Vent de fronde sur le petit écran

Dix-sept radios et télévisions francophones du continent s’insurgent contre la façon dont sont fixés les droits de retransmission de la CAN 2006.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Du 20 janvier au 10 février, les téléspectateurs ivoiriens, guinéens, sénégalais et togolais suivront-ils en direct les matchs que disputeront en Égypte leurs équipes respectives, à l’occasion de la vingt-cinquième Coupe d’Afrique des nations (CAN) ? À sept semaines du coup d’envoi de la compétition, rien n’est moins sûr. Depuis le 24 novembre, en effet, un conflit oppose les directeurs généraux de 17 radios et télévisions publiques d’Afrique francophone au détenteur de droits de retransmission, la société LC2, dirigée par l’homme d’affaires béninois Christian Lagnidé.
En 2001, la Confédération africaine de football (CAF), propriétaire de la compétition, a cédé les droits globaux de retransmission radiotélévisée des phases finales 2002, 2004, 2006 et 2008 de la CAN ainsi que ceux de la Ligue des clubs champions de 2001 à 2008 à la firme Sportfive. Qui les a, elle-même, rétrocédés à l’entité sud-africaine TV Africa (pour toute l’Afrique subsaharienne, à l’exception de l’Afrique du Sud, soit 44 pays), à la chaîne privée à péage ART du milliardaire saoudien Cheikh Salah (pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient), à l’opérateur privé sud-africain M’NET (qui les confia à son tour en sous-licence à la South African Broadcasting Company) et à la BBC. Également diffuseur de la Ligue des champions, TV Africa devait rempiler pour la CAN 2004, mais, le 1er octobre 2003, la société sud-africaine fut mise en liquidation. Elle vient de renaître sous la houlette de Barry Lambert, le PDG du groupe LIM (Leading Independant Media limited).
Pour pallier la défection de TV Africa, Sportfive a conclu, le 22 octobre 2003, un contrat avec LC2, associée à la société de télécommunications Arcane, et lui céda, pour 8,5 millions d’euros, les droits de retransmission des éditions 2004, 2006 et 2008 de la CAN, ainsi que ceux de la Ligue des champions pour la même période. LC2 s’engagea à garantir la diffusion dans 44 pays subsahariens. Elle leur revendit les droits sous forme de contrats de sous-licence en « s’octroyant une marge couvrant ses frais et développant ses activités ». Elle proposa un paquet de 32 matchs mais fixa ses tarifs à la fortune – réelle ou supposée – du client (300 millions de F CFA en moyenne). Et s’associa à Canal France International (CFI) pour la diffusion et le transport des images.
Pour Égypte 2006, Christian Lagnidé informe par courrier, le 14 novembre 2005, les directeurs des radios et télévisions publiques concernées que la « gestion et la commercialisation des droits audiovisuels pour la CAN 2006 et la Ligue des champions 2006 et 2007 sont exclusivement à négocier auprès de Cancaf Limited, dont l’administrateur est le Crédit suisse Trust AG de Genève ». La nouvelle entité est domiciliée au Bahamas Financial Centre, à Nassau. Dans la foulée, Cancaf Ltd transmet son offre, à savoir un package obligatoire qui comprend notamment l’édition 2006 de la CAN (32 matchs, 28 en direct, 4 en différé), 17 magazines de vingt-six minutes chacun (produits par… CFI), la Ligue des champions 2006 et 2007 (60 matchs au total), et l’octroi d’une prime si tous les matchs sont diffusés et les clauses du contrat respectées.
La date limite de paiement est fixée au 25 novembre et des pénalités de retard sont prévues : 12 % de majoration après le 30 novembre et 15 % après le 30 décembre.
Les tarifs varient : 1 million d’euros pour la RTI (Côte d’Ivoire) et la CRTV (Cameroun), 500 000 pour la RTS (Sénégal) et la RTDS (Togo), 300 000 pour les autres et… 2 millions de dollars pour le Nigeria.
