Gel des visas de regroupement familial : après l’attente, le soulagement

Le Conseil d’État a suspendu, le 21 janvier, le gel des octrois de visas de regroupement familial pour les conjoints et enfants d’étrangers résidant en France, une mesure prise en mars 2020 en raison de la pandémie de Covid-19.

Un homme vérifie les horaires des avions à l’aéroport Houari Boumediene d’Alger, le 6 décembre 2020. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

Un homme vérifie les horaires des avions à l’aéroport Houari Boumediene d’Alger, le 6 décembre 2020. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

Publié le 25 janvier 2021 Lecture : 5 minutes.

« C’est un soulagement car c’était un vrai combat », lâche Saïd, au bout du fil. Pour cet Algérien de 31 ans résidant en France depuis presque onze ans, l’ordonnance rendue par le Conseil d’État est un premier pas vers la fin d’une épreuve de plusieurs mois.

La haute juridiction administrative française a suspendu, jeudi 21 janvier, le gel des visas de regroupement familial aux conjoints et enfants de résidents étrangers en France, après sa saisine, le 16 décembre 2020, par neuf associations, des syndicats et quatre personnes étrangères concernées.

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Saïd pourra désormais poursuivre les démarches qui permettront à son épouse algérienne, dont le dossier a reçu un avis favorable et qui est en attente d’un visa, de venir le rejoindre dans l’Hexagone. « Je ne l’ai pas vue depuis août 2019 ! Pourtant, j’ai tout fait. Je travaille, je paie mes impôts, je n’ai jamais eu de problèmes, mon casier judiciaire est vierge », explique-t-il, toujours interloqué. Arrivé en France pour ses études, il gère désormais sa propre entreprise. « Je n’aurais jamais pensé vivre un jour une telle situation », explique-t-il.

Et pourtant, depuis plusieurs mois, l’attribution de visas de regroupement familial par les consulats français à l’étranger a été suspendue à la suite des instructions internes émanant du ministère français de l’Intérieur. Une décision qui remonte au mois de mars, s’inscrivant dans le cadre des mesures prises pour contenir la propagation du Covid-19 en limitant la circulation de personnes en provenance de l’étranger.

Droit à la vie de famille

En août dernier, après la réouverture partielle des frontières, un dispositif de laissez-passer exceptionnel était accordé aux étudiants et aux conjoints de citoyens français. Rien, en revanche, n’avait été accordé pour les bénéficiaires du regroupement familial. Une situation jugée discriminatoire par les associations de défense des droits de l’homme et d’aide aux migrants qui invoquaient le droit à la vie de famille et l’intérêt supérieur de l’enfant. D’autant plus que ces restrictions visent particulièrement les pays du Maghreb, ont expliqué certains avocats.

« Nous avons très vite compris que c’était une question politique donc nous avons entamé une lutte sur plusieurs fronts : juridique, médiatique et politique », raconte Kahina, une Algérienne de 30 ans, qui vit en France depuis dix ans. Cadre dans une entreprise du CAC 40, elle est mariée depuis trois ans à un ressortissant algérien. Elle explique que sa procédure de regroupement familial, qui a duré douze mois, bute sur l’une des dernières étapes : l’instruction de la demande de visa de son époux par le consulat français en Algérie.

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« Mon cas n’est pas le plus dramatique. J’ai vu des couples se séparer à cause des tensions liées à cette situation. Il y aussi des femmes qui ont accouché loin de leur mari car l’un ne pouvait pas rejoindre l’autre, des enfants qui n’ont pas vu leur père ou leur mère depuis plusieurs mois », indique la jeune femme.

Un député des Français de l’étranger m’a dit d’aller lutter pour ouvrir les frontières algériennes aux Algériens

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Des situations vécues comme des drames personnels et qui sont d’autant plus difficiles à gérer avec la fermeture des frontières algériennes depuis le 17 mars. « Il y a même des personnes qui ont malheureusement perdu leur conjoint et n’ont pas pu être présents à leurs côtés », ajoute Saïd.

« Sur le plan politique, cette situation a eu un impact sur notre crédibilité, poursuit Kahina. Un député des Français de l’étranger m’a dit d’aller lutter pour ouvrir les frontières algériennes aux Algériens. Il a considéré que vu que mon propre pays ne me laissait pas entrer, il était quasiment indécent pour nous de contester une décision de l’administration française. Car quelque part, nous n’avons que le titre de séjour, nous ne sommes pas citoyens français », explique la jeune femme qui dénonce « une double peine ».

Ce sentiment d’injustice et de mépris a été favorisé par le mur de silence qui s’est longtemps dressé devant les plaignants. En novembre, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, expliquait au journal Le Monde qu’ils ne « faisaient pas partie des publics prioritaires ».

« Rupture d’égalité injustifiable »

Le même mois, le tribunal administratif de Nantes tranchait pourtant en faveur de plusieurs personnes qui avaient déposé un recours en référé. Le tribunal « a donné raison au dix premiers dossiers car ils ont pensé que c’était des cas isolés. Or quand ils ont vu qu’il y aurait des centaines de dossiers, ils ont tout rejeté en bloc. Cela a été un choc et je pense que ça a mis la pression aux associations pour agir très vite. Elles ont compris qu’il y avait des violations de droits complètement scandaleuses », explique Kahina.

Le regroupement familial est l’objet de grands fantasmes, alors qu’il ne concerne que quelques milliers de personnes

Ces derniers mois, plusieurs personnes lésées se sont ainsi rassemblées en collectifs et ont interpellé directement les politiques. Certains d’entre eux, dont le député du Rhône Hubert Julien-Laferrière, ont dénoncé « une rupture d’égalité injustifiable » : « Le regroupement familial est l’objet de grands fantasmes, alors qu’il ne concerne que quelques milliers de personnes, arrivées au terme d’une procédure contraignante. Ce droit est délivré sur la base de critères très stricts, comme la stabilité de l’emploi, des logements adéquats et assez grands… Priver leurs familles de visa est tout à fait inacceptable. Je ne comprends pas le silence du ministre de l’Intérieur sur cette question », expliquait-il, en décembre, au journal algérien Liberté.

« Il faut que les gens comprennent que ce sont des projets de vie qu’il y a derrière », martèle Kahina. « Nous avons besoin de sortir de ce schéma de séparation. Des gens voulaient acheter des maisons, ont payé des écoles ou ont négocié des emplois avant même d’arriver. Ces personnes sont qualifiées, il y a des ingénieurs en biologie, des informaticiens… et c’est dommage », estime-t-elle.

Dans leur rapport d’information sur la politique des visas, présenté devant la commission des Affaires étrangères le 12 janvier dernier, les deux députés M’jid El Guerrab et Sira Sylla proposaient « d’inscrire, de façon immédiate, les bénéficiaires du regroupement familial dans la catégorie des personnes bénéficiant d’une dérogation à la fermeture des frontières dans le contexte de la pandémie mondiale ».

60 bénéficiaires par jour

Finalement, il aura fallu que le juge des référés du Conseil d’État tranche en estimant, dans son ordonnance du 21 janvier, que « l’administration n’apporte pas d’élément montrant qu’un tel flux pourrait contribuer de manière significative à une augmentation du risque de propagation du Covid-19 ». Dans les faits, le nombre de bénéficiaire du regroupement familial serait de 60 par jour si on se réfère aux données de 2019, a expliqué le juge.

Reste désormais à savoir comment va se dérouler l’instruction des dossiers par les consulats. « Maintenant, ils sont dans l’obligation de le faire mais peut être que ça ira lentement. Ça ne me surprendrait pas », lâche Kahina.

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