Claire Diao, wonder woman du cinéma africain

Journaliste, critique, responsable d’un programme de courts-métrages et directrice d’une société de distribution, la Franco-Burkinabè Claire Diao est devenue l’une des super-références du 7e art africain.

La journaliste et critique de cinéma franco-burkinabè Claire Diao © Sophie Garcia/hanslucas.com

La journaliste et critique de cinéma franco-burkinabè Claire Diao © Sophie Garcia/hanslucas.com

leo_pajon

Publié le 27 janvier 2021 Lecture : 4 minutes.

Un petit bureau coincé dans un vaste open space de Pantin, en banlieue parisienne. C’est là, derrière une pile de sa revue Awotele, que Claire Diao a provisoirement établi sa « batcave », elle qui confie réfléchir à se délocaliser au Burkina, le pays de son père. Vu le travail colossal qu’elle abat quotidiennement, on pourrait tout à fait imaginer cette fonceuse sous la cape d’une héroïne DC Comics (les tresses en plus).

La trentenaire ne s’est pas fixé pour objectif de sauver la veuve et l’orphelin, ou la planète. Sa mission est presque plus ardue : donner de la visibilité aux talents du cinéma africain. Mais elle peut compter sur un super-pouvoir, celui de se démultiplier. Comment expliquer sinon qu’elle soit sur autant de fronts en même temps ? Elle est responsable éditoriale d’Awotele, donc, une revue bilingue (français / anglais) qui paraît à l’occasion des grands festivals du continent, à Carthage, Ouagadougou et Durban. On peut parfois la voir elle-même sur place, derrière un stand bricolé, proposer aux cinéphiles avec le bagout et l’humour d’un harangueur de foire sa publication pointue.

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Nouveaux talents

Avec Quartiers lointains, un programme de courts-métrages qui s’invite dans les cinémas du monde entier, elle met en avant les nouveaux talents. « Notre saison 6 devait être lancée en France il y a quelques mois, mais elle a été repoussée… Elle sortira le 29 janvier dans les salles Majestic à Abidjan ! » lance-t-elle dans un large sourire. Et avec sa société Sudu Connexion (créée en 2016), elle gère aussi la distribution de films… L’un des « maillons faibles » du 7e art africain. « Quand j’assure des formations devant des étudiants du continent, ils rêvent de prendre la caméra, mais ignorent souvent que des distributeurs travaillent en coulisse pour que les films puissent exister en salles. »

Mais ce n’est pas tout, Claire Diao a aussi rejoint les comités de sélection de la Quinzaine des réalisateurs (l’une des sections parallèles du Festival de Cannes), du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand et depuis peu celui du court-métrage de l’Académie des Césars. « Je pense que je suis arrivé à un moment où le manque de diversité des comités de sélection commençait à poser problème », concède la spécialiste, pour qui le milieu (globalement masculin, blanc et plutôt âgé) méconnaît ou se désintéresse naturellement de certains sujets, dont ceux portés par la diaspora.

Démission de Canal + Afrique

Il y a au moins une activité qu’elle a pu mettre de côté : celle de présentatrice. A la tête de « Ciné Le Mag », sur Canal + Afrique, elle et son équipe ont démissionné en bloc en juillet 2020. L’une de ses invitées, l’actrice franco-sénégalaise Annabelle Lengronne, avait eu le tort de citer Assa Traoré en tant que femme noire inspirante.

La production a été dans un déni complet, et n’a jamais voulu reconnaître la censure »

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« C’était très violent, se souvient Claire Diao. Le directeur des magazines a déboulé sur le plateau, où il n’y avait à ce moment-là que des femmes, et nous a donné l’ordre d’arrêter de parler du sujet, en prétextant que c’était trop franco-français… Par la suite, la production a été dans un déni complet, et n’a jamais voulu reconnaître la censure. Ce n’était pas la première fois qu’on m’empêchait de contrôler l’éditorial. Le réalisateur Ladj Ly, que j’avais invité, a été déprogrammé au dernier moment, dans mon dos : je l’ai appris par texto en prenant l’avion pour le Ghana. Encore une fois, on lui reprochait d’être trop franco-français. Pourtant parler sur le plateau de la mort de George Floyd aux États-Unis n’est jamais paru américano-américain ! » Avec le recul, elle se dit « soulagée » d’avoir mis fin à sa présentation de l’émission, mais regrette que son public africain n’ait pas été tenu informé des raisons de son départ.

« Faire évoluer les imaginaires »

Au delà de ces embûches, la passionnée récolte les fruits de ses patients efforts. Son programme de courts-métrages est de plus en plus apprécié. « Je me souviens qu’au début de l’aventure Quartiers Lointains, on se déplaçait avec notre petite valise, contenant les DVDs, et qu’on faisait un travail de fourmi, de porte à porte, pour sensibiliser les professionnels… Aujourd’hui, notre boulot est pris au sérieux : certains programmateurs viennent spontanément vers nous, les producteurs ont constaté qu’on leur reversait bien leur part des recettes, les réalisateurs ont vu qu’on défendait leurs œuvres. Beaucoup n’étaient pas habitués à ça ! »

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De grands noms lui ont déjà apporté leur soutien, comme le cinéaste Alain Gomis, l’un des parrains de son programme itinérant, qui souligne « la nécessité pour toute une génération de se voir sous de multiples facettes » ou l’acteur et réalisateur Lucien Jean-Baptiste, pour qui l’initiative contribue à « faire évoluer les imaginaires. »

Parmi les 22 réalisateurs qu’elle a soutenus jusqu’ici, huit sont passés au long-métrage

Fierté supplémentaire pour la tête chercheuse : parmi les 22 réalisateurs soutenus jusqu’ici, huit sont passés au long-métrage. C’est par exemple le cas de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (présentés lors de la saison 5 de Quartiers lointains), label Cannes 2020 avec leur long Gagarine, Walid Mattar (Vent du Nord), Omar El Zohairy (Les plumes de mon père) ou Cédric Ido (La vie de château).

Des films distribués par Sudu Connexion sont également distingués. C’est le cas par exemple avec Baltringue, un court-métrage évoquant l’homosexualité en milieu carcéral, de la réalisatrice Josza Anjembe (déjà remarquée pour Le bleu blanc rouge de mes cheveux), présélectionné à la cérémonie des Césars 2021.

En début d’année, Claire Diao a pu engager une « festival manager », Ibee Ndaw, qui lui donne un coup de main dans ses activités. Par exemple pour travailler sur la saison 6 de Quartiers lointains, baptisée « afrofuturistik. » « On y aborde la science-fiction… C’est un peu une réponse au succès de Black Panther, mais avec des Africains derrière la caméra », lance Claire Diao. Tiens, encore une histoire de super-héros.

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