » (pro-Gbagbo), d’Etienne Djué, surnommé le « Maréchal », du même bord, et de Fofié Kouakou, l’un des commandants de zone des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) suffiront-ils à calmer les esprits et enclencher le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), qui doit remettre le Côte d’Ivoire sur le chemin de la paix ? C’est trop peu et trop tard, argue-t-on déjà à Abidjan.
Certes, la provocation des « Jeunes Patriotes », qui avaient attaqué les bâtiments de l’Onuci à Abidjan à la mi-janvier, était trop insolente pour que la communauté internationale reste silencieuse. Afin de conserver sa neutralité, elle a préféré frapper des deux côtés. Mais, s’il s’agit de punir l’offense faite à l’ONU, pourquoi avoir sanctionné un Fofié Kouakou, qui, dans ce dossier, n’est coupable d’aucun écart ? Si au contraire, c’est plutôt pour stopper les abus des deux côtés, il aurait fallu préciser la démarche.
Ces longs mois de tergiversations de la part de l’ONU, pour appliquer des sanctions brandies jusqu’alors comme de simples menaces, traduisent surtout le malaise de la communauté internationale. De la signature des premiers accords de cessez-le-feu sous la direction du Sénégalais Abdoulaye Wade en octobre 2002 à la nomination du Premier ministre Charles Konan Banny en décembre 2005, en passant par Lomé, Paris et Accra I, II, III…, les hésitations, les contradictions, les oppositions des différents médiateurs ne viennent que rajouter à la confusion interne à la Côte d’Ivoire.
Dans les bâtiments de la mission onusienne de Sebroko à Abidjan, on respire pourtant un peu. « Même si les sanctionnés ont déjà pris des mesures pour cacher leur argent, le symbole des condamnations est fort. Il nous investit d’une autorité essentielle », explique un conseiller politique de l’Onuci. Mais le jour où il faudra affirmer davantage leur fermeté, les quinze États membres du Conseil de sécurité devront affronter leurs propres divergences – les États-Unis s’intéressent davantage à la situation au Soudan, la Chine bloque, la Russie aussi – ainsi que la ferme opposition sud-africaine à de telles mesures.
S’il a semblé lâcher du lest sur le dossier ivoirien à la fin de l’année 2005, après les critiques de partialité formulées à son encontre par l’opposition ivoirienne et les FN, Thabo Mbeki, médiateur toujours mandaté par l’Union africaine (UA) fait, ces derniers temps, un retour en force. Ses représentants ont repris leur travail, constate-t-on dans les couloirs de l’ONU. Olusegun Obasanjo a beau avoir réussi, alors qu’il était président en exercice de l’UA et en collaboration avec Paris et Alpha Oumar Konaré, à faire accepter Charles Konan Banny au poste de Premier ministre, Mbeki n’a pas l’intention de perdre du terrain. Il profite du changement de leadership à la tête de l’UA, qui a placé le 24 janvier, le Congolais Denis Sassou Nguesso dans le fauteuil d’Obasanjo. Mais l’influence de ce dernier au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est telle qu’il continuera à suivre la situation de près aux côtés de ses pairs impliqués depuis le début. Quant au nouveau patron de l’UA, outre son équation personnelle, ses bonnes relations avec Paris, ainsi qu’avec nombre de ses pairs, il est proche d’Omar Bongo Ondimba, lui-même très familier du dossier.
Sans se soucier de la réaction de tous ces autres médiateurs, l’Afrique du Sud a réaffirmé le 8 février que le mandat de l’Assemblée nationale ivoirienne devait être prolongé, contre l’avis du Groupe de travail international (GTI), auquel elle appartient. La décision du GTI de prôner la fin du mandat de l’Assemblée avait pourtant été prise à l’unanimité. L’Afrique du Sud voudrait-elle jouer cavalier seul ? A-t-elle réellement intérêt à cacher sa stratégie aux autres médiateurs ? La mésentente au sein de cette instance formée des quinze pays ou organisations engagés dans la médiation est inquiétante.
En attendant que la communauté se décide à parler d’une seule voix, les tensions se poursuivent. Si Abidjan reste calme, trop absorbé par les performances des Éléphants à la Coupe d’Afrique des nations, l’Ouest est toujours en proie au chaos. Dans la nuit du 5 au 6 février, au moment où l’application des sanctions se confirmait à New York, le village de Zouan, à une vingtaine de kilomètres de Guiglo, était attaqué par des éléments non identifiés. Les Casques bleus bangladais qui ont quitté Guiglo à la mi-janvier, après la panique, sont toujours stationnés dans la zone de confiance et, à l’état-major de l’Onuci, on estime la situation sécuritaire encore trop dangereuse pour donner une date à leur retour à Guiglo.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires