Bruce Clarke : mémoire sur toile
Sud-Africain d’origine et Parisien d’adoption, ce militant dans l’âme inscrit son uvre dans l’histoire de l’Afrique contemporaine.
« La peinture en elle-même est sans intérêt, ce n’est que barbouillage de couleurs après tout. Ce qui est intéressant à mes yeux, c’est ce qu’on peut dire avec cette peinture et ce qu’on peut évoquer par rapport au monde dans lequel on vit. » C’est parce qu’il n’a jamais su se contenter d’être témoin de ce monde que Bruce Clarke, militant actif, d’abord contre l’apartheid, ensuite contre le génocide au Rwanda, et désormais contre l’amnésie collective, inscrit son uvre dans l’histoire contemporaine de son pays d’origine et du monde entier.
Son engagement dans la cause rwandaise est bien antérieur aux massacres. En 1994, il se rend sur place et en rapporte des témoignages de l’horreur sous forme de photographies. Mais il ne lui suffit pas de raconter, il veut tenter de comprendre. « Outre les massacres, les maisons brûlées, les bien confisqués, c’est tout un peuple qui a été annihilé dans le sens où plus rien ne restait sur terre de sa présence. » Dès lors éclot le projet artistique « Le Jardin de la Mémoire », dont la première pierre ne sera posée que six ans plus tard à Kigali. « L’idée était de demander à des rescapés de placer une pierre au nom d’une victime de leur entourage et de laisser une marque sur cette pierre, pour graver à jamais le fait que cette personne a existé. Il s’agit là d’un acte individuel de mémoire. C’est très important à mes yeux parce qu’on a tendance à oublier que, derrière le mot génocide, il y a une somme d’individus qui sont morts. »
Le projet est en chantier depuis 2000, retardé en apparence par des lenteurs administratives. Mais Bruce Clarke fait une autre interprétation : « Il y a au Rwanda un contraste entre histoire et mémoire. Les survivants veulent garder en mémoire ce qu’ils ont vécu. Le gouvernement respecte cette mémoire, mais il sait que se souvenir, c’est rouvrir des cicatrices, et il est difficile de gouverner avec des plaies béantes. »
Pour l’artiste, la création n’est pas dépendante de l’action, elle s’en veut l’inspiratrice. Sa manière même de travailler révèle sa volonté d’impliquer l’uvre dans son actualité. Voilà quelques années qu’il ne crée plus une seule toile qui ne soit incrustée de lettres ou de mots, qu’il s’agisse de manchettes de journaux ou de slogans d’affiches, avec du sens et parfois du non-sens.
Mais le mot n’a qu’une importance illusoire, c’est le papier qui le porte qui est signifiant. « Souvent, on dit que j’utilise des coupures de presse. C’est faux : rien n’est découpé, tout est déchiré. Il y a quelque chose de physique dans la déchirure, de métaphorique. Ça peut être une déchirure dans l’histoire, dans la vie. De plus, derrière le papier ou l’affiche qu’on a déchirés, il y a autre chose qui peut également avoir du sens. »
Des mots, mais aussi des hommes, sur ces toiles, seuls ou plusieurs, de profil, en ombre. « Certains croient reconnaître un Mandela ou un Kofi Annan, mais je ne peins que des anonymes. On se rappelle toujours les noms des grands hommes, mais ce sont tous ces anonymes qui sont les acteurs de l’Histoire. »
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