La grande lessive

Pour donner des gages de bonne volonté aux bailleurs de fonds, Yaoundé fait le vide. Jusqu’au plus haut sommet de l’État.

Publié le 14 février 2006 Lecture : 5 minutes.

C’est une nouvelle révolution. Depuis la mi-janvier, le gouvernement camerounais a lancé une grande offensive aux sommets des institutions publiques nationales pour lutter contre la corruption. « La justice est en train d’examiner une bonne demi-douzaine de dossiers, a annoncé, le 24 janvier, le vice-Premier ministre et garde des Sceaux, Amadou Ali. Il s’agit d’enquêtes relatives à des faits de corruption et de détournements de deniers publics. Et ce ne sont pas de petites affaires », a-t-il ajouté. Au moins deux ministres actuellement en poste seraient visés. L’un disposerait d’un patrimoine que ses émoluments ne peuvent raisonnablement lui assurer. L’autre est mis en cause pour sa gestion « scandaleuse » d’une entreprise publique. À l’origine de ces décisions : la volonté des autorités de rassurer les bailleurs de fonds, mais aussi le souhait de faire revenir les investisseurs dans le pays au moment où celui-ci joue son avenir économique
Depuis quelques mois, le Cameroun est, en effet, placé sous surveillance. L’enjeu est d’atteindre, au cours du premier semestre 2006, le point d’achèvement de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), ce qui lui permettrait de voir plus de la moitié de sa dette publique (6,9 milliards de dollars, soit 52 % du PIB) annulée. Et de retrouver le soutien de la France, sous la forme d’un Contrat de désendettement et de développement (C2D), composante bilatérale de l’initiative PPTE. Paris s’engagerait à verser à Yaoundé 100 millions d’euros par an sur une période de quinze ans. Dans cette optique, une mission du Fonds monétaire international (FMI) est arrivée dans le pays, le 26 janvier, pour s’assurer qu’il fait bien l’objet d’une saine gestion. Une visite qui fait suite à la réactivation, le 24 octobre 2005, du partenariat du FMI avec le Cameroun, dans le cadre de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC).
Au sommet de l’État, l’opération Mains propres a commencé le 19 janvier, quand Niels Marquardt, l’ambassadeur des États-Unis, est sorti de sa réserve et a publiquement exprimé son scepticisme à propos de la campagne nationale de lutte contre la corruption lancée, la veille, à Ebolowa (sud). « Il est impossible de lutter contre la pauvreté quand une poignée de Camerounais détourne les fonds publics », a lancé Marquardt, qui aurait par ailleurs remis une liste au président Biya sur laquelle se trouveraient plusieurs grandes figures du régime. Selon les estimations officielles de l’Observatoire camerounais de lutte contre la corruption, créé en 1998 par l’ancien Premier ministre, Peter Mafany Musongè, ces détournements absorberaient 50 % des recettes publiques du pays
Pour tordre le cou à cette réputation du « tous pourris », le gouvernement a activé les mécanismes de lutte contre les détournements de fonds publics prévus par la Constitution révisée du 18 janvier 1996. La Chambre des comptes, qui n’avait jamais été mise en place, vient enfin de voir le jour. On évoque aussi l’application de l’article 66 de la Constitution, obligeant les hauts responsables de l’État à déclarer leur patrimoine à la veille de leur prise de fonction puis à l’issue de leur mandat. Enfin, la loi n° 16 du 9 décembre 1999 sur le régime des établissements et des entreprises publiques et parapubliques a été sortie de l’oubli. Elle établit notamment l’incompatibilité des fonctions de ministre, de député, de président de conseil d’administration (PCA), de directeur général et d’administrateur d’une compagnie d’État.
Le premier à en faire les frais a été Emmanuel Gérard Ondo Ndong, le « tout-puissant » directeur général du Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale (Feicom), dont la gestion avait été mise en cause par le rapport d’un cabinet d’audit français. S’en est suivi un grand ménage au sein des entreprises parapubliques. Gilles Roger Belinga, directeur général de la société immobilière du Cameroun (SIC) depuis près de quinze ans, a été limogé. Les directeurs généraux du Conseil national des chargeurs du Cameroun (CNCC), de la Société de développement de cacao (Sodecao) et du Parc national de matériel et de génie civil (Matgenie) ont aussi été remplacés. Louis Bapès Bapès, actuel ministre des Enseignements secondaires, a perdu la direction générale de la Mission d’aménagement et de gestion des zones industrielles (MAGZI). De même, Édouard Etondè Ekoto, qui cumulait les postes de président du conseil d’administration de la SIC, du Port autonome de Douala (PAD), et de délégué de la communauté urbaine de Douala, a été évincé des deux premières assemblées. Le ministre Justin Ndioro, chargé de mission à la présidence de la République, n’est plus président du conseil d’administration de l’Agence de régulation des marchés publics (ARMP), ni de l’AES Sonel, la Société nationale d’électricité, ni de la société de recouvrement des créances (SRC), autant de postes que celui-ci occupait simultanément. « Il y avait des abus en terme d’accumulation de fonctions et de longévité, inexplicable à certains postes », résume l’un des experts financiers les plus en vue à Yaoundé.
Sur la même lancée, deux magistrats ont été révoqués le 3 janvier – une première depuis l’accession au pouvoir du président Biya en 1983. Vincent Mpongo, président du tribunal de Nanga-Eboko (centre), et Djonko, vice-président de la cour d’appel de Bafoussam (ouest), sont tous deux accusés d’abus de fonction.
Est-ce alors la fin de l’impunité, comme le répète le Premier ministre Ephraïm Inoni ? « Quand je me suis plaint que plusieurs serviteurs de l’État puisaient dans les caisses pour leur enrichissement personnel, on m’a demandé d’apporter des preuves, confie Garga Haman Adji, ancien ministre de la Réforme administrative et des Services publics, passé depuis à l’opposition. Et quand je les ai apportées, rien n’a été fait, ces gens n’ont jamais été sanctionnés et j’ai été contraint de démissionner. »
Reste que la situation semble différente aujourd’hui. « Le gouvernement ne peut plus reculer, il a ouvert une brèche, la presse s’y est engouffrée, les dénonciations vont se poursuivre », analyse un cacique du pouvoir. Les médias locaux font leurs choux gras des supposées fortunes des membres de l’establishment. Et les supputations vont bon train sur l’audit en cours concernant certains comptes du Trésor, dont celui de la redevance audiovisuelle, qui accusait un déficit de plus de 1 milliard de F CFA en janvier 2005, avant le départ du professeur Gervais Mendo Zé, ex-directeur général de la Cameroon radio television (CRTV), devenu ministre délégué à la Communication Autant dire que la chasse à l’homme a bel et bien commencé.

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