Et Sembene inventa le cinéma africain

Publié le 14 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Même s’il existe des querelles d’experts autoproclamés à ce sujet, on date en général d’il y a un peu plus d’un demi-siècle la naissance du cinéma africain. En tournant en 1955 avec l’appui du musée de l’Homme Afrique-sur-Seine, un court-métrage contant la vie d’étudiants émigrés à Paris, Paulin Viera et Mamadou Sarr sont considérés comme les premiers cinéastes d’Afrique noire. Mais ce n’est qu’en 1963 qu’est apparu, sous la forme d’un court-métrage, le premier véritable film 100 % africain, c’est-à-dire tourné par un Africain en Afrique avec des Africains : Borom Sarret. Et pour ce qui est du long-métrage, il faudra même attendre 1966, soixante et onze ans après la naissance « officielle » du cinématographe sur la planète, pour saluer la même performance avec la sortie de La Noire de
En 1963 comme en 1966, c’est le même homme qui a joué, après ceux que l’on a surnommé les « éclaireurs » en 1955, le rôle de pionnier du septième art en Afrique noire : Sembene Ousmane. C’est donc pour le moins justice que le premier court et le premier long-métrage de l’immense réalisateur sénégalais soient enfin aujourd’hui facilement disponibles grâce à leur sortie commune en DVD (éditions La Médiathèque des trois mondes). D’autant qu’il s’agit là d’uvres tout à fait remarquables non seulement d’un point de vue historique mais aussi, et surtout, d’un point de vue artistique.
Borom Sarret a été tourné par Sembene à l’âge de 40 ans, après une vie aventureuse où il avait exercé tous les métiers en Afrique comme en Europe, alors qu’il venait d’apprendre à tenir une caméra dans une école de cinéma à Moscou. Le film tient la gageure de raconter en à peine vingt minutes de façon très complète une journée dans la vie d’un charretier à Dakar. Au bout d’une matinée et d’un après-midi de dur labeur, le transporteur se fait confisquer sa carriole et son cheval pour avoir pénétré dans un quartier « chic » interdit aux travailleurs de son espèce. Et il rentrera chez lui retrouver sa famille plus pauvre qu’il n’en était parti.
La Noire de, long-métrage inspiré d’un fait-divers réel, déjà rapporté par Sembene dans un recueil de nouvelles (Voltaïque), évoque une histoire encore plus sombre. Une jeune bonne sénégalaise, Diouana, suit ses patrons jusqu’en Europe, sur la mythique Côte d’Azur. Alors qu’elle était traitée plutôt correctement en Afrique, on lui fait subir désormais vexation sur vexation. Isolée, déracinée, réduite à la servitude totale, elle se révolte. De la seule manière possible, en se suicidant.
Deux histoires certes tragiques mais qui, comme dans les meilleurs films néoréalistes italiens de l’après-guerre, sont racontées sans jamais tomber dans le pathos. La simplicité et la beauté de chaque plan renvoient à la limpidité du propos, qui n’implique nul bavardage, nul effet appuyé. Le talent de Sembene pour mener des combats politiques et humanistes sans rien céder sur le plan esthétique éclatait ainsi dès ses débuts comme réalisateur. On ne sait si on doit se féliciter ou s’inquiéter de voir que, quarante ans après, il reste à la fois le plus connu et le plus respecté des cinéastes d’Afrique noire. Quel est le film africain qui a réalisé le plus d’entrées en France en 2005 ? Mooladè, le dernier long-métrage de Sembene, qui, alors qu’il vient de fêter ses 83 ans, n’entend toujours pas abandonner la caméra.

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