Pratiques sexuelles en Afrique : une BD pour tout savoir
Dans le deuxième tome de « L’incroyable histoire du sexe », Philippe Brenot et Laetitia Coryn se penchent, sans tabous, sur les us et coutumes sexuelles du continent.
« À l’origine était le sexe… » C’est avec cette entrée en matière, tirée du mythe kikuyu « qui rappelle mot pour mot le mythe fondateur de la cosmogonie égyptienne », que les auteurs du deuxième tome de la bande dessinée L’Incroyable histoire du sexe nous entraînent à la découverte de quelques pratiques et traditions sexuelles sur le continent africain. Philippe Brenot, sexologue, médecin-psychiatre, éditeur et auteur de nombreux ouvrages autour de la sexualité, et Laetitia Coryn, auteure et dessinatrice de bande dessinée, nous font remonter le temps jusqu’à l’époque où animisme et polythéisme faisaient loi, avant que ne s’installent les deux grandes religions monothéistes que sont l’islam et le christianisme.
« Dans un premier volume consacré à l’histoire du sexe en Occident, on dépeignait comment l’amour et la pudeur sont des inventions humaines », rappelle Philippe Brenot. Dans cette suite, l’Afrique côtoie l’Inde, « grande civilisation de l’amour », le Japon « à l’érotisme raffiné », la Chine « aux traditions millénaires » mais aussi le Moyen-Orient et « (sa) riche culture arabo-musulmane ».
Le sexe, tabou partout
Au gré de dessins pour le moins humoristiques, Brenot et Coryn tentent de répondre à de multiples questions autour des contes, mythes ou légendes à l’origine de certains comportement sexuels : les expressions du désir et de l’érotisme à travers les cultures, la place des femmes dans certaines et le basculement vers la domination masculine dans d’autres.
Si le duo d’auteurs rappelle que « l’Afrique est un immense continent, fort de sa diversité, comprenant plus de 2000 ethnies et presque autant de cultures différentes », le chapitre « L’Afrique – sexe originel » concerne exclusivement quelques coutumes d’Afrique subsaharienne, les cultures arabo-musulmanes du Maghreb ayant été incorporées à la partie dévolue au Moyen-Orient.
« Ce chapitre, comme tous les autres d’ailleurs, a demandé beaucoup de travail, explique le Dr. Philippe Brenot, également anthropologue de formation. D’autant plus que, concernant l’Afrique noire, on trouve très peu d’informations sur la sexualité d’un point de vue traditionnel. Il existe pléthore de travaux d’anthropologues qui évoquent les rites de passage à la puberté, les cérémonies rituelles et autres pratiques. Mais les anthropologues n’écrivaient pas sur la sexualité des populations qu’ils étudiaient parce que le sexe est un tabou partout. »
Les deux auteurs se sont notamment appuyés sur les ouvrages « Éros noir. Mœurs sexuelles de l’Afrique, de la Préhistoire à nos jours » (La Jeune Parque, 1963), « Pratiques et rites sexuels au Rwanda » (L’Harmattan, 2006), « La question homosexuelle en Afrique. Le cas du Cameroun » (L’Harmattan, 2006), « La légende du sexe surdimensionné des noirs » (Le Serpent à Plumes, 2005) ou encore la thèse « La Femme dans la dynamique de la société Béti. 1887 – 1967 » (Paris, Sorbonne, 1970).
Les deux auteurs ont choisi l’humour, pour parler de sexe « sans gêne »
Pour traiter ce sujet encore peu exploré, Philippe Brenot a choisi le livre graphique, l’humour « qui permet de parler de sexe sans gêne » et une femme pour co-auteure. « Il était selon moi inconcevable que deux hommes écrivent sur la sexualité, explique le sexologue. Il y a eu un véritable échange avec Laetitia Coryn, qui a apporté sa sensibilité féminine. Elle est aussi à l’origine d’une bonne part des gags que l’on retrouve dans la bande dessinée. »
Lutte amoureuse et coïts rituels
Parmi les coutumes et traditions que l’on (re)découvre, on trouve les codes entourant le mariage, avec les exemples de la dot, de la polygamie (et notamment le « deuxième bureau ») ou du drap blanc censé prouver la virginité de la mariée si, après la nuit de noces, il est tâché de sang. Quiconque connaît un tant soit peu l’Afrique de l’Ouest, notamment francophone, ne s’étonnera pas de cette dernière pratique. C’est que sur le continent, la virginité de la fiancée est primordiale.
