Une nouvelle dynamique

L’OMS vient de dresser un bilan positif de son programme « 3by5 » et recommande la gratuité des traitements. Seul point noir : la prévention.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

« Nous sommes sincèrement désolés pour toutes les personnes décédées sans avoir eu la chance d’accéder aux traitements. Nous étions certains de pouvoir atteindre notre objectif. » L’objectif dont parle Jim Kim, directeur du département VIH à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est celui du programme 3by5, qui projetait de fournir à 3 millions de personnes, dont 2 millions en Afrique, des antirétroviraux (ARV) avant la fin de 2005.
Lancée en 2003, cette campagne touche à sa fin alors que vient de se dérouler la quatorzième édition de la Conférence internationale sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles (Cisma) à Abuja, au Nigeria, du 4 au 9 décembre. Jim Kim a tenu à présenter ses résultats sous un angle positif : plus de 1,5 million de séropositifs ont désormais accès aux traitements grâce au 3by5. « Sans cet objectif ambitieux, nous n’aurions pas connu une telle progression. » Et de citer le cas du Malawi : en 2002, le but était de fournir des ARV à 5 000 personnes d’ici à 2008. Avec le 3by5, le pays en délivre déjà près de 40 000. « Nous ne cessions de nous lamenter sur la condition subsaharienne, explique-t-il. L’OMS n’a fait qu’attribuer sa confiance, fournir des outils et marteler la faisabilité des choses. »
La direction de l’OMS a également pris une décision politique forte : promouvoir l’accès gratuit, pour tous, aux ARV. En tant qu’autorité sanitaire, elle apporte les preuves scientifiques de la nécessité de son application et fournira aux États les conseils techniques et pratiques à sa réalisation. Ce positionnement rare fournira un nouvel outil à tous les malades et à toutes les structures qui tentent de faire pression sur les gouvernements. Car au sud du Sahara, les traitements sont encore bien souvent payants : à Ouagadougou, une mère expliquait avoir sacrifié ses ARV au profit des fournitures de sa fille lors de la rentrée scolaire. Jens Wenkel, médecin et chercheur pour Médecins sans frontières (MSF), a récemment mené une étude sur les « phénomènes d’interruptions » à Lagos, au Nigeria. Parmi les 900 patients pris en charge par l’association, 44 % avaient auparavant été soignés dans des cliniques privées, en payant 40 dollars par mois alors qu’un salaire moyen dans le pays ne dépasse pas 36 dollars. Ils avaient donc adapté leurs thérapies à leurs revenus : certains prenaient leurs médicaments un mois sur trois, d’autres diminuaient les doses quotidiennes. Résultat ? Excellent pour le virus, qui se retrouve résistant à certaines molécules. L’équipe de MSF a donc dû passer des patients en seconde ligne de traitement, avec des molécules plus chères, pas encore disponibles sous leur forme générique et ne bénéficiant pas, pour l’instant, de prix coûtant auprès des laboratoires. Ce qui grève le budget de MSF.
La solution pour les secondes lignes viendra peut-être de la Chine, qui est en mesure de produire ces traitements au coût très réduit, de 100 à 150 dollars par an et par patient. Seul obstacle, mais de taille : l’Afrique ne parvient que difficilement à les importer, règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) obligent… « Le G8 a décrété, lors du sommet de Gleneagles, l’accès universel aux ARV pour 2010, rappelle Jim Kim. Il faut donc désormais agir pour autoriser ces transactions. » Ce qui semble être en bonne voie après l’accord survenu le 6 décembre en amont de la conférence interministérielle de l’OMC. Reste à considérer les modalités d’application, a priori complexes.
Une étape cruciale, car si les ressources existent désormais, elles ne sont pas suffisantes. « Mais de nouveaux financements pérennes, dont la reconduction ne sera pas menacée chaque année, se mettent en place », souligne Michel Kazatchkine, ambassadeur français chargé de la lutte contre le VIH-sida. Et de citer la taxe aérienne sur les billets d’avion, qui pourrait rapporter jusqu’à 1 milliard d’euros par an. La source la plus importante reste le plan de George W. Bush contre le sida, dit Pepfar, doté de 15 milliards de dollars sur cinq ans. Mais sa mise en oeuvre pose des questions éthiques : exclusivité donnée aux médicaments de marque pour les soins, et à l’abstinence concernant la prévention. Une situation ouvertement dénoncée par Steven Sinding, directeur général de l’International Planned Parenthood, qui a dénoncé « les considérables régressions causées par cette politique excluant les préservatifs ». Attaque à laquelle Jimmy Kolker, représentant du Pepfar, a sobrement répondu « que ce n’était pas la réalité ». Dont acte.
La prévention a souffert ces dernières années, comme en témoigne le nombre de nouvelles infections en 2005 : 5 millions dans le monde, dont 75 % en Afrique. « Nous n’avons fixé aucun objectif, reconnaît Jim Kim. Pourtant, nous disposons de méthodes de prévention pour chacun des modes de transmission. Désormais, avec les ARV, nous pouvons construire des programmes globaux, comme le Lesotho l’a fait. Avec une campagne nationale de dépistage, l’embauche et la formation d’un millier de conseillers en prévention et la disponibilité gratuite des ARV, tout y est. »
Sans aucun doute, la diminution de l’incidence du VIH passera par ce type de programmes, souvent menés dans le cadre de partenariats public-privé. Ainsi, la fondation du laboratoire Bristol-Myers Squibb (BMS) finance en Afrique australe et de l’Ouest des hôpitaux pédiatriques, des formations de personnel, des actions communautaires de prévention et de prise en charge. Interrogé sur le rôle du gouvernement dans sa coopération avec BMS, le ministre de la Santé du Lesotho, présent à Abuja pour signifier l’engagement du royaume, explique qu’il est « réellement partenaire et non récipiendaire. » Pour les États, ces collaborations sont aussi l’occasion de bâtir un système de santé national, trop souvent insuffisant. Parmi les initiatives de ce type, on trouve aussi l’engagement du laboratoire Merck en Côte d’Ivoire. Un programme global, élaboré avec l’Agence nationale pour le développement rural (Anader) et financé par le Pepfar, a été mis en place : 3,8 millions de personnes vivant en milieu rural devraient en bénéficier. Le secteur privé a un grand rôle à jouer, surtout dans les pays où l’État fait encore cruellement défaut. Le meilleur exemple est l’Afrique du Sud, où le gouvernement aurait pu éviter 350 000 décès s’il avait participé au 3by5.

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