FLN/RND Jumeaux ou frères ennemis ?

Comment les deux partis qui forment l’ossature de l’alliance présidentielle en sont venus à s’opposer régulièrement sur la place publique.

Publié le 14 février 2006 Lecture : 5 minutes.

« Nul n’ignore que M. Belkhadem vise le poste de chef du gouvernement. Il doit savoir que seul le président a les prérogatives d’opérer un tel changement. » À elle seule, cette confidence, d’une source proche du Premier ministre Ahmed Ouyahia, renseigne sur le climat délétère qui règne au sein de l’alliance présidentielle. Guerre de leadership, désaccords sur la politique des salaires, révision de la Constitution et élargissement du mandat présidentiel, tels sont les principaux sujets qui provoquent la discorde parmi les responsables des trois partis formant cette coalition mise en place le 16 février 2004 dans la perspective de l’élection présidentielle de la même année.
Formée autour du Front de libération nationale (FLN), du Rassemblement national démocratique (RND) et du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), l’alliance a pour principal objectif de servir de socle politique à la concrétisation des réformes contenues dans le programme du président Abdelaziz Bouteflika. Deux ans, pratiquement jour pour jour, après sa présentation officielle dans un grand hôtel d’Alger, l’alliance affiche publiquement ses divisions. Comment trois partis, le FLN, le RND et le MSP, censés travailler dans un climat d’harmonie et dans un esprit de cohésion, en viennent-ils à se donner en spectacle dans les colonnes de la presse algéroise ?
Nul doute que la longue hospitalisation en France du chef de l’État, en décembre dernier, en raison d’un ulcère hémorragique aura contribué à mettre en évidence l’équilibre fragile sur lequel repose cette coalition. Mise en sourdine depuis l’élection de Bouteflika en avril 1999, la guerre feutrée qui oppose le FLN et le RND, deux partis longtemps considérés comme des frères jumeaux, s’affiche aujourd’hui au grand jour.
C’est Abdelaziz Belkhadem, patron du FLN, ministre d’État et représentant personnel du chef de l’État, qui a ouvert les hostilités en prônant ouvertement la révision de la Constitution. Objectif avoué : corriger les dysfonctionnements dans les institutions de l’État, renforcer les pouvoirs présidentiels, créer un poste de vice-président et permettre à Bouteflika de briguer un troisième mandat. Objectif inavoué : permettre au FLN, qui détient la majorité des sièges à l’Assemblée nationale et au Sénat, de récupérer enfin le poste de chef du gouvernement qu’il avait perdu lors du remaniement ministériel survenu en mai 2003. En effet, le limogeage d’Ali Benflis, à l’époque secrétaire général du FLN, de son poste de Premier ministre et son remplacement par Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND, avaient eu pour principale conséquence la perte du contrôle de l’exécutif par le Front de libération nationale. Pour l’ancien parti unique, le coup était rude.
Certes, le FLN a fait preuve, jusqu’à une date récente, d’un sens aigu de la solidarité et de la discipline gouvernementale. Certes encore, ses dirigeants se sont abstenus d’alimenter publiquement la rivalité qui les oppose au parti du Premier ministre, mais une chose est tout aussi certaine : le FLN n’a jamais fait mystère de sa volonté de prendre sa revanche et de détrôner le RND dont la naissance remonte à 1997. Pourquoi ? Créé avec la bénédiction des plus hautes autorités de l’époque, le RND a puisé dans le vivier des militants du Front. Ce qui explique le sobriquet qui colle au RND : « parti clone » du FLN.
Évidemment, cette accusation amuse les responsables du RND. En revanche, le projet de révision de la Constitution, cher au FLN, ne leur plaît guère. Bien sûr, le chef du gouvernement s’est gardé d’engager un débat public sur cette question, mais les rares fois où il a été interrogé, sa réponse a été sans nuance. « L’amendement du Texte fondamental n’est pas du tout une priorité », affirme-t-il.
Chapitre clos ? L’ardeur avec laquelle Abdelaziz Belkhadem milite pour une révision constitutionnelle est telle qu’une commission d’experts, mise en place au sein du FLN, planche sur le projet depuis plusieurs semaines. À en croire des sources proches de l’ancien parti unique, le rapport de cette commission devrait être remis au chef de l’État dans les semaines à venir. Ce qui ne manquera pas de susciter de nouvelles passes d’armes.
Autre sujet de discorde entre les deux « jumeaux » : la revalorisation des salaires des travailleurs de la fonction publique. En dépit de l’exceptionnelle embellie financière que connaît le pays – les réserves de change ont atteint la somme record de 60 milliards de dollars -, le Premier ministre refuse de procéder à l’augmentation des salaires. « En l’absence d’un fort taux de croissance, sans une bonne maîtrise de l’inflation, cette revendication demeure illégitime », déclarait Ahmed Ouyahia en janvier dernier.
Aussitôt prononcé, le propos soulève une immense désapprobation non, comme il aurait fallu s’y attendre, dans les rangs de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le plus important syndicat du pays, mais chez les dirigeants du FLN. Saïd Bouhadja, responsable de la communication au sein de cette formation politique, ne prend pas de gants pour répliquer au chef du gouvernement : « Les déclarations d’Ouyahia confirment le fossé qui sépare le RND des soucis et des préoccupations de la société algérienne. » Rien que ça
De son côté, faisant fi du principe de solidarité qui unit les partis de l’alliance présidentielle, Abdelaziz Belkhadem use d’une formule lapidaire pour faire connaître son avis. « Cette position engage le chef du gouvernement et non pas le gouvernement », déclare-t-il. Dans les instances du RND, au cabinet du Premier ministre, ces prises de position offusquent au plus haut point. Non seulement elles déstabilisent l’exécutif, mais elles portent aussi préjudice à la crédibilité de l’alliance. Tenu par l’obligation de réserve, Ahmed Ouyahia laisse le soin à Seddik Chihab, député du RND, d’apporter la mise au point à son détracteur : « En tant que membre de la coalition, M. Belkhadem n’a pas à se désolidariser des décisions émanant du chef du gouvernement. Nous pensons que le secrétaire général du FLN a privilégié la position partisane. »
Quant à Miloud Chorfi, le porte-parole du RND, il enfonce tout simplement le clou. « Le RND est devenu la première force politique du pays. Il a enregistré l’adhésion de centaines d’élus dans ses rangs grâce à son programme qui favorise les réformes », se félicite-t-il. Bref, entre les deux principaux partis qui forment l’ossature de l’alliance présidentielle, l’ambiance, c’est le moins que l’on puisse dire, n’est pas des plus sereines.

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