Au Rwanda, tant chez les Hutus que chez les Tutsis, le jour des noces a longtemps donné lieu à une lutte amoureuse au sens littéral du terme. Enduite de beurre, la mariée empêchait par tous les moyens l’homme de la pénétrer jusqu’à ce qu’il y parvienne, parfois avec l’aide de comparses. On parle également des « atouts de l’amour » (« petit pagne » d’amour chez les Wolofs ou les Malinkés, cache-sexes en forme de triangle métallique chez les femmes kirdi fali du Nord du Cameroun ou le sexe dressé au moyen d’une ficelle chez les Kambéris), des pratiques sexuelles comme le mépris du baiser chez certaines ethnies, la salive étant considéré comme sale, ou le bannissement de tout ce qui a trait au sexe oral.
Rites autour du clitoris, philtres d’amour, femmes-fontaines dans les Grands Lacs… Tout y passe, ou presque.
On apprend au fil des pages que chez les Fangs du Gabon, la sodomie était considérée comme un remède pour devenir riche et que la taille du sexe a souvent son importance. Chez les Kos du Burkina, les femmes tiraient ou suçaient le pénis de leurs enfants pour l’allonger et au Congo ainsi qu’au Rwanda, on pratiquait l’allongement des petites lèvres de la vulve (mfuli et gukuna respectivement).
Rites autour du clitoris, philtres d’amour, femmes-fontaines dans les Grands Lacs, coïts rituels… Tout y passe, ou presque. « Ces coutumes avaient véritablement cours jusqu’au milieu du XXème siècle, explique Philippe Brenot. Puis dans les années 1950, les villageois émigrent vers la ville et la sexualité devient alors mondialisée. Pour exemple, traditionnellement, on ne s’embrassait pas sur la bouche en Afrique noire et la fellation n’existait pas. Mais aujourd’hui, le baiser est devenu un signe amoureux dans le monde entier – et cela est dû en grande partie aux films de l’industrie hollywoodienne. Aussi, on a peu à peu perdu la diversité des pratiques sexuelles. Le modèle pornographique est désormais imité par tout le monde et l’amour emprunte les mêmes codes. »
Si le médecin psychiatre rappelle que les traditions polygamiques ancestrales perdurent en Afrique noire, « le matrilignage de certaines ethnies a pondéré ou pondère encore la domination masculine », souligne-t-il.
Le fléau des mutilations génitales
Tous les grands sujets autour de la sexualité sont abordés par le duo, dont la question des règles, l’homosexualité, les critères de beauté, les mutilations génitales… « Nous ne pouvions pas faire l’impasse sur l’excision », estime Philippe Brenot. Un véritable fléau dénoncé par maint organisations internationales, et de plus en plus décrié, tout comme la subincision (mutilation, très rare aujourd’hui, qui consiste à fendre le pénis sur toute sa longueur) et l’infibulation (fermeture de la vulve avec la couture au fil des petites lèvres).
Difficile, évidemment, d’explorer la sexualité de l’Afrique noire en une dizaine de pages mais les auteurs de « L’incroyable histoire du sexe » délivrent une forme de synthèse plutôt inédite et réussissent le pari de nous surprendre avec un certain sens de la pédagogie. De quoi délivrer la sexualité de cet énorme boulet qu’est le tabou qui l’entoure. « Dans toutes les cultures, les interdits sont avant tout sexuels. Et on ne montre jamais tous le corps. Si en Afrique noire, les parties génitales étaient cachées, en Chine ou en Inde, ce sont les chevilles que les femmes ne montraient pas. Les tabous autour de la nudité complète et de l’intimité existent aux quatre coins du globe. Il n’existe aucun endroit où l’on dit tout du sexe. »
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