Dix-sept directeurs de radios et télévisions publiques d’Afrique francophone se retrouvent le 24 novembre à Bordeaux, à l’occasion du Séminaire de formation (Sefor) organisé par le Conseil International des radios – télévisions d’expression française (Cirtef) et l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF). Ils dénoncent avec véhémence l’attitude de LC2 et de Cancaf Ltd qui, « sans négociation préalable, ont fixé des montants excessifs pour le paiement de droits par ailleurs hors de portée de la plupart des pays francophones ». Refusant ce diktat « humiliant », le collectif invite LC2 et Cancaf Ltd à revoir à la baisse leurs tarifs et interpellent la CAF. Ils appellent toutes les radios et télévisions africaines à « s’abstenir de signer tout contrat ».
Trois jours après, Christian Lagnidé débarque à Bordeaux. Il rencontre les protestataires. La réunion est houleuse. Lagnidé évite toute polémique et s’explique : « Je n’ai pas inventé la règle du jeu. Le système a été mis en place par Sportfive et la CAF. Pour l’édition 2004, 34 télévisions nationales sur 44 n’ont pas respecté les engagements souscrits : il y a eu beaucoup de matchs non diffusés. Pour 2006, j’ai fait appel à un administrateur crédible : le Crédit suisse. Des offres individuelles ont été faites en fonction des recettes publicitaires escomptées par chaque télévision. Le respect des contrats est une exigence incontournable. Je ne suis pas obligé de vendre les droits aux seules télévisions nationales. » Le collectif des directeurs maintient son mot d’ordre : pas de signature. Il propose au PDG de LC2 d’entreprendre, courant décembre, des pourparlers à Dakar et mandate les directeurs de la RTI, de la RTS, de l’Ortma (Madagascar) et de l’ORTB (Bénin) pour suivre le dossier. Le Crédit suisse s’annonce à son tour, mais trop tard : les frondeurs ont quitté Bordeaux.
La CAF ne réagit pas officiellement mais son président fait passer un message : « La CAF a vendu au plus offrant. Elle n’a plus rien à voir avec ce que LC2 fera de ces droits. Elle a agi comme un grossiste qui a vendu au détaillant. Ce dernier, avec l’expertise de son banquier, a fixé le prix de détail. » Sauf que la CAF n’est pas une entreprise commerciale mais une institution non gouvernementale à but non lucratif dont la mission est de « promouvoir et d’améliorer le football et de le diffuser en tenant compte de son impact universel, éducatif, culturel et humanitaire, et ce sans aucune discrimination ». Certes, elle organise un spectacle sportif qui ne lui coûte rien au départ. Et elle engrange des revenus – non imposables – qu’elle redistribue en partie aux seize équipes finalistes. Du coup, un signataire de la déclaration de Bordeaux s’interroge : « Nous ne comprenons pas pourquoi la CAF, à l’instar de la FIFA ou de l’UEFA, ne crée pas sa propre structure de commercialisation. Pourquoi ne négocie-t-elle pas directement avec les radios et télévisions publiques ou privées d’Afrique ? Pourquoi faut-il qu’une société basée à Nassau, aux Bahamas, prenne en charge, via une banque suisse, la vente des droits de retransmission aux diffuseurs africains et fixe des droits hors de prix ? Pourquoi le dispositif commercial est-il confus, opaque ? » Et d’ajouter : « Le paysage de l’audiovisuel en Afrique a évolué. Les directeurs des télévisions sont de plus en plus compétents. Ils ne se laissent plus manipuler : ils connaissent les coûts et les marges publicitaires et savent élaborer des stratégies commerciales et éditoriales… »
Selon des sources fiables, la CAF aurait cédé à Sportfive les droits de retransmission audiovisuelle de la CAN 2006 pour 2,5 millions de dollars et la publicité pour 3 millions. Les mêmes montants seraient garantis pour l’édition 2008. La Ligue des champions rapporterait, quant à elle, entre 2005 et 2007, 10 millions de dollars à la CAF. Mais, il y a lieu d’ajouter à ces sommes les recettes générées par la vente de la marque « Coupe d’Afrique des Nations » à un sponsor : l’édition 2004 de la CAN s’est ainsi officiellement appelée Nokia African Cup of Nations in Tunisia 2004, et celle de 2006 prend le nom de MTN Africa Cup of Nations Egypt 2006. Et depuis 2005 et jusqu’en 2008, la firme de téléphonie sud-africaine MTN a « adopté » la Ligue des champions pour 15 millions de dollars.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires