D’un monde à l’autre

Quatorze ans après l’extraction de son premier baril de pétrole, le pays connaît une profonde mutation. Et s’ouvre de plus en plus vers l’extérieur.

Publié le 14 février 2006 Lecture : 6 minutes.

Plage d’Arena Blanca sur l’île de Bioko, un dimanche de janvier. Une dizaine de bruyants Américains employés par une société pétrolière texane prennent un bain de soleil en sirotant une bière. Quelques vagues plus loin, des expatriés du bâtiment, européens et africains, s’ébattent joyeusement dans l’eau, sous les yeux amusés de quelques Équatoguinéens en promenade. Une scène devenue courante à la suite du renforcement de la présence étrangère dans le pays. Et qui témoigne de l’engouement des Occidentaux en quête de primes conséquentes. Quatorze ans après l’extraction de la première goutte d’or noir, la Guinée équatoriale attire toujours les compagnies étrangères, qui lorgnent les ressources énergétiques et les juteux contrats de construction. Jouissant d’un nouveau statut et surtout de revenus dignes d’un émirat, le pays opère sa mue, histoire d’offrir une image plus conforme à son nouveau train de vie et d’accueillir honorablement ses hôtes. Les grandes agglomérations connaissent une expansion considérable, favorisée par la construction d’axes routiers et l’intensification des échanges commerciaux. Le parc automobile explose, et les conducteurs en arrivent à pester contre les bouchons, chose inimaginable il y a seulement cinq ans. Alors qu’elles regroupaient à peine 30 % de la population totale en 1983, les villes en concentrent près de la moitié aujourd’hui. Malabo, la capitale, et Bata, la métropole continentale, qui comptent chacune plus de 130 000 habitants, se sont profondément métamorphosées pour faire face au développement des activités économiques. Sur l’île de Bioko, la capitale possède un nouvel aéroport, des sites réservés aux compagnies pétrolières et à leurs personnels, ainsi que de nouveaux bureaux et logements Même chose à Bata, où les hôtels poussent comme des champignons. La ville s’est agrandie. Elle comprend un nouveau quartier, Bata II, et une promenade, le Paseo. Parallèlement, les axes routiers s’améliorent.
Des casinos s’implantent aux quatre coins des deux grandes villes du pays, tout comme les restaurants, bars et lieux de distraction nocturne. Les déchets n’envahissent plus les caniveaux et les trottoirs. « Les autorités ont tapé du poing sur la table, particulièrement à Malabo où Madame le maire a déclaré qu’elle n’hésiterait pas à distribuer des amendes aux pollueurs. Les agents municipaux ont également repris du service pour nettoyer le centre-ville », explique Maria, une habitante de la capitale. Longtemps isolés et coupés du monde extérieur, les Équatoguinéens ont dorénavant accès à l’Internet haut débit – bien que son coût soit encore prohibitif dans les cybercafés, 1 000 F CFA la demi-heure – au mobile et à la télévision par satellite. Autre point positif, les délestages électriques sont moins fréquents dans les grandes villes. Reste le problème de l’accès aux ressources hydriques. Alors que le pays, abondamment arrosé lors des deux saisons des pluies, compte de nombreuses ressources en eau, le réseau d’adduction est vétuste et le service de distribution encore très médiocre. Dans les quartiers pauvres, la population se presse toujours, dès l’aube, autour des fontaines publiques pour ramener de quoi boire, se laver et cuisiner pour la journée. Une situation insupportable à laquelle les autorités comptent désormais remédier. La remise en état et l’extension du réseau de distribution ont été confiées à deux entreprises étrangères, une tchèque pour Malabo et une chinoise pour Bata. Mais les travaux devraient durer au moins deux ans.
Malgré ces évolutions positives, l’État est loin d’avoir accompli toutes les réformes que la population s’estime en droit d’attendre. « Le développement du pays est beaucoup trop lent. Il se fait de manière anarchique, surtout ?au profit des classes privilégiées qui ont des intérêts dans ?les sociétés locales. En milieu rural, la majorité de la population vit encore dans des cases, sans eau courante ?ni électricité. L’agriculture est archaïque et le pays importe une grande partie de ses besoins alimentaires », déplore le père Carlos, missionnaire espagnol.
