Idriss Déby Itno : la stratégie de survie

Publié le 14 février 2006 Lecture : 3 minutes.

C’est le 6 juin 2000. Ce jour-là, après trois ans de tergiversations, le conseil d’administration de la Banque mondiale réuni à Washington accepte enfin de financer le projet d’oléoduc Tchad-Cameroun. Explosion de joie au bord du Chari. « On a fait la fête toute la nuit », se souvient un Ndjaménois. Les militaires tirent en l’air. La foule se masse sur la place de l’Indépendance. Idriss Déby Itno sort à pied de son palais et s’offre un bain de foule. « C’est le second plus grand événement de l’histoire du pays après l’indépendance », dit-il. Comme il paraît loin ce temps de liesse pétrolière
Voici venu le temps de la colère. « Avant le pétrole, on vivait mieux », disent beaucoup de Tchadiens. Depuis le début de l’année, les fonctionnaires mènent des grèves à répétition pour obtenir le paiement de plusieurs mois d’arriérés de salaires. « L’argent du pétrole, c’est pour construire des châteaux dans les quartiers nord de N’Djamena », dit un gréviste.
Pour l’opposition, le blocage avec la Banque mondiale est la sanction logique d’une gestion erratique du dossier pétrolier par le gouvernement tchadien. « Idriss Déby Itno récolte ce qu’il a semé », lâche Saleh Kebzabo. « Il y a huit ans, pendant les négociations avec la Banque mondiale, il nous disait : Signez, on verra après. Aujourd’hui, on voit ! » précise celui qui fut un éphémère ministre du Pétrole en 1998. « Déby Itno ne tient jamais parole. Il a voulu rouler la Banque mondiale dans la farine. Le résultat est là », lance Ngarledji Yorongar. À l’époque, il avait été le seul opposant à ne pas voter en faveur du projet pétrolier à l’Assemblée nationale.
À quelques mois de l’élection présidentielle, l’enjeu est gros. Pourquoi le président tchadien fait-il ce cadeau à ses adversaires ? Sans doute parce qu’il n’a pas le choix. En 1999, dès la signature, il ne voulait pas de cet accord qui ne lui donnait le contrôle que de 15 % des revenus pétroliers. Mais sans accord, pas de caution de la Banque mondiale. Et sans caution, pas de mise en exploitation par les majors. C’était à prendre ou à laisser.
Le problème, c’est la gabegie. Dans un autre pays, ces 15 % suffiraient peut-être à faire fonctionner l’État et à payer les fonctionnaires. Pas au Tchad. Bon dernier au classement de Transparency International sur la corruption, le Tchad est le pays de tous les trafics. « Ne cachons pas qu’il y a des malversations financières dans les douanes, les impôts et au niveau des services administratifs des recettes », avoue pudiquement le Premier ministre Pascal Yoadinmadji (Marchés tropicaux, 6 janvier 2006).
La présidentielle approche. On parle d’avril prochain. Certes, les petits arrangements avec les listes électorales et les résultats des urnes peuvent garantir à Idriss Déby Itno une élection sans histoires, comme en 1996 et en 2001. Mais la très forte abstention au référendum constitutionnel de juin 2005 a montré que le régime n’était pas très populaire. Il faut trouver du cash. Le gouvernement vient de débloquer 5 milliards de F CFA pour payer les arriérés de pensions de ses retraités. Les syndicats acceptent de suspendre la grève des fonctionnaires jusqu’au 25 février. Après cette date, la trêve sociale n’est plus garantie.
Autre souci, plus grave encore, la guerre à l’est. Depuis les désertions d’octobre dernier dans le propre clan zaghawa du chef de l’Etat, les rebelles se sont renforcés. En novembre, Idriss Déby Itno lâche : « Si j’ai besoin d’acheter des armes, je le ferai. Personne ne pourra m’en empêcher. » De fait, N’djamena achète des hélicoptères de combat. Sans doute le pouvoir espère-t-il aussi négocier des ralliements au prix fort. En clair, le régime est dans une stratégie de survie à court terme. S’il y a des dégâts avec la Banque mondiale, on gérera plus tard.
Pour gagner à plus long terme, N’Djamena joue une nouvelle carte, l’anticolonialisme. Le gouvernement dénonce « la brutalité » avec laquelle la Banque mondiale a suspendu ses prêts au Tchad. D’abord très hésitants, les députés du parti au pouvoir ont voté sous forte pression une résolution qui dénonce le comportement « impérialiste » de l’institution de Bretton Woods. L’objectif n’est pas tant de séduire l’opinion tchadienne… fortement désabusée. Non. N’Djamena espère surtout donner mauvaise conscience aux bailleurs de fonds.
Le 30 janvier, le dialogue a repris entre les deux parties à Paris. Sans résultats pour l’instant. La stratégie de N’Djamena va-t-elle payer ? Pour plusieurs observateurs tchadiens, ce bras de fer repose une question. Toujours la même : « Peut-on laisser la gestion d’une manne pétrolière à un gouvernement non démocratique ? »

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