Angola : le nouveau roman d’Ondjaki, entre rêve et réalité
Dans « GranDMèreDixNeuf et le secret du soviétique », son nouveau roman, l’Angolais Ondjaki raconte la vie d’un quartier à Luanda, où les sensations s’entremêlent.
Depuis Bonjour camarades, son premier roman publié en 2001, Ndalu de Almeida, plus connu sous le pseudonyme Ondjaki, s’est imposé comme une voix originale en Afrique. Et importante, comme le montrent ses multiples traductions et distinctions, dont le Prix José Saramago (qui récompense de jeunes auteurs de langue portugaise) attribué à son roman Les Transparents en 2013.
GrandMèreDixNeuf et le secret du Soviétique est le sixième roman – le troisième traduit en France – de l’écrivain angolais né en 1977. Ondjaki se penche sur la vie d’un quartier à Luanda, la capitale. On y retrouve deux caractéristiques de son œuvre : le point de vue enfantin et l’époque des premières années postcoloniales. Nous sommes au début des années 1980, la République populaire d’Angola est un régime communiste. À la mort d’Agostinho Neto, le premier président, les Soviétiques construisent un immense mausolée où reposera son corps embaumé, sur le front de mer de Praia Do Bispo.
Tour de Babel du communisme
Dans son style si particulier, Ondjaki écrit « PraiaDoBispo », sans espace, tout comme il le fait pour les noms des personnages. Chacun porte une histoire, une anecdote teintée de poésie et d’humour. GrandMèreAgnette devient GrandMèreDixNeuf à la suite de l’amputation d’un orteil qui ne lui en laisse plus que 19, le jeune TroisQuatorze s’appelle en réalité Pinduca, dont le diminutif Pi est égal à 3,14, ÉcumeDeMer, doux dingue, se baigne « là où la mer faisait sur le sable comme une énorme nappe d’écume blanche que les vagues inventaient pour que l’eau n’arrive pas en force sur le sable », la pompe de VendeurD’Essence ne contient que de l’eau salée, RafaelTocToc, docteur, s’annonce rituellement par un « toc toc » avant de frapper aux portes…
En ce début des années 1980, Luanda est une Tour de Babel du communisme, où se mêlent Angolais, Cubains, Soviétiques. Elle fait résonner des voix hautes en couleur, dans ce quartier où on danse le tango avant une opération, où une fête spontanée peut réunir tous les voisins en quelques heures, où un crocodile vit dans une niche, où des perroquets recyclent les insultes qu’ils entendent à la télé… Et où des enfants se fixent une mission : pour résister à la destruction programmée du quartier par le plan de modernisation, ils veulent faire exploser le mausolée. Ou plutôt « dexploser » car, explique le jeune narrateur, « Moi j’aime dire « dexploser », on dirait un mot qui éclate, exploser c’est comme une flamme trop faible. »
Je fais appel à des souvenirs déformés pour inventer des histoires »
Face à son monde enchanté, se dresse, à l’instar du mausolée, celui, absurde, des Soviétiques. Les « langoustes », dont la peau rougit sous le soleil, s’échinent à porter des chemises à manches longues et des salopettes bleues, ce qui les conduit à exhaler, pour reprendre le langage des enfants, une certaine « puanteurov » (puanteur) sous les « aissellov » (aisselles). Le CamaradeBotardov, militaire soviétique ainsi surnommé parce qu’il déforme « boa tarde » (bon après-midi en portugais) en « botard », est le souffre-douleur des moqueries ravageuses. Mais dans sa maladresse, il est aussi la touche d’humanité de « l’autre camp », jusque dans son secret qui donne son titre au livre…
Entremêler les sensations
Dans un échange avec la poétesse angolaise Ana Paula Tavares retranscrit à la fin du roman, Ondjaki qualifie mieux que quiconque son projet littéraire : « Je fais appel à des souvenirs déformés pour inventer des histoires ». Et ajoute-t-il : « j’exerce le droit d’attribuer la parole à des rêves – même à ceux qui n’ont pas été vraiment rêvés, parce que je suis celui qui croit en des cris bleus, en des explosions parcourues de cerfs-volants virevoltant dans une nuit noire de luanda. je continue à convoquer les enfants pour qu’ils me parlent de leur croyance en des ciels dansants. je continue à écouter des histoires pour donner à lire l’Histoire. »
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— Ondjaki (@ondjaki) January 11, 2021
Les « cris bleus » sont « des mots criés au fond de la mer », écrit-il dans un court dialogue en exergue. Ouïe et vue sont ainsi associés, les mots ont un son mais aussi une couleur, une odeur, un goût. Définir une perception par un terme appartenant à un sens différent, c’est le propre de la synesthésie. Une figure de style au cœur de l’œuvre d’Ondjaki, maître dans l’art d’entremêler les sensations. Pour construire son univers à nul autre pareil, il allie ses talents de poètes, d’auteur jeunesse, de romancier, de nouvelliste et même de documentariste, tant il nous donne à voir ce qu’il raconte. Cet entrelacs fabuleux, entre rêve et réalité, caractérise une œuvre littéraire totale qu’il parvient sans cesse à réenchanter.
GrandMèreDixNeuf et le secret du Soviétique d’Ondjaki traduit du portugais par Danielle Schramm (éd. Métailié, 185 p., 17,60€)
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