Tirer les leçons de la crise

Comment éviter que les pénuries alimentaires dont a souffert le pays cette année ne se reproduisent.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Si le pire a été évité au Niger, les images terrifiantes d’enfants faméliques doivent pousser chacun à l’humilité. En raison de la sécheresse et d’une invasion acridienne survenue durant la campagne agricole de 2004, l’imminence d’une grave crise alimentaire a été annoncée dès le mois d’octobre de l’année dernière avec un déficit céréalier évalué à 223 000 tonnes. Le Programme alimentaire mondial (PAM) ainsi que les autorités nigériennes lancent alors un premier appel aux dons. Il ne sera pas entendu. « Nous avons été victimes de l’effet tsunami. Tout le monde avait les yeux braqués sur l’Asie, et le Niger a été oublié », se souvient Giancarlo Cirri, représentant du PAM au Niger. Quant aux autorités du pays, elles optent en novembre pour un ambitieux programme de vente de céréales à prix modéré pour répondre aux besoins de la population et freiner la flambée spéculative. Mais le gouvernement découvre que le stock national de sécurité ne contient que 23 000 tonnes de céréales. « Il en aurait fallu 78 000 de plus pour véritablement peser sur le marché. Nous avons appelé à l’aide nos partenaires, mais nous n’avons rien reçu, sauf 500 tonnes de dattes envoyées par l’Arabie saoudite », peste Seidou Bakari, le coordonnateur de Cellule de crise alimentaire. Le Niger cherche à acheter des céréales dans les pays d’approvisionnement habituels de la sous-région, mais les portes se referment. Sur l’ensemble du Sahel, les récoltes ont été médiocres et la situation du marché est tendue. Mais, surtout, des commerçants sans scrupule retiennent leurs stocks, faisant grimper les prix alors que les greniers se vident inexorablement. Dans les régions les plus sinistrées de Maradi, Dakoro, Tahoua et Ouallam notamment, le sac de mil de 100 kg franchit la barre des 30 000 F CFA et devient inaccessible pour les populations vulnérables. Les plus valides rejoignent Niamey à la recherche de subsides. Les autres – femmes, enfants et vieillards – restent au village et se reportent sur des plantes, réduites en bouillie. Redoutée chaque année, la période de soudure avant les récoltes 2005 s’annonce catastrophique.
En janvier 2005, une enquête réalisée dans les régions de Maradi et Zinder fait état d’un taux de malnutrition aiguë de 13,4 % (établi selon le rapport entre le poids et la taille d’un individu). Médecins sans frontières (MSF) cherche à sensibiliser l’opinion publique et parle en avril d’une « urgence nutritionnelle ». L’ONG ouvre plusieurs centres de prise en charge. Dans l’indifférence. Les médias ne relaient pas l’information tandis que les Nations unies dénoncent en mai « une urgence humanitaire oubliée et négligée ». Quant au Premier ministre Hama Amadou, il lance un appel « angoissé » à la communauté internationale. Personne ne réagit, et le scénario catastrophe se met en place.
Quelques semaines plus tard, l’évidence s’impose. Plus de 3 millions de personnes sont bel et bien menacées. Les caméras affluent. L’aide internationale se déploie. Les promesses de dons se bousculent. La France et le PAM mettent en place un pont aérien, et des distributions gratuites de vivres sont lancées. Mais, pour certains, il est malheureusement trop tard. MSF accueille plus de mille enfants par semaine, « 10 % d’entre eux n’ont pas survécu. Et ce malgré les soins intensifs et les traitements à base de plumpy’nut, une pâte hypercalorique constituée d’arachide, de lait, d’huile et de sucre », se désole Johanne Sekkenes, chef de mission à Niamey. « Nous n’aurions jamais dû laisser autant d’enfants mourir au Niger », s’indigne Jan Egeland, le coordonnateur humanitaire des Nations unies. L’aveu est courageux, mais le constat d’échec terrifiant.
Tous les pays du Sahel se sont dotés de dispositifs de prévention et de gestion des crises alimentaires depuis une vingtaine d’années. Un Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) a été créé pour suivre en temps réel les productions agricoles en fonction de la pluviométrie. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le PAM, censés lutter contre la faim, n’ont jamais été en mesure de stopper cette chronique d’une catastrophe annoncée. Le gouvernement nigérien n’a pas su faire face à ses responsabilités. Les médias, enfin, ont commencé à braquer leurs projecteurs quand il était trop tard. Devant une telle responsabilité collective, l’heure n’est certainement pas aux accusations stériles et aux règlements de comptes contre-productifs. Faut-il rappeler que 1,8 million de paysans seront à nouveau exposés à des pénuries de vivres lors de la prochaine soudure ? Et ce malgré un excédent céréalier de plus de 20 000 tonnes à l’issue de la campagne agricole 2005, estime le ministère du Développement rural.
« Certes la sécheresse et l’invasion acridienne ont provoqué une baisse de la production céréalière, mais les populations pauvres et très vulnérables ont surtout été dans l’incapacité d’acheter de la nourriture du fait de la hausse des prix, constate Normand Nauzon, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO). Avant de s’interroger : il y a de quoi relancer le débat sur les prix plafonds, abandonnés depuis la libéralisation des filières agricoles. Ce système permettait auparavant de corriger les excès du marché en cas de sous-production. » « Quand des commerçants nigérians siphonnent les marchés du Niger pour revendre le mil chez eux et encaisser des plus-values, cela doit nous pousser à réfléchir sur ces dysfonctionnements et rendre l’intégration régionale plus efficace », estime la présidente du CSAO, Thérèse Pujolle. « La région de Maradi est considérée comme le grenier du Niger, explique le porte-parole du gouvernement nigérien, Mohamed Ben Omar. La production de mil y est structurellement élevée, mais c’est là-bas que les taux de malnutrition sont toujours le plus élevés. L’année 2005 l’a encore une fois confirmé. Il y a donc d’autres paramètres à prendre en compte, comme la pauvreté endémique, la surnatalité, les mariages précoces, la polygamie, etc. Bref, l’environnement économique, social et culturel. » Tous ont leur part de vérité.

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