Raisons d’espérer

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 5 minutes.

L’année 2005 s’achemine tout doucement vers la sortie : même si elle a été ponctuée de catastrophes naturelles très meurtrières, d’accidents qui ont fait de nombreuses victimes et si aucune des guerres qu’elle a héritées des années précédentes ne s’est arrêtée, son bilan est, à mon avis, très positif. Il suffit, pour s’en convaincre, de dresser la liste de quelques-uns des progrès qu’elle nous aura apportés, dont certains sont très prometteurs.
Je commence par ceux qui ont eu pour théâtre le continent africain, ou qui auront une répercussion directe sur ses habitants. Et je donnerai dans notre prochaine livraison mon évaluation de ce que 2005 aura apporté au reste du monde.

1. Les dictateurs africains encore au pouvoir sont assiégés, sur la défensive. Ils sont moins sûrs des lendemains et savent, désormais, que leurs actes les poursuivront, même après qu’ils auront quitté le pouvoir.
Ils seront donc plus attentifs aux droits de leurs peuples, qui savent maintenant qu’ils ont des recours.
C’est que ceux qui ont été chassés du pouvoir, après en avoir souvent abusé, ont cessé d’être à l’abri de poursuites : Habré, Taylor et, peut-être, Mengistu seront, je pense, traduits en justice.
Car, sachez-le : à l’écoute de l’opinion africaine et internationale, l’Union africaine a pris sur elle de faire cesser l’ère de l’impunité – et celle des coups d’État dont le ou les auteurs s’emparent du pouvoir pour le garder.
Un nouvel ordre politique est en train de s’instaurer. Lentement, certes, mais inexorablement.

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2. La Côte d’Ivoire. En crise politique de dévolution du pouvoir depuis (presque) dix ans, ce pays vient d’entrer dans ce qu’on peut espérer être la phase finale de sa recherche d’une solution de sortie de crise.
Le nouveau gouvernement qu’on est en train d’installer à Abidjan aura les moyens humains et politiques de gérer le pays et son économie, d’organiser, sous contrôle international, les élections qui départageront les prétendants à la présidence du pays.
Ces derniers, eux-mêmes, donnent l’impression d’être fatigués par ce long affrontement qui n’aboutit pas – et d’accepter d’en passer par un scrutin pour y trouver une issue.

3. Les ressources du continent proviennent principalement de l’agriculture, et des matières premières offertes à l’exportation, plus particulièrement des produits de son sous-sol, qui en regorge.
Pour l’ensemble de ces filières, l’année qui s’achève ouvre de très bonnes perspectives :
– Pour la première fois depuis qu’on le leur réclame, l’Europe et les États-Unis ont accepté de mettre (progressivement) un terme à une partie des énormes subventions – 1 milliard de dollars par jour – qu’ils accordent à l’exportation de leurs produits agricoles. Ceux de l’Afrique vont donc – enfin – avoir une chance de se vendre à un prix rémunérateur.
– L’économie mondiale tourne à un rythme satisfaisant, dont il est prévu qu’il se maintiendra en 2006 ; pour leur part, la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres pays de l’ex-Tiers-Monde se développent à marche forcée.
Il résulte de cette conjonction une demande forte dont ont commencé à profiter les ressources du sous-sol africain : les prix augmentent, l’investissement afflue, et des mines de fer, de cuivre, de manganèse ou d’or fermées depuis des années se remettent à fonctionner.
Cela donne du travail et des revenus ; si ces derniers sont bien utilisés, de nombreux pays, aujourd’hui sinistrés, pourront espérer retrouver un peu ou même beaucoup de prospérité.
4. De grandes maladies, dont deux des plus terribles, le sida et le paludisme, ont affecté et affectent encore l’Afrique beaucoup plus que toute autre région du monde. Tant qu’on n’aura pas atténué leurs ravages, avant de les stopper, l’Afrique sera lourdement handicapée.
Pour la première fois, en 2005, on a commencé à le faire, ce qui constitue une évolution très positive.
Il faudra encore, hélas, beaucoup de temps, beaucoup d’argent et beaucoup de persévérance pour éradiquer ces deux fléaux.
Mais le mouvement est enfin enclenché.

5. Effacement de la dette ; augmentation de l’aide au développement. Je cite ces deux facteurs en dernier, parce que je ne les juge pas décisifs.
L’annulation de la dette des pays les plus pauvres, même si elle n’est encore ni complète ni véritablement mise en oeuvre ; l’augmentation de l’aide, même si elle n’est qu’annoncée ou promise, vont entrer en vigueur : les pays riches ont fini par comprendre qu’ils ne pouvaient y échapper, qu’il y va de leur intérêt.
Lorsqu’elles entreront dans les faits, à partir de 2006, elles contribueront à soulager les pays qui en bénéficieront, en leur donnant des moyens complémentaires.

L’année 2005 aura connu, pas plus tard que la semaine dernière, un énième sommet Afrique-France, qui s’est tenu les 3 et 4 décembre à Bamako, et dont nous vous rendons compte en pages 36 à 41.
J’espère, pour ma part, que c’est le dernier. De tels sommets, s’ils ont pu avoir, jadis, une signification et quelque utilité, les ont bel et bien perdues.
En Afrique, la France compte désormais plus de militaires – près de 10 000, dont on ne sait pas ce qui justifie leur présence – que de coopérants. Ses banques et ses entreprises ont cessé de jouer des coudes pour conserver une prééminence, ou même un rôle, dans les pays africains.
Quant à l’aide française, elle déclinait d’année en année depuis… 1994. Le mouvement avait été amorcé par Édouard Balladur, alors Premier ministre. Mais Jacques Chirac, élu à la présidence de la République en 1995, a promis de redresser la barre, sans vraiment pouvoir le faire1.
Ayant moins à donner, il n’a pas reculé devant le paradoxe de la distribuer… à un plus grand nombre de pays et, par conséquent, a fait du « saupoudrage ».

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Accaparée par ses problèmes intérieurs et par sa politique européenne, doutant d’elle-même, la France n’a plus ni les hommes, ni les moyens financiers, ni la volonté de mener une politique africaine digne de ce nom. Alors, elle s’érige en « avocat » de l’Afrique, multiplie « les promesses qui n’engagent que ceux qui les reçoivent » et maintient ces « sommets » dont la principale utilité est d’entretenir l’illusion d’une relation particulière…

Jacques Chirac voudra-t-il, pourra-t-il, avant la fin de son mandat, tenir, dans une ville française, le Sommet Afrique-France de 2007 ? Possible.
J’espère qu’il se trouvera alors un responsable pour demander qu’on en reste là. J’espère que quelqu’un osera proposer qu’un sommet Europe-Afrique, tous les deux ans, en alternance avec un Asie-Afrique, par exemple, remplace l’Afrique-France, lui-même avatar du Françafrique, devenu « cérémonial ».

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1. Timide reprise depuis 2002, mais qui ne refait pas le chemin perdu, tant s’en faut. En pourcentage du PIB comme en volume total, l’aide de la France au développement est encore inférieure à ce qu’elle était en 1994 !

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