Même son de cloche du côté des représentants des Nations unies. Tous dénoncent la défaillance du système de santé et l’insuffisance notoire du secteur éducatif, qui oblige les parents à placer leurs enfants dans des écoles privées, même s’ils ne disposent que de revenus modestes. Et de citer le dernier classement du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). En l’espace d’un an, la Guinée équatoriale a rétrogradé de la 109e à la 121e place au palmarès mondial du développement humain. L’espérance de vie a régressé de 49,1 ans en 2001 à 43,3 ans en 2005. « Cette situation est due à la mauvaise application des mesures élémentaires d’hygiène et de contrôle de l’innocuité des aliments. Il faut que la qualité de vie devienne une priorité du gouvernement », indique l’ex-coordonnateur résident du Pnud à Malabo, Bacar Abdouroihamane.
Le message semble avoir été entendu par les pouvoirs publics qui consacrent dorénavant 47 % des investissements publics au secteur social. « Nous avons été amenés à nous pencher sur les problèmes de développement. Le budget de l’État pour 2006 prévoit de réels efforts pour renforcer l’éducation, la santé et l’agriculture, ainsi que des incitations financières pour que les fonctionnaires acceptent de travailler en milieu rural », répond Melchor Esono Edjo, secrétaire d’État au Trésor et au Budget. Ces mesures suffiront-elles à combler les retards ?
« L’argent du pétrole maquille la réalité. Ce n’est pas parce que nous avons de nouvelles routes et des édifices flambant neufs que le pays avance. Les autorités doivent donner de l’espoir aux jeunes en développant la formation et en favorisant les initiatives économiques, sociales et culturelles, soutient l’écrivain Juan Tomás Ávila Laurel. Sinon ils continueront à quitter le pays à la première occasion. » Si la jeunesse a dorénavant accès aux chaînes de télévision et aux films étrangers, la Guinée équatoriale ne compte pas encore de librairie, ni de quotidien, ni de salle de cinéma.
Encore aujourd’hui, les centres culturels espagnol et français constituent la principale fenêtre sur le monde. Ce relatif isolement s’est trouvé encore aggravé par la tentative de coup d’État de mars 2004, qui a conduit les autorités à renforcer la surveillance du territoire. Une pression sécuritaire parfois assortie d’interpellations musclées, plutôt mal vécues par la population, mais qui tend à se relâcher au fur et à mesure que le souvenir de l’événement s’estompe.
« Les atteintes aux droits de l’homme et les pressions économiques sont toujours nombreuses », martèle Plácido Micó Abogo, secrétaire général de Convergence pour la démocratie sociale (CPDS), le principal parti d’opposition parlementaire. Et de dénoncer les détentions arbitraires et les mauvais traitements subis par les opposants au régime. Micó ne se prive pas non plus de critiquer le manque de transparence concernant les revenus de la manne pétrolière et, plus généralement, les comptes des entreprises publiques, qui devraient être communiqués aux parlementaires pour examen.
On a pu constater néanmoins, au cours des derniers mois, quelques évolutions positives sous l’impulsion d’un chef de l’État de moins en moins enclin à l’indulgence à l’égard des fonctionnaires véreux. Cette sévérité pourra-t-elle venir à bout de la corruption et de la concentration des richesses nationales entre les mains d’un petit nombre ? Les chancelleries occidentales ont sensibilisé le président sur la nécessité de faire plus et plus vite pour satisfaire les besoins pressants de son peuple, et ainsi laisser dans l’Histoire une trace positive. Obiang Nguema partage ce point de vue. Pourra-t-il pour autant changer un système pesant pour mettre le pays sur les rails du développement ?

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