En « darija » dans le texte

En attendant d’être enseigné dans les écoles, l’arabe dialectal marque des points avec le lancement du premier magazine rédigé dans la « langue du peuple ».

Publié le 14 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Pour certains, c’est la langue du peuple, de la rue, par opposition à celle des livres, des universités ou des médias C’est pourtant en darija, l’arabe dialectal, que les Marocains parlent, s’expriment et vivent au quotidien. C’est avec elle que certains voudraient désormais informer, éduquer et apprendre, de manière à coller à une réalité, celle de plus de 40 % de la population pour qui l’arabe classique reste une langue inaccessible, voire étrangère
« C’est la langue véhiculaire de la plupart des Marocains puisque même les Amazighs – les Berbères – sont en général bilingues. À ce titre, on peut dire que la darija est la langue maternelle d’une grande majorité des Marocains. » Pour le professeur Moha Ennaji, linguiste et auteur entre autres de Multilinguisme, identité culturelle et éducation au Maroc, la darija est la langue de communication par excellence. Si les politiques, les médias et les publicitaires tendent depuis peu à se l’approprier, c’est à son sens en partie grâce à l’écrivain Mohamed Choukri : « Après l’indépendance, le pays a adopté une politique d’arabisation qui voyait la darija comme une forme corrompue de l’arabe. Procès injuste puisqu’elle véhicule toute une culture, une identité, une tradition orale et artistique à travers le théâtre et la musique. Il faudra attendre les années 1980 et la publication du Pain nu en dialectal pour qu’elle gagne véritablement ses lettres de noblesse. »
De là à imaginer la langue amazigh et la darija côte à côte dans les programmes scolaires Si la première commence à s’y frayer un chemin, la seconde en a toujours été exclue. Pourtant, c’est sur elle que compte l’Alef (Advancing Learning and Employability for a Better Futur), un programme conduit par des organisations américaines pour lutter contre l’analphabétisme au Maroc. Ce projet de développement éducatif mené en collaboration avec le secrétariat d’État chargé de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle porte sur un nouveau mode d’apprentissage de l’écriture et de la lecture. « La darija reste très proche de l’arabe classique. Passer par elle permettrait d’apprendre à décoder les lettres en évitant dans un premier temps des obstacles tels que le vocabulaire, la grammaire et le chakl – la vocalisation – », explique Aziza Chbani Hmamouchi, directrice du Programme éducation et formation. L’Alef travaille actuellement à la conception et au développement d’outils didactiques adaptés à la société marocaine dans le but d’ouvrir un atelier pilote d’alphabétisation auprès de 1 600 femmes au printemps 2006.
Autre espoir pour l’avenir de la darija, le lancement du magazine Al-Amal, premier journal marocain entièrement rédigé en dialectal. Sorti en janvier 2006, le numéro 2 est déjà en distribution (gratuite) dans les rues et les commerces de Salé, la petite ville voisine de la capitale chérifienne. À l’initiative du projet, l’Institut supérieur de l’information et de la communication de Rabat (Isic) et l’International Medias formateurs associés (IMFA), qui ont travaillé ensemble dans le cadre de l’Initiative nationale du développement humain (INDH) et du Programme Maroc-Afrique de la Fondation Alexandre et Marguerite de Varenne.
Concrètement, Sahafi Al-Amal (les « journalistes de L’Espoir »), ce sont seize jeunes âgés de moins de 25 ans issus des quartiers populaires de Salé et recrutés sur concours qui suivent actuellement une formation continue en journalisme et réalisent un magazine de proximité. Les débuts sont prometteurs : lancé à 2 000 exemplaires, Al-Amal espère doubler son tirage dès le prochain numéro, tandis que les annonceurs locaux et nationaux se font de plus en plus nombreux. Exemples de reportages : le nouveau plan urbanistique de la ville, la drogue dans les lycées, les maisons qui menacent de s’effondrer ou encore l’interdiction du travail des enfants. Un journal de quartier classique, si ce n’est ce choix de transgresser les codes d’écriture en retranscrivant le marocain tel qu’on le parle. Mais un choix réaliste plus que stratégique, selon Mohamed Zainabi, journaliste de formation et directeur de la publication : « C’est le mode le plus approprié pour un journal qui se veut de proximité. »
Les journalistes d’Al-Amal ont certes une ambition : mettre en vente le magazine à un prix symbolique et générer ainsi des emplois rémunérés. Mais ils souhaitent avant tout que leur expérience inspire d’autres villes du royaume. Informer en darija permettrait non seulement de toucher le plus grand nombre et de familiariser les moins lettrés à la presse écrite, mais également de revaloriser une langue trop longtemps exclue des sphères intellectuelles élitistes. Si les paroles s’envolent, la darija veut rester.

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